Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 novembre 2017, M. B..., représenté par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 29 septembre 2017 ;
2°) d'annuler les arrêtés du 15 septembre 2017 du préfet de la Mayenne ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors qu'il n'a pas été répondu au moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
en ce qui concerne la décision de réadmission en Italie :
- la décision a été signée par une autorité incompétente ;
- les dispositions de l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 et de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ont été méconnues ;
- les dispositions de l'article 5.6 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ont été méconnues ; il n'a pas été rendu destinataire d'une copie du compte-rendu de son entretien individuel ; la procédure contradictoire a en conséquence été méconnue ;
- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- en cas de renvoi en Italie il y a un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; les dispositions de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ont été méconnues ;
en ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :
- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant réadmission en Italie ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 février 2018, le préfet de la Mayenne conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par M. B... n'est fondé.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 19 octobre 2017.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Allio-Rousseau a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C...B..., né le 1er janvier 1985 et de nationalité érythréenne, déclare être entré irrégulièrement en France le 5 février 2017. Il a sollicité l'asile auprès de la Préfecture de Police de Paris le 5 avril 2017. Le relevé de ses empreintes digitales a permis de constater qu'elles figuraient déjà dans le fichier Eurodac comme ayant été relevées en Italie, où l'intéressé a sollicité l'asile le 2 mai 2016. Par deux arrêtés du 15 septembre 2017, le préfet de la Mayenne a ordonné sa remise aux autorités italiennes, qui avaient accepté implicitement sa reprise en charge le 17 juillet 2017, et son assignation à résidence. M. B... relève appel du jugement du 29 septembre 2017 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux décisions.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Ainsi que le fait valoir M. B..., le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes n'a pas répondu au moyen, qui n'était pas inopérant, tiré de ce que l'arrêté contesté du 15 septembre 2017 par lequel le préfet de la Mayenne a décidé sa réadmission en Italie, avait été pris en méconnaissance des garanties prévues par les règles régissant l'asile en raison de l'existence de défaillances systémiques dans la procédure conduite au sein de ce pays. Le jugement doit, en raison de cette omission, être annulé, en tant qu'il a rejeté les conclusions dirigées contre cet arrêté.
3. En conséquence, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions de la demande présentée par M. B...devant le tribunal administratif de Nantes dirigées contre l'arrêté portant réadmission vers l'Italie et de statuer, par l'effet dévolutif de l'appel, sur les conclusions présentées par l'intéressé contre l'arrêté portant assignation à résidence.
Sur la légalité des arrêtés en litige :
En ce qui concerne l'arrêté de transfert aux autorités italiennes :
4. En premier lieu, l'arrêté de transfert aux autorités italiennes a été signé, pour le préfet de la Mayenne, par Mme Cesari-Giordani, secrétaire générale de la préfecture. Par un arrêté du 26 octobre 2016, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture, le préfet lui a accordé une délégation à l'effet de signer notamment " tous les actes, arrêtés, décisions (...), relevant des attributions de l'Etat dans le département de la Mayenne ", à l'exception de certains actes limitativement énumérés au nombre desquels ne figurent pas la décision contestée. Dès lors le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté de remise aux autorités italiennes doit être écarté comme manquant en fait.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend (...)".
6. Il ressort des pièces du dossier et notamment du résumé de l'entretien individuel, qui s'est déroulé en tigrigna langue comprise par le requérant, que celui-ci atteste avoir reçu, le 5 avril 2017, le guide du demandeur d'asile et l'information sur les règlements communautaires. La brochure d'information sur le règlement Dublin contenant une information générale sur la demande d'asile et le relevé d'empreintes, rédigée par la Commission (guide A), et la brochure d'information pour les demandeurs d'asile dans le cadre de la procédure Dublin rédigée par la Commission (guide B) ont été remises à l'intéressé en langue tigrigna. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 doit être écarté.
7. En troisième lieu, à la différence de l'obligation d'information instituée par le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, l'obligation d'information prévue par les dispositions de l'article 29, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 a uniquement pour objet et pour effet de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, laquelle est garantie par l'ensemble des Etats membres relevant du régime européen d'asile commun. La méconnaissance de cette obligation d'information dans une langue comprise par l'intéressé ne peut donc être utilement invoquée à l'encontre des décisions par lesquelles l'Etat français remet un demandeur d'asile aux autorités compétentes pour examiner sa demande.
8. En quatrième lieu, il ressort du compte rendu d'entretien que M. B...a lui même attesté s'être vu remettre une copie de ce dernier qui lui a été remise le 5 avril 2017 à l'issue de cet entretien mené en langue tigrigna. Par suite, le moyen tiré de ce que le résumé de l'entretien individuel ne lui a pas été communiqué en temps utile, en méconnaissance des dispositions de l'article 5.6 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, doit être écarté.
9. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (...) ".
10. M.B..., qui séjournait sur le territoire français depuis 7 mois à la date de la décision en litige, ne se prévaut d'aucune vie familiale et se borne à faire valoir qu'il a " d'ores et déjà effectué plusieurs démarches en France et démontre sa volonté d'intégration à la société française ". Dans ces conditions, il n'est pas fondé à soutenir que la décision attaquée porterait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale tel qu'il est garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
11. En sixième et dernier lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...). La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. (...) / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable (...) ". L'application de ces critères peut toutefois être écartée en vertu de l'article 17 du même règlement, aux termes duquel : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Il résulte de ces dispositions que si le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 pose en principe dans le 1 de son article 3 qu'une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre et que cet Etat est déterminé par application des critères fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application des critères d'examen des demandes d'asile est toutefois écartée en cas de mise en oeuvre de la clause dérogatoire énoncée au 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre.
12. M. B...fait état de la situation exceptionnelle dans laquelle se trouve l'Italie, confrontée à un afflux sans précédent de réfugiés, ce d'autant que le pays ne bénéficie plus des accords de relocalisation dans les autres Etats de l'Union européenne depuis le 26 septembre 2017. Il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier que cette circonstance exposerait sa demande d'asile à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Il n'est pas établi qu'il serait personnellement exposé à des risques de traitements inhumains ou dégradants en Italie, alors que ce pays est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dès lors, doit être écarté le moyen tiré de ce qu'en ne dérogeant pas aux critères de détermination de l'Etat responsable de sa demande d'asile, la décision contestée aurait été prise en méconnaissance des dispositions de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et du droit constitutionnel d'asile.
Sur l'arrêté d'assignation à résidence :
13. Il résulte des points 4 à 12 du présent arrêt que M. B...n'est pas fondé à se prévaloir de l'illégalité de la décision ordonnant sa remise aux autorités italiennes.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est fondé ni à demander l'annulation de l'arrêté portant réadmission vers l'Italie, ni à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté ses conclusions dirigées contre l'arrêté du même jour l'assignant à résidence.
Sur le surplus des conclusions :
15. Doivent être rejetées par voie de conséquence les conclusions présentées par M. B... tendant au bénéfice de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 29 septembre 2017 est annulé en tant qu'il statue sur les conclusions de M. B... dirigées contre l'arrêté du 15 septembre 2017 par lequel le préfet de la Mayenne a décidé sa remise aux autorités italiennes.
Article 2 : La demande présentée par M. B...devant le tribunal administratif de Nantes tendant à l'annulation de l'arrêté du 15 septembre 2017 par lequel le préfet de la Mayenne a décidé sa remise aux autorités italiennes et le surplus des conclusions de sa requête sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise pour information au préfet de la Mayenne.
Délibéré après l'audience du 2 octobre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- Mme Tiger-Winterhalter, présidente assesseure,
- Mme Allio-Rousseau, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 19 octobre 2018.
Le rapporteur,
M-P. Allio-RousseauLe président,
L. Lainé
Le greffier,
V. Desbouillons
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 17NT03413