Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 11 avril 2018, MA..., représenté par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 14 septembre 2017 ;
2°) d'annuler les arrêtés du 11 septembre 2017 du préfet de la Mayenne ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
en ce qui concerne l'arrêté de remise :
- il n'est pas démontré que le signataire de l'arrêté contesté disposait d'une délégation de signature ;
- il n'est pas établi qu'il a bénéficié d'une information dans une langue qu'il comprend concernant la procédure d'asile et la procédure de relevé d'empreintes, en méconnaissance de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 et de l'article 29 du règlement n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;
- l'exécution de la décision de transfert est intervenue tardivement en méconnaissance de l'article 29 du règlement n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;
- la décision méconnait les dispositions des articles 3 et 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ; il a été secouru par la marine italienne suite au naufrage de son bateau en provenance d'Italie où il n'a pas eu accès aux soins ; s'il retournait en Italie, il n'aurait aucune garantie de voir traitée sa demande d'asile ; l'Italie connait des défaillances systémiques dans le traitement des demandes d'asile ; le droit constitutionnel d'asile a été méconnu ;
en ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :
- cette décision est fondée exclusivement sur la décision de transfert qui est illégale ;
- il soulève les mêmes moyens qu'à l'encontre de la décision de transfert.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 juin 2018, le préfet de la Mayenne conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé et précise que M. A...étant considéré comme en fuite, le délai de transfert a été prolongé jusqu'au 14 mars 2019.
M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 mai 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Tiger-Winterhalter.
Considérant ce qui suit :
1. M.A..., ressortissant érythréen né le 1er janvier 1989, est entré irrégulièrement en France, selon ses déclarations, le 20 janvier 2017 et a présenté une demande d'asile auprès de la préfecture de police de Paris le 17 mars 2017. Les recherches effectuées sur le fichier Eurodac ont révélé que ses empreintes avaient été précédemment relevées le 5 août 2016 en Italie. Le préfet de police a alors saisi les autorités de ce pays d'une demande de reprise en charge de l'intéressé qui ont implicitement donné leur accord le 21 avril 2017. Par des arrêtés du 11 septembre 2017, le préfet de la Mayenne a décidé de remettre M. A...aux autorités italiennes en vue de l'examen de sa demande d'asile et l'a assigné à résidence. M. A...relève appel du jugement du 14 septembre 2017 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.
Sur l'arrêté de remise aux autorités italiennes :
2. En premier lieu, l'arrêté de transfert aux autorités italiennes a été signé, pour le préfet de la Mayenne, par Mme Cesari-Giordani, secrétaire générale de la préfecture. Par un arrêté du 26 octobre 2016, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture, le préfet lui a accordé une délégation à l'effet de signer notamment " tous les actes, arrêtés, décisions (...), relevant des attributions de l'Etat dans le département de la Mayenne ", à l'exception de certains actes limitativement énumérés au nombre desquels ne figure pas la décision contestée. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté de remise aux autorités italiennes doit être écarté comme manquant en fait.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend (...)".
4. Il ressort des pièces du dossier et notamment du résumé de l'entretien individuel, qui s'est déroulé en tigrigna, langue comprise par le requérant, que celui-ci atteste avoir reçu, le 17 mars 2017, la brochure d'information sur le règlement Dublin contenant une information générale sur la demande d'asile et le relevé d'empreintes, rédigée par la Commission (guide A), ainsi que la brochure d'information pour les demandeurs d'asile dans le cadre de la procédure Dublin rédigée par la Commission (guide B), en langue tigrigna également. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 doit être écarté.
5. En troisième lieu, à la différence de l'obligation d'information instituée par le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, l'obligation d'information prévue par les dispositions de l'article 29, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 a uniquement pour objet et pour effet de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, laquelle est garantie par l'ensemble des Etats membres relevant du régime européen d'asile commun. La méconnaissance de cette obligation d'information dans une langue comprise par l'intéressé ne peut donc être utilement invoquée à l'encontre des décisions par lesquelles l'Etat français remet un demandeur d'asile aux autorités compétentes pour examiner sa demande.
6. En quatrième lieu, aux termes de l'article 29.1 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Le transfert du demandeur (...) de l'État membre requérant vers l'État membre responsable s'effectue (...) au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée (...) ". Par ailleurs, selon l'article 29.2 du même texte : " Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant. Ce délai peut être porté (...) à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite ".
7. Il ressort des pièces du dossier que M. A...a sollicité l'asile en France le 17 mars 2017 et que les autorités italiennes doivent être regardées comme ayant implicitement accepté de le reprendre en charge le 21 avril 2017. Ainsi le délai de six mois prévu par l'article 29.1 du règlement n° 604/2013 arrivait à expiration le 21 octobre 2017. Toutefois, le préfet fait valoir, sans être contredit sur ce point, que le transfert de M. A...était programmé le 2 octobre 2017 mais qu'il ne s'est pas présenté à l'escorte de police chargé de l'acheminer à l'aéroport Roissy Charles-de-Gaulle où un vol à destination de Bologne était prévu. L'intéressé a donc été déclaré en fuite et le délai de transfert a été reporté au 14 mars 2019. Ainsi les stipulations précitées de l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 n'ont pas été méconnues.
8. En cinquième et dernier lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...). La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. (...) / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable (...) ". L'application de ces critères peut toutefois être écartée en vertu de l'article 17 du même règlement, aux termes duquel : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Il résulte de ces dispositions que si le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 pose en principe dans le 1 de son article 3 qu'une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre et que cet Etat est déterminé par application des critères fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application des critères d'examen des demandes d'asile est toutefois écartée en cas de mise en oeuvre de la clause dérogatoire énoncée au 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre.
9. M. A...fait état de la situation exceptionnelle dans laquelle se trouve l'Italie, confrontée à un afflux sans précédent de réfugiés. Il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier que cette circonstance exposerait sa demande d'asile à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Par ailleurs, M. A...fait valoir qu'après avoir été secouru en mer par la marine italienne alors qu'il se trouvait à bord d'une embarcation en provenance de Libye, il a passé cinq mois dans un camp de réfugiés où il a bénéficié de nourriture mais n'a pas reçu de soins. Toutefois, le requérant ne fait état d'aucun élément de particulière vulnérabilité l'exposant en Italie à des risques de traitements inhumains ou dégradants, alors que ce pays est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dès lors, doit être écarté le moyen tiré de ce qu'en ne dérogeant pas aux critères de détermination de l'Etat responsable de sa demande d'asile, la décision contestée aurait été prise en méconnaissance des dispositions des articles 3 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et du droit constitutionnel d'asile et serait entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
Sur l'arrêté d'assignation à résidence :
10. Il résulte des points 2 à 9 du présent arrêt que M. A...n'est pas fondé à se prévaloir de l'illégalité de la décision ordonnant sa remise aux autorités italiennes.
11. Par ailleurs, si M. A...indique reprendre à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté d'assignation à résidence, les mêmes moyens que ceux soulevés à l'appui de ses conclusions dirigées contre l'arrêté de remise à l'Italie, une telle formulation ne saurait être regardée comme suffisante pour préciser les moyens qu'il entend invoquer à l'encontre de cette décision distincte et mettre le juge à même d'y statuer.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté ses conclusions dirigées contre les arrêtés du préfet de la Mayenne du 11 septembre 2017 portant transfert aux autorités italiennes et l'assignant à résidence.
Sur le surplus des conclusions :
13. Doivent être rejetées par voie de conséquence les conclusions présentées par M. A... tendant au bénéfice des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M C...A...et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise au préfet de la Mayenne.
Délibéré après l'audience du 8 janvier 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- Mme Tiger-Winterhalter, présidente assesseure,
- M. Besse, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 25 janvier 2019.
La rapporteure,
N. Tiger-WinterhalterLe président,
L. Lainé
Le greffier,
V. Desbouillons
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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18NT01459