Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 1er avril 2019 le préfet des Côtes-d'Armor demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 28 mars 2019 en tant qu'il a annulé partiellement son arrêté du 1er août 2018 ;
2°) de rejeter la demande présentée en première instance par Mme A....
Il soutient que la décision annulée ne vise pas exclusivement les Comores comme pays de renvoi mais également Mayotte et que, par suite, les premiers juges ne pouvaient annuler en totalité cette décision.
Par un mémoire en défense enregistré le 19 septembre 2019 Mme A..., représentée par Me B..., conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a rejeté ses conclusions dirigées contre les décisions du préfet des Côtes-d'Armor du 1er août 2018 refusant de lui délivrer un titre de séjour et l'obligeant à quitter le territoire français et à ce qu'il soit enjoint au préfet de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de trois jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à défaut, de réexaminer sa demande et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour ;
3°) à ce que soit mise à la charge de l'Etat, au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 500 euros à verser à son conseil dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Elle soutient que :
- l'arrêté contesté n'est pas suffisamment motivé ; il méconnaît les dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ; il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ; il méconnaît le principe de la liberté d'aller et venir ;
- les moyens soulevés par le préfet des Côtes-d'Armor ne sont pas fondés.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 mai 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n°91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- et les observations de Me B..., représentant Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante comorienne titulaire d'une carte de séjour délivrée à Mayotte, est entrée en France métropolitaine le 16 mai 2017 sur la base d'un visa valable du 13 au 31 mai 2017. Elle a demandé, le 25 janvier 2018, une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " en qualité de mère de deux enfants français. Par un arrêté du 1er août 2018, le préfet des Côtes-d'Armor a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français métropolitain et a fixé la destination de cette mesure d'éloignement. Le préfet des Côtes d'Armor relève appel du jugement du 28 mars 2019 par lequel le tribunal administratif de Rennes a annulé cet arrêté en tant qu'il a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement. Mme A..., par la voie de l'appel incident, demande l'annulation de ce même jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions dirigées contre les décisions du préfet des Côtes-d'Armor lui refusant la délivrance d'un titre de séjour et l'obligeant à quitter le territoire français métropolitain.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. La décision contestée du préfet des Côtes-d'Armor prévoit que Mme A... " pourra être reconduite d'office à Mayotte ou dans le pays dont elle a la nationalité. ". Par suite, et alors qu'il est constant que Mme A... pouvait légalement être reconduite à Mayotte, c'est à tort que le tribunal administratif de Rennes a annulé cette décision dans sa totalité au seul motif que Mme A... ne pouvait être renvoyée vers les Comores.
3. Il y a lieu de statuer par la voie de l'effet dévolutif sur les conclusions de la demande de Mme A... dirigées contre la décision fixant le pays de destination et sur les conclusions d'appel incident présentées par celle-ci devant la cour.
Sur la légalité de l'arrêté contesté :
4. En premier lieu, l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile régit la délivrance de la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " et prévoit notamment qu'elle est délivrée de plein droit, sauf menace pour l'ordre public, " 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée ". Le titulaire d'une telle carte de séjour, comme tout étranger séjournant régulièrement sur le territoire, peut en principe, ainsi que l'énonce l'article R. 321-1 du code, circuler librement " en France ", c'est à dire, conformément à ce qui résulte de l'article L. 111-3, en France métropolitaine, en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à la Réunion, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin et à Mayotte.
5. Toutefois, l'article L. 832-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile limite la validité territoriale des titres de séjour délivrés à Mayotte, en disposant que " les titres de séjour délivrés par le représentant de l'Etat à Mayotte, à l'exception des titres délivrés en application des dispositions des articles L. 121-3, L. 313-4-1, L. 313-8, du 6° de l'article L. 313-10, de l'article L. 313-13 et du chapitre IV du titre Ier du livre III, n'autorisent le séjour que sur le territoire de Mayotte ". En vertu du deuxième alinéa de cet article L. 832-2, " les ressortissants de pays figurant sur la liste (...) des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l'obligation de visa pour franchir les frontières extérieures des Etats membres, qui résident régulièrement à Mayotte sous couvert d'un titre de séjour n'autorisant que le séjour à Mayotte et qui souhaitent se rendre dans un autre département doivent obtenir un visa. Ce visa est délivré, pour une durée et dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat, par le représentant de l'Etat à Mayotte après avis du représentant de l'Etat dans le département où ils se rendent, en tenant compte notamment du risque de maintien irrégulier des intéressés hors du territoire de Mayotte et des considérations d'ordre public ". Sous la qualification de " visa ", ces dispositions instituent une autorisation spéciale, délivrée par le représentant de l'Etat à Mayotte, que doit obtenir l'étranger titulaire d'un titre de séjour délivré à Mayotte dont la validité est limitée à ce département, lorsqu'il entend se rendre dans un autre département. La délivrance de cette autorisation spéciale, sous conditions que l'étranger établisse les moyens d'existence lui permettant de faire face à ses frais de séjour et les garanties de son retour à Mayotte, revient à étendre la validité territoriale du titre de séjour qui a été délivré à Mayotte, pour une durée qui ne peut en principe excéder trois mois.
6. Les dispositions de l'article L. 832-2, qui subordonnent ainsi l'accès aux autres départements de l'étranger titulaire d'un titre de séjour délivré à Mayotte à l'obtention de cette autorisation spéciale, font obstacle à ce que cet étranger, s'il gagne un autre département sans avoir obtenu cette autorisation ou s'il s'y maintient au-delà de la durée pour laquelle elle lui a été accordée, puisse prétendre dans cet autre département à la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions de droit commun.
7. Il est constant que l'autorisation spéciale, ou visa, délivrée par le représentant de l'Etat à Mayotte à Mme A... avait expiré lorsqu'elle a déposé sa demande de titre de séjour, le 25 janvier 2018. Par suite, en application de ce qui a été rappelé au point précédent, cette seule circonstance faisait obstacle à ce que le préfet des Côtes-d'Armor réponde favorablement à sa demande. L'arrêté contesté n'a donc pas méconnu les dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions concernant les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
9. Mme A... soutient pour la première fois en appel que l'arrêté contesté a méconnu ces stipulations, sans assortir toutefois ce moyen des précisions nécessaires pour permettre d'en apprécier le bien-fondé. En tout état de cause, si Mme A... établit être la mère de deux enfants français, nés en 2006 et en 2010 à Mayotte, il est constant que l'aîné réside toujours à Mayotte, où elle pourra le retrouver, et il ne ressort pas des pièces du dossier que le plus jeune, qui se trouve avec elle en France métropolitaine, ne pourra l'accompagner. Par suite, l'arrêté contesté n'a pas méconnu les stipulations précitées de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
10. En troisième lieu, il n'est pas contesté que Mme A... réside depuis l'âge de deux ans de manière régulière à Mayotte, où elle dispose de toutes ses attaches privées et familiales. Par suite, elle est fondée à demander l'annulation de la décision contenue dans l'arrêté contesté qui détermine sa destination, en tant qu'elle a également fixé les Comores comme pays de destination, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
11. Pour le surplus, Mme A... se borne à reprendre devant le juge d'appel les mêmes moyens et les mêmes arguments que ceux invoqués en première instance, tirés de ce que l'arrêté contesté est insuffisamment motivé, qu'il a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qu'il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle et qu'il a méconnu le principe de liberté d'aller et venir. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus par les premiers juges.
12. Il résulte de ce qui précède que le préfet des Côtes d'Armor est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé dans son intégralité sa décision fixant le pays de destination et que Mme A... est uniquement fondée à demander l'annulation de cette même décision en tant qu'elle a fixé les Comores comme pays de destination. Par voie de conséquence, les conclusions présentées par Mme A... à fin d'injonction doivent être rejetées et il n'y a pas lieu de faire droit à celles tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1806189 du tribunal administratif de Rennes du 28 mars 2019 est annulé en tant qu'il a annulé dans sa totalité la décision du 1er août 2018 du préfet des Côtes d'Armor fixant le pays à destination duquel Mme A... pourra être reconduite d'office.
Article 2 : La décision du 1er août 2018 du préfet des Côtes d'Armor fixant la destination de Mme A... est annulé en tant qu'elle fixe les Comores comme pays de destination.
Article 3 : Les conclusions présentées par Mme A... devant la cour sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme E... A....
Copie sera adressée au préfet des Côtes d'Armor.
Délibéré après l'audience du 7 novembre 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, président de chambre
- M. C..., premier conseiller,
- Mme Le Barbier, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 26 novembre 2019.
Le rapporteur
E. C...Le président
I. Perrot
Le greffier
M. D...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT01294