Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 2 décembre 2021 et 3 janvier et 6 mars 2022 (non communiqué), M. A... B..., représenté par Me Faist, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 2 novembre 2021 ;
2°) d'annuler l'arrêté de la préfète de l'Orne du 22 octobre 2021 ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour est insuffisamment motivée en méconnaissance des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ;
l'arrêté querellé a été pris à l'issue d'une procédure irrégulière en violation des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
il a été pris en violation des articles L 251-2, L 234-1, 234-2, L 233-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'en qualité de citoyen de l'Union européenne vivant sans interruption depuis l'âge de deux ans en France, il bénéficie d'un droit au séjour permanent, ce qui le rend insusceptible de faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ;
il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation et a été pris en méconnaissance de l'article L 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de la directive 2004/38/CE du 29 avril 2004 dès lors que l'administration ne justifie pas que sa décision est fondée sur des raisons impérieuses de sécurité publique alors qu'il ne ressort aucunement de la procédure pénale que sa présence sur le territoire français constitue une menace à l'ordre public ;
il porte atteinte à l'autorité de la chose jugée dès lors que le juge pénal n'a pas prononcé à son encontre une peine d'interdiction du territoire français ;
il méconnaît le principe " Non bis in idem " prévu par les stipulations de l'article 50 de la charte des droits fondamentaux et l'article 4 protocole 7 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
il méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales eu égard à sa résidence sur le territoire français de
plus de 46 ans, de sa paternité sur trois jeunes françaises dont l'une est mineure et handicapée et
d'une activité professionnelle en France, ininterrompue de 1998 à son incarcération ;
il méconnaît les articles 2 et 8 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989 et la convention internationale de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 décembre 2021, la préfète de l'Orne conclut au rejet de la requête.
Elle soutient qu'aucun moyen de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu
le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
le code de justice administrative.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
le rapport de M. L'hirondel,
les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,
et les observations de Me Faist, représentant M. B....
1. Par un arrêté du 22 octobre 2021, la préfète de l'Orne a prononcé à l'encontre de M. A... B..., de nationalité portugaise, une obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit de circuler sur le territoire français pendant trois ans. M. B... relève appel du jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Caen du 2 novembre 2021 qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation cet arrêté préfectoral.
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
2. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. (...) "
3. Il ressort des termes de sa demande manuscrite, que M. B... a indiqué faire appel de la décision contestée qu'il a jointe à ses écritures et a exposé que, contrairement à ce que mentionne cette décision, il n'est pas arrivé en France en 2016 mais en 1975 et n'a pas été condamné à une peine de cinq ans d'emprisonnement mais à une peine de trois ans dont un an avec sursis. Il faisait également valoir qu'il réside depuis 1975 en France où il a effectué sa scolarité puis y a exercé, à compter de 1998, son activité professionnelle. Il faisait également état de ce que ses trois enfants, dont il a contribué à l'entretien depuis leur naissance, vivent en France, la plus jeune étant par ailleurs légèrement handicapée et qu'il ne constitue pas une menace pour l'ordre public. M. B... doit être ainsi regardé comme ayant soulevé les moyens tirés de l'erreur de fait et de l'erreur manifeste d'appréciation et qui sont formulés de façon suffisamment explicite, eu égard à l'absence de représentation par un conseil de l'intéressé. Par suite, la demande contenant l'exposé des faits et des moyens, la fin de
non-recevoir opposée en première instance par la préfète de l'Orne doit être écartée.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
4. Aux termes de l'article L. 251-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français en application de l'article L. 251-1 les citoyens de l'Union européenne ainsi que les membres de leur famille qui bénéficient du droit au séjour permanent prévu par l'article L. 234-1. ". Aux termes de l'article L. 234-1 de ce code : " Les citoyens de l'Union européenne mentionnés à l'article L. 233-1 qui ont résidé de manière légale et ininterrompue en France pendant les cinq années précédentes acquièrent un droit au séjour permanent sur l'ensemble du territoire français. (...) ". Aux termes de l'article L 234-2 de ce code : " Une absence du territoire français pendant une période de plus de deux années consécutives fait perdre à son titulaire le bénéfice du droit au séjour permanent. ". Aux termes de l'article L. 233-1 du même code : " Les citoyens de l'Union européenne ont le droit de séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois s'ils satisfont à l'une des conditions suivantes : / 1° Ils exercent une activité professionnelle en France ; / 2° Ils disposent pour eux et pour leurs membres de famille de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale, ainsi que d'une assurance maladie ; / 3° Ils sont inscrits dans un établissement fonctionnant conformément aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur pour y suivre à titre principal des études ou, dans ce cadre, une formation professionnelle, et garantissent disposer d'une assurance maladie ainsi que de ressources suffisantes pour eux et pour leurs conjoints ou descendants directs à charge qui les accompagnent ou les rejoignent, afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale ; / 4° Ils sont membres de famille accompagnant ou rejoignant un citoyen de l'Union européenne qui satisfait aux conditions énoncées aux 1° ou 2° ; / 5° Ils sont le conjoint ou le descendant direct à charge accompagnant ou rejoignant un citoyen de l'Union européenne qui satisfait aux conditions énoncées au 3°. ".
5. Il ressort de pièces du dossier que M. B..., qui est né le 12 octobre 1974 au Portugal, soutient être entré en France à l'âge de deux ans et produit, à cette fin, de très nombreuses pièces pour y justifier de sa résidence. Sont notamment communiqués les attestations scolaires pour les années 1986 à 1995, un relevé de carrière établi sous le logo " info retraite " duquel il apparaît, contrairement à ce que soutient la préfète, que l'intéressé a cotisé à un régime de retraite sans discontinué de 1992 à 2019, les avis d'impôt sur les revenus des années 2010 à 2016 dont il résulte la perception de salaires sur toute cette période et les taxes d'habitation couvrant les années 2018 à 2020. Alors même qu'il a été incarcéré du 12 juin 2020 au 3 novembre 2021, M. B... établit, par ces pièces, vivre en France de manière ininterrompue depuis au moins l'année 1986 sans l'avoir quittée depuis plus de deux ans et y avoir exercé une activité professionnelle depuis plus de cinq ans. Dans ces conditions, à la date de l'arrêté contesté, il avait acquis, par application combinée des dispositions des articles
L. 234-1 et L 234-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, un droit au séjour permanent sur l'ensemble du territoire français et ne pouvait, par suite, faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français en application de l'article L. 251-2 du même code alors même que sa présence serait susceptible de constituer une menace pour l'ordre public. Il suit de là que M. B... est fondé à soutenir que la décision contestée méconnaît ces dispositions et à en demander, pour ce motif, son annulation.
6. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande
Sur les frais liés au litige :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'État, partie perdante à l'instance, la somme de 1 200 euros à verser à M. B... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Caen du 2 novembre 2021 et l'arrêté de la préfète de l'Orne du 22 octobre 2021 sont annulés.
Article 2 : L'État versera à M. B... la somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera transmise, pour information, à la préfète de l'Orne.
Délibéré après l'audience du 10 mars 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Salvi, président,
- Mme Brisson, présidente-assesseure,
- M. L'hirondel, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 mars 2022.
Le rapporteur
M. L'hirondel
Le président
D. Salvi
Le greffier
R. Mageau
La République mande et ordonne à la préfète de l'Orne en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21NT03378