Procédure devant la cour :
I. Par une requête et un mémoire, enregistrés le 22 février 2018 et le 26 septembre 2018, sous le numéro 18NT00814, M. A..., représenté par MeB..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 19 février 2018 ;
2°) d'annuler les arrêtés du 13 février 2018 de la préfète de la Loire-Atlantique ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Loire-Atlantique, à titre principal, de lui remettre une attestation de demande d'asile en procédure normale et à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans les meilleurs délais ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors qu'il n'a pas été répondu aux moyens fondés sur l'absence de critère de détermination et de base légale de la décision de réadmission en Italie et sur le défaut de prise en compte de son état de santé par le préfet de la Loire-Atlantique ;
en ce qui concerne la décision de réadmission en Italie :
- la décision est insuffisamment motivée ;
- le préfet de la Loire-Atlantique n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation notamment au regard de son état de santé ;
- les dispositions de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 ont été méconnues ;
- les dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 ont été méconnues ; il n'est pas démontré que l'entretien a été conduit par une personne qualifiée en droit national ;
- l'arrêté est entaché d'un défaut de base légale ;
- en cas de renvoi en Italie il y a un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les dispositions de l'article 17-1 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ont été méconnues ;
en ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :
- la décision n'est pas suffisamment motivée ;
- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant réadmission en Italie ;
- elle méconnait les dispositions des articles L. 561-2 et R. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît le droit au recours effectif.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 aout 2018, la préfète de la Loire-Atlantique conclut au rejet de la requête.
Elle soutient qu'aucun des moyens soulevés par M. A... n'est fondé.
II. Par une requête et des mémoires, enregistrés le 22 février 2018, le 15 mars 2018 et le 26 septembre 2018, sous le numéro 18NT00816, M. A..., représenté par MeB..., demande à la cour :
1°) de prononcer le sursis à exécution du jugement du 19 février 2018 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- en l'absence d'effet suspensif de l'appel formé, la décision de transfert aux autorités italiennes peut être exécutée à tout moment ; il est en cours de suivi sur le plan médical ; son état de santé est très préoccupant ;
- les moyens soulevés dans le cadre de sa requête enregistrée sous le n°18NT00816 sont sérieux et de nature à justifier l'annulation du jugement attaqué et des décisions de transfert et d'assignation à résidence contestées.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 aout 2018, la préfète de la Loire-Atlantique conclut au rejet de la requête.
Elle soutient qu'aucun des moyens soulevés par M. A... n'est fondé.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 27 février 2018.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique
- le rapport de Mme Allio-Rousseau ;
- et les observations de MeB..., représentant M.A....
Considérant ce qui suit :
1. M. C... A..., ressortissant guinéen né le 27 février 1999, a déclaré être entré en France le 20 août 2017. Il y a sollicité l'asile, le 28 novembre 2017, auprès des services de la préfecture de la Loire-Atlantique. La consultation du fichier Eurodac a révélé que ses empreintes digitales avaient été enregistrées en Italie le 21 mai 2017 et qu'il y avait également déposé une demande d'asile. Par deux arrêtés du 13 février 2018, la préfète de la Loire-Atlantique a ordonné sa remise aux autorités italiennes, qui avaient accepté implicitement sa reprise en charge le 16 décembre 2017, et l'a assigné à résidence. M. A...relève appel du jugement du 19 février 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux décisions et en demande également le sursis à exécution.
2. Ces requêtes sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a donc lieu de les joindre pour se prononcer par un seul arrêt.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. Aux termes de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...) La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. ". Par ailleurs, l'article 17 du même règlement dispose que : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité ". Il résulte de ces dispositions que si le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 prévoit en principe dans le paragraphe 1 de son article 3 qu'une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre et que cet Etat est déterminé par application des critères fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application des critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen des demandes d'asile est toutefois écartée en cas de mise en oeuvre de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre. Cette faculté laissée à chaque Etat membre par l'article 17 de ce règlement est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
4. Il ressort des pièces du dossier que M. A...a fait état lors de son entretien en préfecture le 28 novembre 2017 de nombreux problèmes de santé liés notamment aux difficultés et aux traumatismes subis en Lybie avant son arrivée sur le territoire italien. Il a été hospitalisé une première fois entre le 29 décembre 2017 et le 15 janvier 2018 et devait l'être à nouveau prochainement avant qu'intervienne la décision de transfert susvisée. Cette situation a été portée à la connaissance de la préfète de la Loire-Atlantique, par un courrier de son conseil du 12 janvier 2018, et de l'antenne départementale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), par des courriels de l'assistant de service social du centre hospitalier universitaire (CHU) de Nantes des 18 janvier et 8 février 2018 demandant à l'OFII pour l'intéressé, qui vivait dans un squat, un accueil en centre d'accueil des demandeurs d'asile (CADA) " pour des raisons médicales " en raison d'une particulière vulnérabilité. Un certificat médical émis le 7 février 2018 par deux médecins du pôle de psychiatrie du CHU mentionne l'hospitalisation de M. A...depuis le 18 janvier 2018 pour un état dépressif caractérisé en lien avec les situations de violences physiques et psychologiques qu'il décrivait avoir subi durant son parcours d'exil, notamment en Lybie où, ainsi que son avocate l'a rappelé à l'audience, il a été enfermé pendant au moins cinq mois à la prison de Tabrata et, outre le travail forcé, a été victime de violences dont il conserve des séquelles traumatiques se traduisant notamment par un état de détresse psychologique visible. Ce certificat indique également que son état psychique actuel, certes stable en cours de traitement, reste vulnérable et nécessite un suivi médical psychiatrique régulier. À la date de la décision en litige, M. A...bénéficiait, en plus de consultations médicales régulières, d'un suivi médicamenteux adapté. Or, il n'est pas contesté que malgré ses demandes auprès du responsable du " campo " où il s'est trouvé M. A...n'a pu accéder à aucun soin dans ce pays. Ainsi, en l'absence de toute réponse expresse à la demande de reprise en charge formulée par l'administration française, il n'existe aucune garantie que les autorités italiennes soient en mesure de prendre en compte l'état de santé du requérant et le suivi médical qu'il requiert alors qu'il ressort des pièces du dossier et des propos non contredits tenus à l'audience, où le requérant était présent, que son état est étroitement lié à la pérennité du suivi de son traitement en France, dont le défaut entraînerait une dégradation particulièrement grave de sa santé, susceptible d'être irréversible en raison en particulier de " la thymie douloureuse ... associée à des idéations suicidaires " mentionnée dans le certificat médical précité du 7 février 2018.
5. Or, dans son arrêt du 16 février 2017 C.K., H.F. et A.S. c/ Slovénie (n° C-578/16), la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que " dès lors qu'un demandeur d'asile produit, en particulier dans le cadre du recours effectif que lui garantit l'article 27 du règlement Dublin III, des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, les autorités de l'État membre concerné, y compris ses juridictions, ne sauraient ignorer ces éléments. Elles sont, au contraire, tenues d'apprécier le risque que de telles conséquences se réalisent lorsqu'elles décident du transfert de l'intéressé (...) Il appartiendrait alors à ces autorités d'éliminer tout doute sérieux concernant l'impact du transfert sur l'état de santé de l'intéressé. Il convient, à cet égard, en particulier lorsqu'il s'agit d'une affection grave d'ordre psychiatrique, de ne pas s'arrêter aux seules conséquences du transport physique de la personne concernée d'un État membre à un autre, mais de prendre en considération l'ensemble des conséquences significatives et irrémédiables qui résulteraient du transfert. ". Par suite, dans les circonstances particulières de l'espèce, eu égard à la particulière vulnérabilité de M.A..., de son jeune âge et des risques personnels pour sa santé, la préfète de la Loire-Atlantique a entaché la décision de transfert en Italie prise le 13 février 2018 d'une erreur manifeste dans l'appréciation de la situation de l'intéressé en ne faisant pas usage de la faculté d'instruire sa demande d'asile en France en application des dispositions précitées du 1 de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 13 février 2018 par lequel la préfète de la Loire-Atlantique a décidé sa remise aux autorités italiennes. Il y a lieu, par voie de conséquence, d'annuler l'arrêté du 13 février 2018 par lequel la préfète de la Loire-Atlantique a décidé de l'assigner à résidence.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".
8. Le présent arrêt, qui annule l'arrêté du 13 février 2018 par lequel le préfet de la Loire-Atlantique a décidé la remise de M. A...aux autorités italiennes, implique nécessairement qu'il soit enjoint au préfet de délivrer à ce dernier une attestation de demande d'asile lui permettant de séjourner provisoirement en France, durant l'examen de sa demande d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, dans un délai de deux semaines à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement :
9. La cour statuant au fond, les conclusions de la requête 18NT00816 par lesquelles M. A...a sollicité qu'il soit sursis à l'exécution du jugement attaqué, sont dénuées d'objet. Il n'y a plus lieu d'y statuer.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
10. M. A...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à Me B...dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 19 février 2018 et les arrêtés du préfet de la Loire-Atlantique du 13 février 2018 portant transfert de M. A...en Italie et assignation à résidence sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à la préfète de la Loire-Atlantique de délivrer à M. A...une attestation de demandeur d'asile suivant la procédure normale valant autorisation provisoire de séjour en France, dans un délai de deux semaines à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Il n'y a plus lieu de statuer sur la requête n°18NT00816 de M.A....
Article 4 : Le versement de la somme de 1 500 euros à Me B...est mis à la charge de l'Etat dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise pour information à la préfète de la Loire-Atlantique.
Délibéré après l'audience du 2 octobre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- Mme Tiger-Winterhalter, présidente assesseure,
- Mme Allio-Rousseau, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 9 novembre 2018.
Le rapporteur,
M-P. Allio-RousseauLe président,
L. Lainé
Le greffier,
V. Desbouillons
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT00814 et 18NT00816