Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 30 avril 2018, M.A..., représenté par Me Néraudau, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 30 mars 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 5 mars 2018 du préfet de la Vendée ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Vendée, à titre principal de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale, et subsidiairement, de réexaminer sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'arrêté préfectoral est insuffisamment motivé ;
- la décision est intervenue à l'issue d'une procédure irrégulière, en méconnaissance des dispositions du paragraphe 1 de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et de l'article 5 de ce même règlement ;
- la décision, en ce qu'elle ne précise pas le critère de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile dont il a été fait application, est dépourvue de base légale et entachée d'une erreur de droit ;
- la décision, qui révèle que le préfet n'a pas procédé à un examen de sa situation particulière, procède d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 qui permet de déroger aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, compte tenu du risque de mauvais traitements qu'il encourt en cas de renvoi en Afghanistan par les autorités belges, et du fait que la Belgique a définitivement rejeté sa demande d'asile .
Par un courrier, enregistré le 3 décembre 2018, le préfet de la Vendée a informé la cour de ce que M. A...est considéré en fuite et l'échéance du délai d'exécution de la décision de transfert est ainsi reportée jusqu'au 29 septembre 2019.
M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 mai 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Besse ;
- et les observations de MeC..., substituant Me Néraudau, représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M.A..., ressortissant afghan né le 1er janvier 1992 déclarant être entré irrégulièrement en France le 25 septembre 2017, a présenté une demande d'asile auprès de la préfecture de police de Paris le 12 octobre 2017. Les recherches effectuées le jour même sur le fichier Eurodac ont révélé que ses empreintes avaient été relevées le 12 décembre 2016 en Allemagne et les 6 juin 2015 et 4 novembre 2017 en Belgique, où il a sollicité l'asile. Le préfet de police de Paris a alors saisi les autorités belges le 12 octobre 2017 d'une demande de reprise en charge de l'intéressé sur le fondement du b) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, que ces mêmes autorités ont expressément accepté le 24 octobre 2017. Par un arrêté du 5 mars 2018, le préfet de la Vendée a décidé de remettre M. A... aux autorités belges. M. A...relève appel du jugement du 30 mars 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 5 mars 2018 :
2. Aux termes de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Par ailleurs, aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Il résulte de ces dispositions que si une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre et qu'en principe, cet Etat est déterminé par application des critères d'examen des demandes d'asile fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application de ces critères est toutefois écartée en cas de mise en oeuvre de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre. Cette faculté laissée à chaque Etat membre est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
3. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que les affrontements armés prévalant actuellement sur l'ensemble du territoire afghan constituent une situation de conflit armé interne. Aux termes, notamment, du rapport annuel du Haut-commissaire des droits de l'Homme aux Nations Unies relatif à l'Afghanistan, la situation sécuritaire et humanitaire de l'ensemble du pays n'a cessé de se dégrader au cours des dernières années, les groupes insurgés et les forces gouvernementales afghanes s'étant rendus directement responsables d'un nombre significatif d'attaques délibérées à l'encontre des populations civiles en constante augmentation par rapport aux années précédentes et dont le Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies s'est fait l'écho dans sa résolution n° 2210 (2015) en date du 16 mars 2015. Il résulte plus particulièrement du rapport annuel sur la protection des civils dans les conflits armés publié en février 2017 par la Mission d'assistance des Nations unies en Afghanistan (UNAMA) que la situation sécuritaire et humanitaire de l'ensemble du pays s'est encore fortement dégradée durant l'année 2016. Ce rapport relève également que les groupes insurgés et les forces gouvernementales afghanes sont directement responsables de nombreuses attaques à l'encontre de populations civiles. En outre, dans sa résolution n° 2344 (2017) du 17 mars 2017, le Conseil de sécurité des Nations Unies s'est dit " de nouveau préoccupé par l'état de la sécurité en Afghanistan, en particulier par les actes de violence et les attaques perpétrés dans la région par les talibans, dont le Réseau Haqqani, ainsi que par Al-Qaida, les groupes affiliés à l'EIIL (Daech) et d'autres groupes terroristes, des groupes violents et extrémistes, des groupes armés illégaux, les criminels et les combattants terroristes étrangers ". Dans un communiqué de presse du 16 octobre 2017, le Défenseur des droits a par ailleurs demandé la suspension immédiate de l'accord de coopération conclu entre l'Union européenne et l'Afghanistan portant notamment sur les réadmissions. Ainsi, la situation prévalant notamment dans la ville même de Kaboul est susceptible d'être qualifiée de violence aveugle résultant d'un conflit armé interne au sens de l'article L. 712-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, relatif à la protection subsidiaire.
4. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que M. A..., dont la demande d'asile a été rejetée par les autorités belges le 28 septembre 2016, a fait l'objet d'un premier transfert en Belgique par les autorités françaises, à la suite duquel les autorités belges ont refusé, par une décision du 15 septembre 2017, de procéder au réexamen de sa demande d'asile. Or, le préfet de la Vendée ne conteste pas que cette dernière décision avait acquis, à la date de la décision litigieuse, un caractère définitif et immédiatement exécutoire et ne justifie pas avoir procédé à un examen particulier de la situation du requérant, ainsi qu'il y était tenu, au regard notamment du risque de renvoi de M. A...en Afghanistan par les autorités belges et de la circonstance que l'intéressé est originaire de la région de Kondoz, où la situation est susceptible d'être qualifiée de violence aveugle résultant d'un conflit armé interne au sens de l'article L. 721-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, relatif à la protection subsidiaire et fait état de sa particulière vulnérabilité eu égard à sa conversion au christianisme. Par suite, la décision litigieuse de remise de M. A...aux autorités belges est entachée d'une illégalité devant entrainer son annulation.
5. Il résulte de ce qui précède que M. A...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Vendée du 5 mars 2018.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
6. Aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé.". Le présent arrêt, qui annule l'arrêté du 5 mars 2018 par lequel le préfet de la Vendée a décidé la remise de M. A...aux autorités belges, implique seulement mais nécessairement qu'il soit enjoint au préfet de réexaminer la demande de l'intéressé dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
7. M. A...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale dans la présente instance. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Néraudau, avocate de M.A..., de la somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 30 mars 2018 et l'arrêté du préfet de la Vendée du 5 mars 2018 portant transfert de M. A...en Belgique est annulé.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Vendée de procéder au réexamen de la demande de M. A... dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Le versement de la somme de 1 500 euros à Me Néraudau est mis à la charge de l'Etat dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D...A...et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise au préfet de la Vendée.
Délibéré après l'audience du 26 février 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Tiger-Winterhalter, présidente,
- Mme Allio-Rousseau, premier conseiller,
- M. Besse, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 mars 2019.
Le rapporteur,
P. BesseLa présidente,
N. Tiger-Winterhalter
Le greffier,
M. B...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT01769