Par un jugement n° 1803854-1900690 du 4 octobre 2019, le tribunal administratif de Rennes a rejeté ces demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 9 décembre 2019, Mme E..., représentée par Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes en date du 4 octobre 2019 ;
2°) d'annuler la décision du 8 juin 2018 par laquelle la présidente du conseil départemental du Finistère a décidé de la licencier pour fautes graves ainsi que la décision du 5 décembre 2018 par laquelle la présidente du conseil départemental du Finistère a décidé de lui retirer son agrément d'assistante familiale ;
3°) de mettre à la charge du département du Finistère la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé dès lors qu'il se fonde sur des éléments produits par le département et contestés par elle de manière étayée ;
- la décision de licenciement est illégale dès lors que ni le motif du licenciement ni sa base légale n'étaient indiqués dans la convocation préalable au licenciement, en méconnaissance de l'article L. 1232-6 du code du travail auquel renvoie l'article L. 423-10 du code de l'action sociale et des familles, la contextualisation des faits invoqués et leur dates n'étant pas précisés, que cette décision de licenciement ne comporte aucune motivation précise et qu'elle n'a été précédée d'aucun échange contradictoire avec l'employeur, ses absences aux entretiens prévus ayant été justifiés par son état de santé ;
- cette décision et la décision de retrait d'agrément sont illégales dès lors que l'administration s'est fondée sur des faits inexacts et que les mesures prises à son égard ne sont pas proportionnées aux faits réellement commis.
Par un mémoire, enregistré le 16 mars 2020, le département du Finistère, représenté par la SELARL Valadou-Josselin et Associés conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de Mme E... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jouno, rapporteur,
- les conclusions de M. Besse, rapporteur public,
- et les observations de Me F..., représentant Mme E...
Considérant ce qui suit :
1.
Mme E..., qui disposait préalablement d'un agrément d'assistante familiale pour l'accueil de trois enfants ou jeunes majeurs, a conclu le 30 juin 2009 avec le département du Finistère un contrat de travail. Ce dernier prévoyait qu'elle serait employée en qualité d'assistante familiale pour une durée indéterminée afin d'accueillir à titre permanent, dans la limite du nombre fixé dans son agrément, les mineurs ou jeunes majeurs qui lui seraient confiés. A la suite, notamment, de visites effectuées à son domicile par des agents du service de l'aide sociale à l'enfance (ASE), et après avoir été convoquée à des entretiens préalables à un licenciement, la présidente du conseil départemental du Finistère a, par une lettre du 8 juin 2018, notifié à Mme E... son licenciement pour faute grave. Après réunion de la commission consultative paritaire départementale le 23 novembre 2018, elle a par ailleurs décidé, par une décision du 5 décembre 2018, de lui retirer son agrément d'assistante familiale. Mme E... a saisi le tribunal administratif de Rennes de demandes tendant à l'annulation de ces deux mesures. Par un unique jugement du 4 octobre 2019, dont elle relève appel, ces demandes ont été rejetées.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Le jugement attaqué comporte l'énoncé de l'ensemble des considérations de fait et de droit sur lesquelles il repose. La requérante n'est ainsi pas fondée à soutenir qu'il ne répondrait pas aux exigences de motivation posées par l'article L. 9 du code de justice administrative. Au surplus, la circonstance éventuelle que les premiers juges auraient, à tort, écarté certains des moyens de la requérante est insusceptible, par elle-même, de révéler une insuffisance de motivation de leur jugement et relève de la critique du bien-fondé de celui-ci.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la régularité du licenciement du 8 juin 2018 :
3. En premier lieu, aux termes du second alinéa de l'article L. 423-10 du code de l'action sociale et des familles, rendu applicable aux assistants familiaux employés par des personnes morales de droit public par l'article L. 422-1 du même code : " L'employeur qui décide de licencier (...) un assistant familial (...) doit notifier et motiver sa décision dans les conditions prévues à l'article L. 1232-6 du code du travail. (...) ". Aux termes de l'article L. 1232-6 du code du travail : " Lorsque l'employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception. / Cette lettre comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur. (...) ".
4. En l'espèce, d'une part, si la lettre du 8 juin 2018, qui notifie à Mme E... la décision de licenciement prise par son employeur public, ne comporte pas elle-même une motivation en droit, elle fait référence à la lettre de convocation à l'entretien préalable au licenciement, laquelle citait l'article L. 423-10 du code de l'action sociale et des familles qui constitue la base légale de cette décision, et doit ainsi être regardée comme énonçant sa base légale. D'autre part, cette lettre énonce en des termes circonstanciés les motifs de fait retenus pour justifier la mesure de licenciement, à savoir notamment : l'enfermement nuit et jour des enfants pris en garde, la prise de seulement deux repas par jour par ces enfants, le droit à une seule douche hebdomadaire, l'absence de vie de famille et de moments de partage avec les enfants confiés et la retenue de l'argent de poche affecté par le service à ces enfants. Le moyen tiré d'une insuffisance de sa motivation en fait doit donc être également écarté.
5. En second lieu, d'une part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 423-10 du code de l'action sociale et des familles, applicable aux assistants familiaux employés par des personnes morales de droit public : " L'employeur qui envisage, pour un motif réel et sérieux, de licencier (...) un assistant familial qu'il emploie depuis trois mois au moins convoque celui-ci et le reçoit en entretien dans les conditions prévues aux articles L. 1232-2 à L. 1232-4 du code du travail. Au cours de l'entretien, l'employeur est tenu d'indiquer le ou les motifs de la décision envisagée et de recueillir les explications du salarié ". D'autre part, aux termes de l'article L. 1232-2 du code du travail : " L'employeur qui envisage de licencier un salarié le convoque, avant toute décision, à un entretien préalable. (...) ". Il résulte de ces dernières dispositions que n'est, en principe, pas irrégulier le licenciement d'un salarié qui n'a pu se rendre à l'entretien préalable, l'employeur n'étant pas tenu de faire droit à sa demande d'une nouvelle convocation.
6. Au cas particulier, Mme E... a été convoquée par un courrier du 28 mars 2018 à un entretien le 13 avril 2018 en vue d'un éventuel licenciement. Elle n'a pas déféré à cette convocation mais, par un courrier du 6 avril 2018, a fait valoir qu'elle ne pouvait participer à cet entretien compte tenu de son hospitalisation du 4 au 16 avril 2018. Il n'est pas contesté qu'une deuxième convocation à un entretien préalable à un licenciement lui a alors été adressée le 16 mai 2018. Elle a alors fait parvenir à son employeur un certificat médical daté du 30 avril 2018 indiquant que son état de santé ne lui permettait pas de se rendre à cet entretien et a exposé qu'elle était en situation d'arrêt de travail jusqu'au 1er juin 2018. L'entretien ainsi prévu a alors été reporté au 4 juin 2018. Mais, invoquant le même certificat médical que précédemment, Mme E... a refusé d'y participer. Dans ces conditions, il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce qui est soutenu, le département du Finistère, qui a agi de manière loyale envers son employée alors, au surplus, qu'il n'était pas tenu de convoquer celle-ci à un second entretien, a pleinement respecté le caractère contradictoire de la procédure de licenciement, tel qu'il résulte des dispositions combinées du premier alinéa de l'article L. 423-10 du code de l'action sociale et des familles et de l'article L. 1232-2 du code du travail.
En ce qui concerne le bien-fondé du licenciement et la légalité interne de la décision de retrait d'agrément du 5 décembre 2018 :
7. D'une part, aux termes de l'article L. 421-2 du code de l'action sociale et des familles : " L'assistant familial est la personne qui, moyennant rémunération, accueille habituellement et de façon permanente des mineurs et des jeunes majeurs de moins de vingt et un ans à son domicile. Son activité s'insère dans un dispositif de protection de l'enfance, un dispositif médico-social ou un service d'accueil familial thérapeutique. (...) ". Aux termes de l'article L. 421-3 du même code : " L'agrément nécessaire pour exercer la profession d'assistant maternel ou d'assistant familial est délivré par le président du conseil départemental du département où le demandeur réside. (...) / L'agrément est accordé (...) si les conditions d'accueil garantissent la sécurité, la santé et l'épanouissement des mineurs et majeurs de moins de vingt et un ans accueillis, en tenant compte des aptitudes éducatives de la personne ". Aux termes du troisième alinéa de l'article L. 421-6 du même code : " Si les conditions de l'agrément cessent d'être remplies, le président du conseil général peut, après avis d'une commission consultative paritaire départementale, modifier le contenu de l'agrément ou procéder à son retrait. (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'il incombe au président du conseil départemental de s'assurer que les conditions d'accueil garantissent la sécurité, la santé et l'épanouissement des enfants accueillis et de procéder au retrait de l'agrément si ces conditions ne sont plus remplies. A cette fin, dans l'hypothèse où il est informé de suspicions de comportements susceptibles de compromettre la santé, la sécurité ou l'épanouissement d'un enfant de la part du bénéficiaire de l'agrément ou de son entourage, il lui appartient de tenir compte de tous les éléments portés à la connaissance des services compétents du département ou recueillis par eux et de déterminer si ces éléments sont suffisamment établis pour lui permettre raisonnablement de penser que l'enfant est victime des comportements en cause ou risque de l'être.
8. D'autre part, la faute grave d'un assistant familial employé par une collectivité publique est celle qui rend impossible le maintien de celui-ci comme agent de cette collectivité. L'assistant familial licencié pour ce motif perd le bénéfice des garanties énoncées à l'article L. 423-11 du code de l'action sociale et des familles et de l'indemnité prévue par l'article L. 423-12 du même code.
9. En l'espèce, Mme E... a accueilli à partir du 27 janvier 2012 deux membres d'une même fratrie, D..., née en 2004, et A..., né en 2005. A partir du 14 mars 2014, elle a également pris en charge un autre enfant, B..., né en 2008. Lors d'une entrevue avec une travailleuse sociale le 24 février 2018 chez son père, à l'occasion de l'exercice par ce dernier de son droit de visite, puis lors d'une rencontre le 7 mars 2018 avec sa référente au sein du service de l'ASE, le jeune B... a indiqué, en des termes précis et constants, qu'il était enfermé dans sa chambre toutes les nuits par Mme E..., sa porte n'étant d'ailleurs ouverte par cette dernière, les week-ends, qu'à dix heures du matin, que les enfants accueillis par Mme E... prenaient leurs petits déjeuners séparément, qu'une fois rentré de l'école il devait rester dans sa chambre, isolé des autres enfants, jusqu'à l'heure du dîner, que lors de ce repas il lui était interdit de parler à table ou même de regarder la télévision, pourtant allumée, qu'ensuite, il devait retourner à sa chambre, où se trouvait une télévision branchée sur une seule chaîne, et que, le week-end, seuls deux repas lui étaient servis, le premier vers onze heures ou midi et le second vers dix-sept heures. Par ailleurs, le jeune B... a ajouté qu'il n'avait jamais eu d'argent de poche. Il a également précisé que, lorsqu'il avait évoqué son incompréhension face à ces pratiques, Mme E... l'avait puni en le contraignant à rester seul dans sa chambre durant une semaine, y compris durant l'ensemble des repas. Par ailleurs, lors d'une rencontre avec sa référente au sein du service de l'ASE, le 28 février 2018, le jeune A... a indiqué, hors la présence de sa mère chez qui se déroulait cette rencontre, qu'il était enfermé la nuit chez Mme E... ainsi que, partiellement, en journée, des toilettes de camping étant installées dans sa chambre, que lui et les autres enfants prenaient leurs repas séparément et que le premier repas à lui être servi pouvait n'avoir lieu qu'à 13 heures ou 14 heures. Lors d'une rencontre avec cette même référente, la jeune D... a indiqué qu'elle n'était plus enfermée dans sa chambre car Mme E... lui faisait " confiance ", mais qu'elle était tenue de rester à l'étage où se trouvait celle-ci et que son premier repas était servi entre 11 et 14 heures, le seul autre repas de la journée étant celui du soir, servi entre 18 heures et 22 heures. Comme son frère, elle a précisé qu'elle était contrainte, à la demande de Mme E..., de manger rapidement, sous peine de se " faire gronder ". Tous les enfants ont par ailleurs indiqué qu'ils ne pouvaient bénéficier d'une douche qu'une fois par semaine. Enfin, lors de la visite d'agents du département au domicile de Mme E..., le 14 septembre 2018, ceux-ci ont relevé qu'aucun élément dans les pièces de vies communes ne témoignaient de la présence d'enfants et que, dans les chambres des garçons se trouvaient soit " une chaise de toilettes " soit des toilettes de camping. Prenant soin de rapporter précisément des phrases ou des membres de phrases prononcés par les époux E..., ils ont par ailleurs souligné que ceux-ci avaient reconnu devant eux avoir procédé, " depuis l'accueil d'A... ", à " l'enfermement des enfants ", notamment pour " faire une soirée tranquille " ou " recevoir des amis ", n'avoir pas " systématiquement " " donné l'argent " de poche qui était destiné aux enfants pris en charge par l'ASE et avoir mis en place des " repas alternés ".
10. Sur le fondement de ces indications graves et concordantes, la présidente du conseil départemental du Finistère a pu, sans commettre d'erreur de fait ou d'appréciation, estimer que les comportements de la requérante et de son époux étaient susceptibles de compromettre la santé, la sécurité ou l'épanouissement des enfants confiés et, pour ce motif, licencier Mme E... pour faute grave puis lui retirer son agrément en qualité d'assistante familiale.
11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté ses demandes.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce qu'une somme soit mise à la charge du département du Finistère, qui n'est pas partie perdante, au titre des frais exposés par Mme E... et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme de 1 500 euros à la charge de Mme E... à ce même titre.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.
Article 2 : Mme E... versera une somme de 1 500 euros au département du Finistère au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... E... et au département du Finistère.
Délibéré après l'audience du 29 septembre 2020 à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- M. Jouno, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 16 octobre 2020.
Le rapporteur,
T. JounoLe président,
L. Lainé
Le greffier,
V. Desbouillons
La République mande et ordonne au préfet du Finistère en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT04733
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