Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 31 août 2020 et 16 février 2021, la commune d'Orbec, représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 30 juin 2020 du tribunal administratif de Caen ;
2°) de condamner in solidum la société Gagneraud construction et la société Carrières de Luget Vilhonneur à lui verser la somme de 430 392,80 euros en réparation du préjudice que lui ont causé les désordres affectant le parvis de l'église d'Orbec, la somme de 134 400 euros en réparation de préjudices divers, arrêtée à la fin de l'année 2020, " majorée de 1 000 euros par mois jusqu'à la décision définitive " ;
3°) de condamner in solidum la société Gagneraud construction et la société Carrières de Luget Vilhonneur au titre des entiers dépens, dont ceux exposés en référé et les frais d'expertise ;
4°) de mettre à la charge solidaire des sociétés Gagneraud construction et Carrières de Luget Vilhonneur la somme de 15 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la garantie décennale des constructeurs est engagée ; les désordres initialement identifiés affectant les pavements avaient été réparés à la date de réception des travaux, après levée des réserves, signée le 25 juin 2004 avec effet au 26 mars 2004 ; en tout état de cause ces désordres ne pouvaient être appréhendés par la commune dans toute leur ampleur et conséquences lors de la réception alors que les nouveaux désordres ne sont apparus que plus d'un an après la réception ; les désordres constatés rendent l'ouvrage impropre à sa destination eu égard à leurs conséquences sur la circulation des piétons et des véhicules ;
- la responsabilité in solidum des sociétés Gagneraud construction et Carrières de Luget Vilhonneur est engagée ; la responsabilité décennale de la société Gagneraud construction, venant aux droits de la société SNTPP, est engagée par référence au rapport d'expertise et dès lors qu'elle a mis en oeuvre les éléments en pierre ; la responsabilité de la société Carrières de Luget Vilhonneur est engagée en qualité de fournisseur d'éléments pouvant entrainer la responsabilité solidaire du fabricant avec l'entrepreneur s'agissant de matériaux spécifiques adaptés aux exigences esthétiques du chantier ; sa responsabilité est également engagée au titre de la garantie décennale en l'absence de contrat de droit privé la liant à la commune alors que le litige se rattache à cette garantie ; la responsabilité de cette même société est également engagée sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle faute pour elle d'avoir vérifié la qualité des produits livrés et leur conformité par rapport à la destination ;
- elle sera indemnisée à hauteur de 430 392,80 euros au titre de la fourniture de nouveaux matériaux et du coût des travaux de reprise consécutive de l'ouvrage, avec indexation, de 134 400 euros au titre du préjudice esthétique croissant et de son préjudice de jouissance des lieux nécessitant l'intervention des services municipaux.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 13 novembre 2020 et 15 janvier 2021, la société Gagneraud construction, représentée par Me F..., demande à la cour :
1°) à titre principal, de rejeter la requête de la commune d'Orbec ;
2°) à titre subsidiaire :
- par des conclusions d'appel incident et provoqué, si sa responsabilité devait être engagée, de condamner également la société Carrières de Luget Vilhonneur au titre de la responsabilité décennale, de prononcer des condamnations sans application de la TVA, de limiter l'indemnisation de la commune à la somme de 358 660,67 euros HT, avec une part de responsabilité de l'exposante limitée à 25 % ;
- en tout état de cause, de condamner la société Carrières de Luget Vilhonneur à la garantir intégralement de toute condamnation la visant, de rejeter la demande présentée par la commune au titre de ses préjudices divers et de rejeter tout éventuel appel en garantie sollicité ;
3°) de mettre à la charge de la commune d'Orbec, ou de toute partie succombante, une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens soulevés par la commune d'Orbec ne sont pas fondés ;
- si sa responsabilité devait être engagée, celle-ci serait limitée à 25 % ainsi que retenu par l'expert ; en toute hypothèse elle sera intégralement garantie de toute condamnation par la société Carrières de Luget Vilhonneur dès lors que les produits qu'elle a fournis s'analysent comme des éléments pouvant entrainer la responsabilité solidaire du fabricant avec l'entrepreneur eu égard à leur spécificité requise par la commune et que les dommages résultent uniquement de la qualité défectueuse de ces matériaux.
Par un mémoire, enregistré le 24 décembre 2020, et un mémoire enregistré le 17 février 2021 qui n'a pas été communiqué, la société Carrières de Luget Vilhonneur, représentée par Me E..., demande à la cour :
1°) à titre principal, de rejeter la requête de la commune d'Orbec et les conclusions d'appel provoqué de la société Gagneraud construction ;
2°) subsidiairement :
de limiter toute indemnisation de la commune à la somme de 358 660,67 euros HT au titre des travaux de reprise, de prononcer des condamnations sans application de la TVA, de limiter à 65 % toute reconnaissance de responsabilité de la société exposante et exclure toute solidarité au-delà de cette proportion ;
s'il était fait droit aux conclusions d'appel provoqué de la société Gagneraud construction de condamner cette dernière à la garantir intégralement de toute éventuelle condamnation prononcée au bénéfice de la commune d'Orbec, à concurrence de sa propre responsabilité dans la survenance des désordres ;
3°) de mettre à la charge de la commune d'Orbec ou de toute partie succombante la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- la juridiction administrative est incompétente pour statuer sur les demandes présentées par la commune d'ORBEC contre la société exposante au titre de la garantie décennale dès lors qu'elle n'a pas la qualité de fabricant d'un élément d'équipement pouvant entraîner la responsabilité solidaire (EPERS) ; elle est également incompétente au regard de la demande de la commune présentée sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle dès lors que les conditions jurisprudentielles posées pour l'engager ne sont pas remplies s'agissant de la possibilité de rechercher la responsabilité du ou des cocontractants du maitre d'ouvrage et alors que les désordres ne sont pas de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination ;
- la juridiction administrative est incompétente pour statuer sur les demandes de la société Gagneraud construction ; la société exposante n'a pas la qualité de fabricant d'un EPERS ; les deux sociétés sont liées par un contrat de sous-traitance de droit privé ;
- les moyens soulevés par la commune d'Orbec et la société Gagneraud construction ne sont en tout état de cause pas fondés ;
- si sa responsabilité devait être engagée, le montant de l'indemnité de la commune ne pourrait qu'être limité au montant défini par l'expert, sans application de la TVA dès lors que la commune n'établit pas que ses activités ne sont pas soumises à cette taxe ; ses demandes indemnitaires au titre de l'intervention de services municipaux seront écartées alors qu'elle n'établit pas un surcout lié à cette intervention ou l'impossibilité où elle se serait trouvée de procéder aux opérations de reprise à l'issue des opérations d'expertise ; elle devrait en toute hypothèse être garantie par la société Gagneraud construction dès lors qu'il n'est pas établi que les désordres puissent être mis en relation avec la pierre fournie alors que les manquements de la société Gagneraud construction aux règles de l'art sont établies.
Par une ordonnance du 2 février 2021 la clôture d'instruction a été fixée au 17 février 2021.
Un mémoire présenté pour la société Gagneraud construction a été enregistré le 24 février 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- les conclusions de M. Besse, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., représentant la commune d'Orbec, et de Me A..., représentant la société Gagneraud construction.
Considérant ce qui suit :
1. La commune d'Orbec a entrepris des travaux d'aménagement tendant à la rénovation et au réaménagement des abords de l'église ainsi que des espaces végétaux et des ouvrages de la voirie attenante avec notamment la création de zones pavées et la réalisation d'un parvis devant le porche de l'église. La société Gaudriot ingénieurs conseil a été chargée de la maitrise d'oeuvre de l'opération. La société Normandie de Travaux Publics et Particuliers (SNTPP), aux droits de laquelle est venue la société Gagneraud construction, a réalisé ces travaux. La société Carrières de Luget Vilhonneur a fabriqué et fourni à la société SNTPP les matériaux nécessaires à la création des zones pavées, des bordures de trottoir et des dalles. Les travaux ont été réceptionnés sans réserve le 25 juin 2004 avec effet au 26 mars 2004. Constatant l'existence de désordres affectant les dalles, pavés et bordures la commune d'Orbec a obtenu du président du tribunal administratif de Caen la désignation d'un expert, M. D... expert conseil en bâtiment, qui a déposé son rapport le 23 novembre 2015. Par un jugement du 30 juin 2020, dont la commune d'Orbec relève appel, le tribunal administratif de Caen a rejeté la requête de cette commune tendant à la condamnation in solidum des sociétés Gagneraud construction et Carrières de Luget Vilhonneur à l'indemniser des désordres affectant le parvis de l'église et ses environs.
Sur la garantie décennale des constructeurs :
2. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. Il incombe au juge administratif, lorsqu'est recherchée devant lui la garantie décennale des constructeurs, d'apprécier, au vu de l'argumentation que lui soumettent les parties sur ce point, si les conditions d'engagement de cette responsabilité sont ou non réunies et d'en tirer les conséquences, le cas échéant d'office, pour l'ensemble des constructeurs.
3. Il résulte de l'instruction que les travaux confiés par la commune d'Orbec à la société SNTPP, aux droits de laquelle est venue la société Gagneraud construction, afin de réaliser notamment le dallage du parvis et le pavement des abords de l'église d'Orbec ont commencé en septembre 2003 pour se terminer en janvier 2004. Il ressort d'un compte-rendu d'une réunion de chantier du 16 janvier 2004, à laquelle participaient des représentants de la commune d'Orbec, qu'a alors été constatée " une dégradation anormale de certaines dalles sur le parvis ainsi que sur la navette périphérique au parvis " et " une forte dégradation des pavés situés dans la zone du jardin du souvenir et de la voirie et des passages piétons. Dégradation par délitement. ". Il est également mentionné qu'il est demandé à la société SNTPP de remédier à ce désordre, que la réception à venir est subordonnée à la " réfection des désordres " et que la société SNTPP présentera une convention à conclure avec la société qui a fourni les dalles et pavés afin que la garantie portant sur ces matériaux soit de deux années à compter de la date de la réception définitive. Un nouveau compte-rendu de réunion de chantier du 2 avril 2004, associant également la commune d'Orbec, fait état d'un constat identique de " dégradation anormale " des dallages et pavements à de nouveaux endroits. Le même document envisage explicitement " une dégradation permanente " de l'ouvrage et les modalités de résolution des désordres en pareille hypothèse. Par ailleurs, le dernier compte-rendu de réunion présenté, daté du 11 juin 2004, s'il fait état du remplacement de certains pavements et de reprises sur d'autres, ne cite pas la totalité des lieux mentionnés dans le compte-rendu du 16 janvier 2004 et rappelle explicitement la nécessaire production du document exigé de la société SNTPP en janvier 2004 destiné à obtenir une garantie de deux ans sur les matériaux fournis courant à compter de la date de réception définitive. Il résulte également d'un courrier du 8 février 2007 de la société Saunier et associés, agissant à la demande de la commune d'Orbec, adressé à la société Carrières de Luget Vilhonneur, qu'a bien été identifiée dès avant la réception des travaux une possible extension des désordres auxquels il a été demandé à la société Carrières de Luget Vilhonneur de remédier " dans le temps ". Enfin les désordres affectant les dallages, pavements et bordures identifiés par l'expert désigné par le président du tribunal administratif de Caen postérieurement à la réception sont partiellement identiques à ceux identifiés dès janvier 2004 en raison du délitement constaté. Il s'ensuit qu'en dépit du remplacement des pavés et dalles abimés, la commune d'Orbec, à supposer même que la cause exacte de ces désordres n'aurait pas encore été connue, ne pouvait ignorer, au regard de leur ampleur et de leur caractère évolutif, qu'ils étaient susceptibles de survenir et de s'étendre à terme pour au moins les dallages et pavements qui n'avaient pas été repris, dès lors notamment qu'elle avait clairement identifié le risque d'aggravation de ceux-ci dès janvier 2004 en tentant de s'en préserver contractuellement. Par suite, ces désordres doivent être regardés comme apparents à la date où a été dressé le procès-verbal de réception du 25 juin 2004 et ne sont pas susceptibles d'engager la responsabilité de la société Gagneraud construction et, en tout état de cause, de la société Carrières de Luget Vilhonneur sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs.
Sur la responsabilité quasi-délictuelle de la société CVH en qualité de fabricant des pierres posées :
4. Il appartient, en principe, au maître d'ouvrage qui entend obtenir la réparation des conséquences dommageables d'un vice imputable à la conception ou à l'exécution d'un ouvrage de diriger son action contre le ou les constructeurs avec lesquels il a conclu un contrat de louage d'ouvrage. Il lui est toutefois loisible, dans le cas où la responsabilité du ou des cocontractants ne pourrait pas être utilement recherchée, de mettre en cause, sur le terrain quasi-délictuel, la responsabilité des participants à une opération de construction avec lesquels il n'a pas conclu de contrat de louage d'ouvrage, mais qui sont intervenus sur le fondement d'un contrat conclu avec l'un des constructeurs. S'il peut, à ce titre, invoquer, notamment, la violation des règles de l'art ou la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires, il ne saurait, toutefois, se prévaloir de fautes résultant de la seule inexécution, par les personnes intéressées, de leurs propres obligations contractuelles. En outre, alors même qu'il entend se placer sur le terrain quasi délictuel, le maître d'ouvrage ne saurait rechercher la responsabilité de participants à l'opération de construction pour des désordres apparus après la réception de l'ouvrage et qui ne sont pas de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination. Il en va de même pour des désordres qui devraient être regardés comme apparents lors de la réception.
5. La commune d'Orbec recherche la responsabilité quasi-délictuelle de la société Carrières de Luget Vilhonneur, avec laquelle elle n'a pas été liée par un contrat, en qualité de fabricant des pierres qui ont servi au pavement et au dallage des abords de l'église. Il résulte toutefois de ce qui a été exposé au point 3 que la commune a décidé de prononcer la réception du marché sans réserve alors même qu'eu égard à l'ampleur des désordres affectant la voirie déjà constatés, elle était en mesure de prévoir leur extension et leurs conséquences, et que, par suite, ces désordres devaient être regardés comme apparents à la date de réception des travaux. Ainsi, alors qu'elle aurait pu utilement rechercher la responsabilité de son cocontractant, la société SNTPP, la commune d'Orbec n'a pas poursuivi dans cette voie. Dans ces conditions, elle ne peut désormais rechercher la responsabilité de la société Carrières de Luget Vilhonneur, fournisseur des pierres ayant servi à l'ouvrage et cocontractante de la seule société SNTPP, sur un fondement quasi délictuel. Il en résulte que les conclusions présentées sur ce fondement par la commune d'Orbec ne peuvent qu'être rejetées.
6. Il résulte de tout ce qui précède que la commune d'Orbec n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Sur les frais d'instance :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à l'octroi d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens à la partie perdante. Il y a lieu, dès lors, de rejeter les conclusions présentées à ce titre par la commune d'Orbec. En revanche, il convient, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette dernière, sur le fondement des mêmes dispositions, la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés respectivement par la société Gagneraud construction et la société Carrières de Luget Vilhonneur.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la commune d'Orbec est rejetée.
Article 2 : La commune d'Orbec versera respectivement à la société Gagneraud construction et à la société Carrières de Luget Vilhonneur la somme de 1 000 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune d'Orbec, à la société Gagneraud construction et à la société Carrières de Luget Vilhonneur.
Délibéré après l'audience du 18 mai 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. C..., président assesseur,
- Mme G..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juin 2021.
Le rapporteur,
C. C...
Le président,
L. Lainé
La greffière,
V. Desbouillons
La République mande et ordonne au préfet du Calvados en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT02712