Par une requête, enregistrée le 10 août 2015, MmeD..., représentée par MeE..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 23 février 2015 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Morbihan du 13 février 2015 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Morbihan de l'admettre au séjour au titre de l'asile, à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me E...d'une somme de 1 500 euros, à condition que cellle-ci renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté attaqué est entaché d'un défaut de motivation ;
- elle n'a pas bénéficié d'un entretien individuel, avec un interprète, dans les conditions prévues par l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ; le compte rendu d'entretien n'a pas été signé par l'interprète et est incomplet ; la copie de l'entretien lui a bien été remis mais il n'a pas été traduit ; la personne sollicitée par la préfecture le 13 février 2015 pour servir d'interprète est arménienne et n'a pas les qualités requises pour être interprète français-russe ; elle n'a pas traduit l'entretien, elle a seulement expliqué à Mme D...qu'elle était assignée à résidence et qu'elle devait signer la notification ;
- cet arrêté méconnait l'article 19 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 car Mme D...a quitté le territoire des Etats membres de l'Union européenne du 18 avril 2014 au 3 septembre 2014, soit pendant une durée supérieure à trois mois ; le défaut de prise en compte de cette circonstance entache l'arrêté attaqué d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- l'arrêté attaqué méconnaît les dispositions de l'article 17 de ce même règlement du 26 juin 2013, car elle était enceinte de six mois au moment de cet arrêté et, eu égard à la situation des demandeurs d'asile en Pologne, elle risque des traitements contraires aux stipulations des articles 3, 5, 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré 9 novembre 2015, la préfète du Morbihan conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.
Mme D...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 6 juillet 2015.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604-2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique du 9 février 2016 :
- le rapport de Mme Rimeu, premier conseiller.
1. Considérant que MmeD..., ressortissante russe, a sollicité l'asile politique en France le 23 octobre 2014 ; que l'examen de ses empreintes digitales a révélé qu'elle avait déjà formé une demande d'asile en Pologne le 12 janvier 2014 ; que par une décision du 20 novembre 2014, le préfet du Morbihan a donc refusé de l'admettre provisoirement au séjour au titre de l'asile ; que les autorités polonaises, responsables de l'examen de la demande d'asile de MmeD..., ayant accepté de la reprendre en charge le 25 novembre 2014, le préfet du Morbihan a, par un arrêté du 13 février 2015, décidé de la remettre aux autorités polonaises ; que Mme D...relève appel du jugement du 23 février 2015, par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet l'arrêté ;
2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé " ;
3. Considérant, d'une part, qu'il ressort des pièces du dossier que Mme D...a bénéficié de l'entretien individuel prévu par les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 le 23 octobre 2014, en présence de M. C..., interprète en langue russe ; que la circonstance que cet interprète n'a pas signé l'imprimé d'entretien individuel n'est pas de nature à établir que la procédure préalable à l'arrêté attaquée aurait été méconnue, dès lors que Mme D...ne conteste pas avoir compris les informations qui lui étaient fournies pendant cet entretien et qu'elle s'est vue remettre, à cette occasion, le guide du demandeur d'asile et l'information sur les règlements communautaires rédigés en langue russe, ainsi que deux brochures dont la première était intitulée " j'ai demandé l'asile dans l'Union européenne " et la seconde était un document d'information portant sur le règlement dit " Dublin III " pour les demandeurs d'une protection, au titre de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 ;
4. Considérant, d'autre part, que si le document résumant cet entretien du 23 octobre 2014 n'a été communiqué à Mme D...que le 13 février 2015, en présence d'une interprète qui n'était pas assermentée, cette circonstance n'est pas de nature à vicier la procédure préalable à l'arrêté litigieux, dés lors qu'il est constant que Mme D...et son conseil ont eu accès à ce document en temps utile, notamment pour contester cet arrêté ;
5. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 18 du règlement (UE) du 26 juin 2013 : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers (...) dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre " ; qu'aux termes de l'article 19 du même règlement : " 2. Les obligations prévues à l'article 18, paragraphe 1, cessent si l'État membre responsable peut établir, lorsqu'il lui est demandé de prendre ou reprendre en charge un demandeur ou une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), que la personne concernée a quitté le territoire des États membres pendant une durée d'au moins trois mois, à moins qu'elle ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité délivré par l'État membre responsable. (...) / 3. Les obligations prévues à l'article 18, paragraphe 1, points c) et d), cessent lorsque l'État membre responsable peut établir, lorsqu'il lui est demandé de reprendre en charge un demandeur ou une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), que la personne concernée a quitté le territoire des États membres en exécution d'une décision de retour ou d'une mesure d'éloignement délivrée à la suite du retrait ou du rejet de la demande " ; qu'il résulte de ces dispositions combinées que le ressortissant d'un pays tiers ayant présenté en France une demande d'asile peut être réadmis dans l'Etat membre auprès duquel il a déjà présenté une demande d'asile, même si celle-ci a été rejetée, dès lors que, d'une part, il n'a pas quitté cet Etat membre en exécution d'une décision de retour ou d'une mesure d'éloignement, et, d'autre part, qu'il n'a pas quitté le territoire des Etats membres durant au moins trois mois ;
6. Considérant que Mme D...soutient que la décision de réadmission méconnaît les dispositions précitées en alléguant avoir quitté le territoire de l'Union européenne durant plus de trois mois ; que, toutefois, les pièces produites par la requérante, consistant, d'une part en un billet de transport ferroviaire entre Grozny et Moscou le 1er septembre 2014, et d'autre part en un certificat tchéchène de mariage établi le 2 juin 2014, qui n'est corroboré ni par les dires de la requérante, qui a déclaré dans sa demande d'admission au séjour être célibataire, ni par l'acte de naissance de son enfant né le 24 avril 2015, dont le père déclaré réside en France depuis le 21 avril 2012, ne peuvent être regardés comme des indices suffisants pour témoigner d'une sortie du territoire des Etats membres de l'Union européenne durant plus de trois mois ; que, par ailleurs, les autorités de ce pays, compétentes en la matière, en acceptant la prise en charge de la requérante ont estimé qu'un tel départ n'était pas établi ;
7. Considérant, en troisième lieu, que Mme D...ne précise pas en quoi l'arrêté contesté serait contraire aux stipulations de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droit de l'homme et des libertés fondamentales, qui protègent le droit à un recours effectif ; que le moyen ne peut, par suite, qu'être écarté ;
8. Considérant, en quatrième et dernier lieu, que les moyens tirés du défaut de motivation, de la méconnaissance des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, de l'erreur manifeste d'appréciation, de l'atteinte au droit d'asile et de la méconnaissance des stipulations des articles 3, 5 et 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, repris sans aucune précision supplémentaire, doivent être écartés par adoption des motifs du jugement attaqué ;
9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme D...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 13 février 2015 par lequel le préfet du Morbihan a décidé de la remettre aux autorités polonaises ; que doivent être rejetées par voie de conséquence ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte ainsi que celles tendant au bénéfice des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme D...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...D...et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise au préfet du Morbihan.
Délibéré après l'audience du 9 février 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- Mme Loirat, président-assesseur,
- Mme Rimeu, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 1er mars 2016.
Le rapporteur,
S. RIMEU
Le président,
L. LAINÉ
Le greffier,
M. B...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°15NT025593