Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 16 décembre 2021, Mme B..., représentée par Me Danet, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 18 octobre 2021 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes en tant qu'il rejette sa demande d'annulation de la décision portant transfert vers l'Espagne ;
2°) d'annuler l'arrêté du 1er octobre 2021 du préfet de Maine-et-Loire décidant son transfert aux autorités espagnoles ;
3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire à titre principal, de transmettre sa demande d'asile à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans le délai de huit jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision de transfert aux autorités espagnoles est insuffisamment motivée dès lors qu'elle n'indique pas le critère de détermination de l'Etat responsable, ni le type de saisine effectuée ;
- elle est entachée d'un vice de procédure dès lors que la preuve n'est pas rapportée de ce qu'elle a reçu une information complète et effective avant l'entretien d'individuel, qu'un interprète a été requis et que sa présence physique s'est révélée impossible, en méconnaissance de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- elle n'a pas pu préparer cet entretien individuel dès lors qu'elle pas reçu la notification de son droit d'apporter des informations sur sa situation personnelle, ses problèmes de santé et ses conditions de vie en Espagne, ceci en méconnaissance de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 ;
- la décision en litige est entachée d'une erreur de fait quant à sa vulnérabilité et d'une méconnaissance de l'article 21 de la directive (UE) n° 2013/33 du 26 juin 2013 ;
- la décision contestée est entachée d'une erreur de fait sur sa vulnérabilité, due à son parcours et à ses problèmes de santé et renforcée par son absence de prise en charge médicale en Espagne, ainsi que d'une erreur manifeste d'appréciation faute de mise en œuvre par le préfet de Maine-et-Loire de la clause discrétionnaire de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 février 2022, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par Mme B... n'est fondé.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 novembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Guéguen, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B..., ressortissante ivoirienne née le 1er avril 1985, a déclaré être entrée irrégulièrement sur le territoire français le 25 juillet 2021. Le 30 juillet 2021, elle a présenté une demande d'asile auprès de la préfecture de la Loire-Atlantique. Par les arrêtés en litige du 1er octobre 2021, le préfet de Maine-et-Loire a ordonné le transfert de Mme B... aux autorités espagnoles et l'a assignée à résidence dans le département de la Sarthe pour une durée de quarante-cinq jours. Mme B... relève appel du jugement du 18 octobre 2021 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 1er octobre 2021 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités espagnoles, responsables de l'examen de sa demande d'asile.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, en vertu des dispositions de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, toute décision de transfert d'un étranger dont la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat doit faire l'objet d'une décision écrite motivée de la part de l'autorité administrative. Cette motivation doit faire apparaître le critère de responsabilité retenu par l'autorité de l'Etat membre qui prononce ce transfert, afin de permettre au demandeur d'asile de connaître à la seule lecture de la décision le critère de détermination retenu et d'exercer dans les meilleurs conditions son droit au recours effectif. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre État membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.
3. Il ressort des termes de l'arrêté portant transfert aux autorités espagnoles, qui vise notamment la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les articles 7 et suivants et 18 du règlement (UE) n° 604/2013, que la consultation du fichier Eurodac a révélé que les empreintes de Mme B... ont été relevées le 26 mai 2021 en Espagne et que l'intéressée a franchi irrégulièrement la frontière espagnole dans la période précédant les douze mois du dépôt de sa première demande d'asile. Il indique également que les autorités espagnoles, saisies le 30 juillet 2021, ont accepté leur responsabilité par un accord implicite qui est intervenu par application de l'article 22-7 du règlement (UE) n° 604/2013. Ces motifs permettent de comprendre, alors même que l'arrêté n'indique pas expressément que les autorités espagnoles ont été saisies d'une demande de prise en charge, que le préfet de Maine-et-Loire a entendu faire application du critère prévu au paragraphe 1 de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 pour déterminer quel Etat était responsable de l'examen de la demande d'asile de la requérante. Par ailleurs, l'arrêté litigieux indique que Mme B... ne relève pas des dérogations prévues par les articles 3 ou 17 du règlement n° 604/2013, ayant notamment déclaré être séparée et avoir deux enfants mineurs, qui ne l'accompagnent pas en France et dont elle ne précise pas le lieu de résidence, ne pas avoir de membre de sa famille résidant sur le territoire français et avoir des problèmes de santé psychologique, mais sans apporter de justificatif médical à cet égard et sans établir que son état de santé, qui n'a pas limité ses déplacements en France et en Europe, se serait dégradé depuis son entrée sur le territoire français. L'arrêté précise en outre que Mme B... n'a pas consulté de médecin depuis son arrivée en Europe et qu'elle ne présente pas, à ce titre, de vulnérabilité particulière, l'Espagne pouvant, à sa demande, être informée de la nécessité éventuelle d'un suivi médical lors de son transfert. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté contesté doit être écarté.
4. En deuxième lieu, il y a lieu d'écarter, par adoption des motifs retenus à bon droit par le premier juge aux points 5 à 9 du jugement attaqué, les moyens tirés de ce que la décision contestée méconnaîtrait les dispositions des articles 4 et 5 du règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, moyens que la requérante réitère en appel sans apporter de précisions nouvelles.
5. En troisième lieu, les dispositions de la directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ne régissent pas la procédure de détermination de l'Etat membre responsable de la demande d'asile mais les normes d'accueil des personnes demandant la protection internationale. Ainsi, Mme B... ne peut utilement les invoquer à l'encontre de l'arrêté contesté. Au surplus, les dispositions de l'article 21 de cette directive ont été transposées en droit interne et codifiées aux articles L. 522-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 21 de la " directive accueil " doit être écarté comme inopérant.
6. En quatrième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Il résulte de ces dispositions que si une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre et qu'en principe cet Etat est déterminé par application des critères d'examen des demandes d'asile fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application de ces critères est toutefois écartée en cas de mise en œuvre de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre. Cette faculté laissée à chaque Etat membre est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
7. Mme B... soutient que la France aurait dû se déclarer responsable de sa demande d'asile eu égard à sa vulnérabilité particulière consécutive aux violences qu'elle a subies en Côte d'Ivoire, notamment une excision, un mariage forcé et des violences physiques et sexuelles, en raison des viols qu'elle a subis au Maroc, de sa qualité de demandeur d'asile et de femme isolée ainsi que de l'absence de prise en charge médicale de ses troubles mentaux en Espagne en dépit de ses nombreuses demandes. Toutefois, à défaut de toute pièce permettant de justifier ses affirmations et par la simple production de documents à caractère très général sur les systèmes de santé dans dix Etats membres de l'Union européenne et d'une ordonnance du 7 octobre 2021 établie par un médecin d'une permanence d'accès aux soins de santé aux fins de réalisation d'une prise de sang, Mme B... ne justifie pas des éléments de vulnérabilité particulière qu'elle invoque, dont il n'est ainsi pas établi qu'ils auraient dû conduire le préfet à mettre en œuvre la clause discrétionnaire de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013. Dans ces conditions, les moyens tirés de l'erreur de fait portant sur sa vulnérabilité et de l'erreur manifeste d'appréciation commise par le préfet de Maine-et-Loire dans l'application de l'article 17 du règlement précité ne peuvent qu'être écartés.
8. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction, sous astreinte :
9. Le présent arrêt, qui rejette la requête de Mme B...(/nom)(ano)X(/ano), n'appelle aucune mesure d'exécution. Dès lors, les conclusions de l'intéressée tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de Maine-et-Loire de transmettre sa demande d'asile à l'OFPRA ou de réexaminer sa situation doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que le conseil de Mme B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à Me Danet et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera transmise au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 22 février 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Rivas, président-assesseur,
- M. Guéguen, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 mars 2022.
Le rapporteur,
J.-Y. GUEGUEN Le président,
L. LAINÉ
La greffière,
S. LEVANT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 21NT03550