Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 21 novembre 2017, M.A..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 20 octobre 2017 ;
2°) d'annuler les arrêtés du 17 octobre 2017 de la préfète de la Loire-Atlantique ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Loire-Atlantique de se reconnaître responsable de sa demande d'asile et de transmettre celle-ci à l'Office Français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour d'une durée minimale d'un mois à compter du prononcé du présent arrêt, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- sur la régularité du jugement attaqué : le jugement est entaché d'irrégularité en ce qu'il n'est pas suffisamment motivé, faute de préciser les éléments de faits à raison desquels le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation au regard des articles 3 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 est écarté ;
s'agissant de la décision de remise aux autorités italiennes :
- la décision est intervenue à l'issue d'une procédure irrégulière, en méconnaissance des dispositions du paragraphe 1 de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et de l'article 5 de ce même règlement ;
- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des articles 3 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui permet de déroger aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile ;
s'agissant de la décision d'assignation à résidence :
- la décision n'est pas suffisamment motivée ;
- la décision est illégale en conséquence de l'illégalité de la décision de remise aux autorités italiennes.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 novembre 2018, le préfet de la Loire-Atlantique conclut au rejet de la requête.
Il déclare s'en remettre à ses écritures de première instance.
M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 janvier 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Besse a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.A..., ressortissant guinéen né le 29 décembre 1998, qui déclare être entré irrégulièrement en France le 5 juin 2017, a présenté une demande d'asile auprès de la préfecture de la Loire-Atlantique le 7 août 2017. Les recherches effectuées sur le fichier Eurodac ont révélé que ses empreintes avaient été précédemment relevées en Italie le 21 mai 2017. La préfète de la Loire-Atlantique a alors saisi, le 7 août 2017, les autorités italiennes d'une demande de prise en charge de l'intéressé sur le fondement du 1 de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Les autorités italiennes ont implicitement accepté cette prise en charge le 8 octobre 2017. Par des arrêtés du 17 octobre 2017, la préfète de la Loire-Atlantique a décidé la remise de M. A... aux autorités italiennes en vue de l'examen de sa demande d'asile ainsi que son assignation à résidence. M. A...relève appel du jugement du 20 octobre 2017 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces arrêtés.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ". Il résulte de l'examen du jugement attaqué que, pour écarter le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation qu'aurait commise la préfète de la Loire-Atlantique au regard des articles 3 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties, a relevé d'une part, que M.A..., qui soutient souffrir de problèmes de santé et bénéficier notamment de soins dentaires en France, n'apporte aucun élément de nature à démontrer qu'il ne pourrait pas bénéficier d'une prise en charge médicale appropriée en Italie et que sa situation justifiait la mise en oeuvre de la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 précité, et d'autre part, qu'il n'apporte aucun élément de nature à établir que sa demande d'asile serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile au regard des défaillances systémiques alléguées de la procédure d'asile dans ce pays. M. A...n'est ainsi pas fondé à soutenir que le jugement attaqué serait insuffisamment motivé.
Sur le bien fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la décision de remise aux autorités italiennes :
3. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 susvisé du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement,(...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de1'entretien individuel visé à l'article 5. / (...) ". Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et, en tout cas, avant la décision par laquelle l'autorité administrative décide de ne pas instruire la demande de l'intéressé au motif que la France n'est pas responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit ou, si nécessaire pour la bonne compréhension du demandeur, oralement, et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature de ces informations, leur délivrance complète par l'autorité administrative, notamment par la remise de la brochure prévue par les dispositions précitées, constitue pour le demandeur d'asile une garantie.
4. Il ressort des pièces du dossier, notamment des mentions figurant sur le formulaire qu'il a signé à l'issue de l'entretien individuel dont il a bénéficié le 7 août 2017, que M. A...a reçu communication du guide du demandeur d'asile, d'une brochure d'information sur le règlement " Dublin " contenant une information générale sur la demande d'asile et le relevé d'empreintes (guide A) et d'une brochure d'information pour les demandeurs d'asile dans le cadre de la procédure " Dublin " (guide B), rédigés en français, langue que l'intéressé a déclaré comprendre. Ces documents comportent l'ensemble des informations requises par les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Il ressort en outre de ce même formulaire que M. A...a reconnu avoir compris les informations contenues dans ces documents, qui lui ont été communiquées oralement. Par suite, alors même qu'il ne saurait pas lire le français, M. A... n'est pas fondé à soutenir qu'il n'aurait pas reçu, dès le début de la procédure, une information complète sur ses droits en qualité de demandeur d'asile placé sous procédure dite Dublin III, en méconnaissance des dispositions précitées de l'article 4 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Entretien individuel : 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ". Ainsi qu'il a été dit au point 4, il ressort des mentions figurant sur le formulaire signé par M. A...le 7 août 2017 qu'il a bénéficié le jour même, soit avant l'intervention de la décision contestée, de l'entretien individuel prévu par l'article 5 précité du règlement n° 604/2013. Cet entretien s'est tenu en français, que l'intéressé a déclaré comprendre, et il n'est pas démontré que le requérant n'aurait pas été en capacité de comprendre les informations qui lui ont été délivrées et de faire valoir toutes observations utiles au cours de l'entretien, ainsi que cela ressort du compte-rendu qui en a été établi. En outre, l'absence d'indication de l'identité et de la qualité de l'agent ayant conduit l'entretien individuel n'a pas privé M. A...de la garantie que constitue le bénéfice de cet entretien. Aucun élément du dossier ne permet par ailleurs de tenir pour établi que ce même entretien individuel n'aurait pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national et dans des conditions qui n'en auraient pas garanti la confidentialité. Enfin, le fait que l'entretien individuel n'aurait duré qu'une vingtaine de minutes ne suffit pas à démontrer qu'il ne se serait pas déroulé dans des conditions conformes aux exigences de l'article 5 précité. Dès lors, le moyen tiré de la violation des dispositions précitées de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 doit être écarté.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Par ailleurs, aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Il résulte de ces dispositions que si une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre et qu'en principe cet Etat est déterminé par application des critères d'examen des demandes d'asile fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application de ces critères est toutefois écartée en cas de mise en oeuvre de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre. Cette faculté laissée à chaque Etat membre est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
7. D'une part, si M. A...fait état de l'existence de défaillances systémiques affectant les conditions d'accueil et de prise en charge des demandeurs d'asile en Italie, résultant de l'afflux massif de réfugiés dans ce pays, les documents qu'il produit à l'appui de ses allégations ne permettent pas d'établir que sa demande d'asile serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, alors que l'Italie est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. D'autre part, M. A...soutient qu'il souffre de problèmes de santé pour lesquels il suit un traitement médical en France dont il ne pourrait pas bénéficier en Italie. Toutefois, le seul certificat médical qu'il produit, daté du 30 octobre 2017, selon lequel il doit bénéficier de soins dentaires importants, ne permet pas de démontrer que son état de santé le placerait dans une situation de particulière vulnérabilité imposant d'instruire sa demande d'asile en France. Il en résulte que le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation qu'aurait commise la préfète de la Loire-Atlantique au regard des dispositions précitées de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 en ne faisant pas usage de la faculté d'instruire en France la demande d'asile de M. A...doit être écarté.
En ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :
8. En premier lieu, l'arrêté portant assignation à résidence de M. A...vise le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment ses articles L. 561-2, R. 561-2 et R. 561-3, ainsi que l'arrêté du même jour décidant la remise de l'intéressé aux autorités italiennes. Par ailleurs, en mentionnant que M.A..., entré irrégulièrement sur le territoire français, ne possède qu'une domiciliation administrative mais présente des garanties propres à prévenir qu'il se soustraie à l'exécution de la mesure de remise aux autorités italiennes et que l'exécution de cette mesure demeure une perspective raisonnable, l'arrêté comporte un exposé des considérations de fait sur lesquelles s'est fondée la préfète de la Loire-Atlantique pour décider d'assigner l'intéressé à résidence. Il est ainsi suffisamment motivé.
9. En deuxième lieu, il résulte des points 3 à 7 du présent arrêt que M. A...n'est pas fondé à se prévaloir, à l'encontre de la décision prononçant son assignation à résidence, de l'illégalité de la décision ordonnant sa remise aux autorités italiennes.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. A...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés du 17 octobre 2017. Ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant au bénéfice des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent, par voie de conséquence, être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. C...A...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...A...et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise au préfet de la Loire-Atlantique.
Délibéré après l'audience du 20 novembre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- Mme Tiger-Winterhalter, présidente assesseure,
- M. Besse, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 7 décembre 2018.
Le rapporteur,
P. BesseLe président,
L. Lainé
Le greffier,
M. B...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 17NT03478