Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 28 septembre 2017, M. E..., représenté par MeC..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 31 juillet 2017 ;
2°) d'annuler les arrêtés du 10 juillet 2017 du préfet de Maine-et-Loire ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Sarthe de réexaminer sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à leur conseil de la somme de 1 700 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
en ce qui concerne la décision portant remise aux autorités allemandes :
- elle est insuffisamment motivée ;
- il n'est pas établi que " l'entretien Dublin " ait été conduit conformément aux dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- les articles 26 du règlement n° 604/2013 et L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ont été méconnus ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen personnalisé de sa situation, au regard notamment de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, eu égard aux risques encourus en cas de retour au Soudan, du rejet de sa demande d'asile en Allemagne, et ce d'autant plus qu'il est vulnérable eu égard à son état de santé fragile ;
- le préfet de la Sarthe a écarté, sans explication, l'application des articles 3 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 permettant de déroger aux règles applicables de réadmission afin de prendre en compte sa situation personnelle ;
en ce qui concerne la décision portant assignation à résidence :
- elle est insuffisamment motivée ;
- les articles 26 du règlement n° 604/2013 et L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ont été méconnus ;
- l'illégalité de la décision portant remise aux autorités allemandes entraînera celle de la décision portant assignation à résidence ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle a pour effet de le priver de son droit au recours effectif garanti par l'article 27 du règlement " Dublin III ".
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 octobre 2017, le préfet de la Sarthe conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par M. E... n'est fondé.
M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 1er septembre 2017.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Allio-Rousseau ;
- et les observations de MeB..., représentant M. E....
Considérant ce qui suit :
1. M. D...E..., ressortissant soudanais né le 16 juin 1976, est entré irrégulièrement en France. Il y a sollicité l'asile le 16 mai 2017. Le même jour, la consultation du fichier Eurodac ayant révélé que l'intéressé avait déjà sollicité l'asile en Allemagne en 2014, le préfet de la Sarthe a demandé sa reprise en charge par les autorités de ce pays, sur le fondement des dispositions du d de l'article 18-1 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Cette demande a été explicitement acceptée par les autorités allemandes le 18 mai 2017. Par deux arrêtés du 10 juillet 2017, le préfet de la Sarthe a décidé, d'une part, la remise de M. E...aux autorités allemandes et, d'autre part, son assignation à résidence pour une durée maximale de 45 jours renouvelables, dans la ville du Mans. M. E... relève appel du jugement du 31 juillet 2017 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux arrêtés.
En ce qui concerne l'arrêté de remise aux autorités allemandes :
2. En premier lieu, il ressort de la lecture de l'arrêté contesté qu'il vise les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Cet arrêté n'avait pas à mentionner le règlement n° 603/2013 du 26 juin 2013 dès lors qu'il n'a pas été directement pris pour l'application de celui-ci. Par ailleurs, le préfet de la Sarthe a indiqué, après avoir rappelé les éléments propres à la situation personnelle de M.E..., que l'Allemagne, responsable de la demande d'asile de l'intéressé sur le fondement du d de l'article 18-1 du règlement n° 604/2013, a accepté de reprendre celui-ci en charge, que l'intéressé n'établit pas être exposé à des peines ou traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour en Allemagne et qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Le préfet mentionne également que l'intéressé ne relève pas des dérogations prévues par les articles 3-2 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté comme manquant en fait.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. ( ...) ".
4. Il ressort des pièces du dossier que l'absence d'indication de l'identité de l'agent ayant conduit l'entretien individuel dont il a bénéficié n'a pas privé M. E... de la garantie tenant au bénéfice d'un tel entretien et de la possibilité de faire valoir toutes observations utiles, comme il ressort d'ailleurs des termes du compte-rendu réalisé à l'issue de cet entretien mené le 16 mai 2017, s'agissant notamment de son séjour en Allemagne, de ses demandes d'asile dans ce pays, de sa situation personnelle et familiale et de son état de santé. Par ailleurs, aucun élément du dossier n'établit que cet entretien n'aurait pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national et dans des conditions qui n'en auraient pas garanti la confidentialité. Il s'ensuit que le moyen tiré de la violation de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ne peut qu'être écarté.
5. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que la notification de l'arrêté contesté a été effectuée le 26 juillet 2017 par un interprète en langue arabe, que M. E...a déclaré comprendre. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 26 du règlement n° 604/2013 et de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut en tout état de cause qu'être écarté.
6. En quatrième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...). La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. (...) / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable (...) ". L'application de ces critères peut toutefois être écartée en vertu de l'article 17 du même règlement, aux termes duquel : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Enfin, aux termes des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni a des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".
7. D'une part, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de la Sarthe se serait cru lié par la compétence des autorités allemandes et n'aurait pas procédé à un examen complet et rigoureux de la situation de M. E...et des conséquences de sa réadmission en Allemagne au regard notamment des garanties exigées par le respect du droit d'asile. En conséquence, le requérant n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté qu'il conteste serait entaché d'un défaut d'examen sérieux de sa situation personnelle.
8. D'autre part, si M. E...soutient que les autorités allemandes, qui ont accepté de le reprendre en charge, le renverront au Soudan où sa vie est menacée, compte tenu de son appartenance à l'ethnie nouba, l'intéressé ne verse au dossier aucun élément tendant à établir qu'il aurait fait l'objet en Allemagne d'une décision d'éloignement vers son pays d'origine dont l'exécution serait inévitable. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la décision de remise aux autorités allemandes serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions précitées du paragraphe 1 de l'article 17 du règlement n° 604/2013 doit être écarté.
9. Enfin, les éléments versés au dossier par le requérant ne suffisent pas à établir qu'il ne pourrait pas bénéficier en Allemagne des soins appropriés à son état de santé.
En ce qui concerne l'arrêté d'assignation à résidence :
10. En premier lieu, l'arrêté contesté vise les articles L. 561-2 et R. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et indique les raisons pour lesquelles M. E...est assigné à résidence ainsi que la durée et les modalités de cette mesure. Par suite, l'arrêté contesté est suffisamment motivé.
11. En deuxième lieu, il résulte des points 2 à 9 du présent arrêt que M. E...n'est pas fondé à se prévaloir de l'illégalité de la décision ordonnant sa remise aux autorités allemandes.
12. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que la notification de l'arrêté contesté a été effectuée le 26 juillet 2017 par un interprète en langue arabe, que M. E...a déclaré comprendre. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 26 du règlement n° 604/2013 et de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut en tout état de cause qu'être écarté.
13. En quatrième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'exécution de la décision de remise aux autorités allemandes ne demeurait pas une perspective raisonnable. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté contesté aurait méconnu les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
14. Enfin, M. E...a formé, dans le délai de recours applicable, un recours contentieux contre les décisions de remise et d'assignation devant le tribunal administratif de Nantes, puis a relevé appel du jugement rendu devant la présente cour. Il a pu, au cours de ces procédures, faire valoir l'ensemble des éléments nécessaires à l'appréciation de sa situation. Dans ces conditions il n'est pas fondé à soutenir que la décision d'assignation à résidence porterait atteinte à son droit au recours effectif.
15. Il résulte de tout ce qui précède que M. E...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant au bénéfice des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées par voie de conséquence.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée, pour information, au préfet de la Sarthe.
Délibéré après l'audience du 18 septembre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- Mme Tiger-Winterhalter, présidente assesseure,
- Mme Allio-Rousseau, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 5 octobre 2018.
Le rapporteur,
M-P. Allio-RousseauLe président,
L. Lainé
Le greffier,
M. A...
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17NT03017