Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 5 novembre 2019, la commune de Larmor Plage et Groupama Loire Bretagne, représentées par Me D..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 11 septembre 2019 du tribunal administratif de Rennes ;
2°) de condamner la société CEIL à verser à la commune de Larmor Plage la somme de 500 euros avec intérêts aux taux légal à compter de la quittance subrogatoire du 20 mai 2015 ;
3°) de condamner la société CEIL à verser à Groupama Loire Bretagne la somme de 27 326,20 euros avec intérêts aux taux légal à compter de la quittance subrogatoire du 20 mai 2015 ;
4°) de mettre à la charge de la société CEIL les frais d'expertise ;
5°) de mettre à la charge de la société CEIL une somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- le jugement est irrégulier dès lors que le rapporteur public, d'une part, a indiqué le sens de ses conclusions la veille de l'audience et, d'autre part, n'a pas précisé les motifs du rejet de leurs demandes ;
- les désordres constatés à la suite de l'épisode venteux de la nuit du 18 au 19 décembre 2013 présentent un caractère décennal et engagent la responsabilité de la société CEIL sur ce fondement :
o l'ouvrage est impropre à destination comme l'a relevé le rapport d'expertise ;
o le fait que l'ouvrage ait subi des infiltrations d'eau entraîne automatiquement le caractère décennal des désordres ;
o la présence d'eau à l'intérieur du bâtiment ne permettait plus son utilisation normale en raison des risques de chute pour les usagers ;
o l'envol des panneaux photovoltaïques ne permettait plus au champ photovoltaïque de fonctionner, la production d'électricité ayant dû être arrêtée pendant six mois ;
o l'ouvrage n'était plus clos sur quinze mètres linéaires à la suite de l'envol des châtières ventilées, ce qui l'a rendu impropre à sa destination, voire aurait pu porter atteinte à sa solidité sans les mesures conservatoires prises en urgence par la commune de Larmor Plage ;
- les désordres sont imputables à la société CEIL qui ne peut se prévaloir d'aucune cause exonératoire ;
- les préjudices subis par Groupama Loire Bretagne, qui est subrogée à la commune de Larmor Plage en raison du versement d'une indemnité de 26 066 euros, s'élèvent à 26 539,20 euros au titre des mesures conservatoires et des dommages à la toiture ainsi que 787 euros au titre des frais résultant de la présence de son expert ;
- les préjudices subis par la commune de Larmor Plage s'élèvent à 500 euros au titre de la franchise restant à sa charge à la suite de l'indemnisation versée par Groupama Loire Bretagne.
Par un mémoire, enregistré le 3 mars 2020, la société CEIL, représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la commune de Larmor Plage et de Groupama Loire Bretagne le versement d'une somme de 3 500 euros au titre des frais liés au litige sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement n'est pas irrégulier ;
- les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 13 janvier 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 5 mars 2020.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lainé, président de chambre,
- les conclusions de M. Besse, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., représentant la CRAMA Bretagne Pays de Loire et la commune de Larmor Plage.
Considérant ce qui suit :
1. La commune de Larmor Plage (Morbihan) a entrepris, entre 2010 et 2011, la construction d'un bâtiment à usage de vestiaires sportifs, comprenant notamment des panneaux photovoltaïques en toiture. La réalisation du lot n°12 " panneaux solaires photovoltaïques " a été confiée à la société CEIL. Les travaux ont été réceptionnés sans réserve le 31 aout 2011 avec effet à compter du 18 mai 2011. Dans la nuit du 18 au 19 décembre 2013, des épisodes venteux ont entraîné l'envol des châtières ventilées situées au niveau du faîtage sur un linéaire de quinze mètres, ce qui aurait conduit à des pénétrations d'eau dans le bâtiment. Dès le samedi 21 décembre 2013, et par plusieurs interventions jusqu'à mi-février 2014, la commune de Larmor Plage a pris des mesures en urgence afin de limiter les désordres, consistant notamment en l'élingage des faîtages. Le 23 mai 2014, un huissier de justice requis par la commune de Larmor Plage a constaté que, sur pratiquement la totalité de la surface concernée, la partie supérieure des panneaux avec la grille de ventilation avait disparu et qu'à l'intérieur du bâtiment, une vingtaine de dalles de faux-plafonds du bureau et de la salle de réception présentaient des taches ou des marques vraisemblablement dues à des entrées d'eau. Après une réunion d'expertise contradictoire le 12 mars 2015, la commune de Larmor Plage a été indemnisée par son assureur, Groupama Loire Bretagne, pour un montant de 26 066 euros, après déduction d'une franchise de 500 euros. Aucun accord amiable n'étant intervenu avec la société CEIL, la commune de Larmor Plage et Groupama Loire Bretagne ont saisi le tribunal administratif de Rennes le 7 décembre 2016 d'une action fondée sur la garantie décennale des constructeurs. Par un jugement avant dire droit du 23 août 2018, le tribunal administratif de Rennes a ordonné une expertise en vue notamment de déterminer si les désordres constatés ont été de nature à rendre l'ouvrage impropre à sa destination ou à compromettre sa solidité. Le rapport de l'expert a été remis au greffe du tribunal administratif de Rennes le 14 janvier 2019. Par un jugement du 11 septembre 2019, le tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande de la commune de Larmor Plage et de Groupama Loire Bretagne, qui relèvent appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 711-3 du code de justice administrative : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne ". La communication aux parties du sens des conclusions, prévue par ces dispositions, a pour objet de mettre les parties en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu'elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l'appui de leur argumentation écrite et d'envisager, si elles l'estiment utile, la production, après la séance publique, d'une note en délibéré. En conséquence, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d'adopter, à l'exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire, notamment celles qui sont relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Cette exigence s'impose à peine d'irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public.
3. D'une part, il ressort des pièces du dossier que, conformément à l'article R. 711-3 du code de justice administrative, le rapporteur public a mis en ligne sur l'application " Sagace ", le sens de ses conclusions et a indiqué qu'il conclurait dans le sens d'un " rejet au fond ". Ce faisant, le rapporteur public, qui n'avait pas l'obligation à peine d'irrégularité de préciser les raisons pour lesquelles il écartait l'ensemble des moyens invoqués à l'appui de la demande, a mis les parties ou leurs mandataires à même de connaître l'ensemble des éléments du dispositif de la décision qu'il comptait proposer à la formation de jugement d'adopter. D'autre part, en indiquant aux parties, plus de vingt-quatre heures avant l'audience, qu'il conclurait au rejet au fond de la requête de la commune de Larmor Plage et de Groupama Loire Bretagne, le rapporteur public devant le tribunal administratif de Rennes les a informées, dans un délai raisonnable avant l'audience, du sens de ses conclusions en indiquant les éléments du dispositif de la décision qu'il comptait proposer à la formation de jugement d'adopter.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans.
5. Il résulte de l'instruction, notamment du procès-verbal de constat d'huissier du 23 mai 2014 et du rapport d'expertise, que les désordres, faisant suite à l'épisode venteux survenu dans la nuit du 18 au 19 décembre 2013, consistent uniquement en des marques ou tâches sur une vingtaine de dalles dans le bureau et dans la salle de réception du bâtiment, causées par des pénétrations d'eaux de faible importance durant la tempête. En outre, il résulte de l'instruction que ces désordres n'ont pas empêché, ni même compromis, la bonne utilisation du bâtiment conformément à sa destination, ce dernier n'ayant jamais été inutilisé, et n'ont notamment pas entraîné de risques pour la sécurité des usagers. De même, si les requérantes font valoir que la production d'électricité a été arrêtée durant près de six mois, il résulte de l'instruction que cet arrêt de production, par précaution et faisant suite à une demande des pompiers en ce sens, n'implique pas une interruption de l'électricité à l'intérieur du bâtiment, ni que le champ photovoltaïque, qui ne constituait d'ailleurs pas la destination essentielle du bâtiment, était inutilisable. Dans ces conditions, les désordres constatés n'ont pas rendu le bâtiment impropre à sa destination de vestiaire affecté à des activités sportives, ni n'ont porté atteinte à sa solidité. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction qu'en l'absence d'intervention de la commune les désordres se seraient amplifiés de manière telle qu'ils auraient affecté l'usage ou la solidité du bâtiment. Par suite, les désordres constatés ne sont pas au nombre de ceux qui peuvent engager la responsabilité décennale des constructeurs.
6. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Larmor Plage et Groupama Loire Bretagne ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande tendant à la condamnation de la société CEIL à leur verser les sommes totales de 27 326,20 euros pour l'assureur et 500 euros pour la commune, assorties des intérêts au taux légal à compter de la quittance subrogatoire du 20 mai 2015.
Sur les frais d'expertise :
7. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. (...) ".
8. Par le point 7 du jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a laissé les frais d'expertise à la charge de la commune. La société CEIL n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, et en l'absence de circonstances particulières, les conclusions de la commune de Larmor Plage et de Groupama Loire Bretagne tendant à mettre les frais d'expertise à la charge de la société CEIL doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
9. En premier lieu, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société CEIL, qui n'est pas tenue aux dépens, la somme que demandent la commune de Larmor Plage et Groupama Loire Bretagne au titre des frais qu'elles ont exposés et non compris dans les dépens.
10. En deuxième lieu, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la société CEIL présentées sur le fondement de ces mêmes dispositions.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la commune de Larmor Plage et de Groupama Loire Bretagne est rejetée.
Article 2 : Les frais d'expertise sont laissés à la charge définitive de la commune de Larmor Plage.
Article 3 : Les conclusions de la société CEIL présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Larmor Plage, à Groupama Loire Bretagne, et à la société CEIL.
Une copie en sera adressée pour information à M. A..., expert.
Délibéré après l'audience du 1er décembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- M. Jouno, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 décembre 2020.
Le président, rapporteur,
L. LainéL'assesseur le plus ancien,
C. RivasLe rapporteur,
H. BrasnuLe président,
F. Bataille
Le greffier,
V. Desbouillons
Le greffier,
A. Rivoal
La République mande et ordonne au préfet du Morbihan en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT04257