Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 16 avril 2021 et 7 février 2022, le département du Morbihan, représenté par Me Caradeux, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 18 février 2021 du tribunal administratif de Rennes ;
2°) de mettre à la charge de Mme C... la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que l'annulation des décisions des 19 juillet et 23 juillet 2019 du président du conseil départemental repose sur un motif erroné en fait et en droit de méconnaissance des droits de la défense et du principe du contradictoire entachant la procédure de retrait de l'agrément d'assistante familiale de Mme C..., et qu'en conséquence le tribunal a également décidé à tort d'annuler la décision prononçant son licenciement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 janvier 2022, Mme D... C..., représentée par Me Bardoul, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête du département du Morbihan ;
2°) d'enjoindre au département du Morbihan de lui délivrer un nouvel agrément dans un délai de quinze jours sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge du département du Morbihan une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par le département du Morbihan ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 18 janvier 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 10 février 2022.
Un mémoire présenté pour Mme C... a été enregistré le 7 mars 2022, soit après la clôture d'instruction.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rivas,
- les conclusions de M. Pons, rapporteur public,
- et les observations de Me Barthélémy, représentant le département du Morbihan, et de Me Bardoul, représentant Mme C....
Considérant ce qui suit :
1. Le 17 avril 2009, le président du conseil départemental du Morbihan a délivré à
Mme C... un agrément lui permettant d'accueillir à son domicile, en qualité d'assistante familiale, un enfant mineur. Cet agrément a été progressivement étendu afin de permettre l'accueil simultané de deux puis trois enfants mineurs, avec ponctuellement l'autorisation de dépasser cette capacité d'accueil pour accueillir jusqu'à cinq enfants mineurs. A... compter du 16 décembre 2013 l'époux de Mme C... a également obtenu un agrément d'assistant familial. Néanmoins, à la suite d'un évènement impliquant l'un des enfants accueillis au domicile du couple, ainsi que d'un signalement reçu par la cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP) concernant M. C..., les enfants accueillis par le couple ont été déplacés entre le 25 janvier 2019 et le 1er février 2019 vers de nouvelles familles d'accueil. Par courrier du 2 avril 2019, M. et Mme C... ont été informés que leurs agréments permettant d'exercer en qualité d'assistants familiaux étaient suspendus. Le président du conseil départemental du Morbihan a procédé, le 22 mai 2019, au licenciement de M. C... pour insuffisance professionnelle puis, le 19 juillet 2019, au retrait de son agrément. La même autorité a décidé, le 19 juillet 2019, après un avis de la commission consultative paritaire départementale (CCPD) du 20 juin précédent, de retirer l'agrément de Mme C... puis, le 23 juillet 2019, de prononcer son licenciement de son emploi d'assistante familiale.
2. Par un premier jugement n°s 1903886, 1904709 du 18 février 2021 le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision du 19 juillet 2019 du président du conseil départemental du Morbihan retirant l'agrément de M. C... et a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 22 mai 2019 décidant son licenciement pour insuffisance professionnelle. Par un second jugement n° 1904738 du 18 février 2021, dont le département du Morbihan relève appel, le tribunal administratif de Rennes a annulé les décisions des 19 et 23 juillet 2019 du président du conseil départemental du Morbihan décidant respectivement le retrait de l'agrément de Mme C... et son licenciement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne le motif d'annulation des décisions des 19 et 23 juillet 2019 du président du conseil départemental du Morbihan retenu par le jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article L. 421-3 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction applicable au présent litige : " L'agrément nécessaire pour exercer la profession d'assistant maternel ou d'assistant familial est délivré par le président du conseil départemental du département où le demandeur réside. (...) L'agrément est accordé à ces deux professions si les conditions d'accueil garantissent la sécurité, la santé et l'épanouissement des mineurs et majeurs de moins de vingt et un ans accueillis, en tenant compte des aptitudes éducatives de la personne. (...) ". L'article L. 421-6 du même code dispose que : " (...) Si les conditions de l'agrément cessent d'être remplies, le président du conseil départemental peut, après avis d'une commission consultative paritaire départementale, modifier le contenu de l'agrément ou procéder à son retrait. En cas d'urgence, le président du conseil départemental peut suspendre l'agrément. Tant que l'agrément reste suspendu, aucun enfant ne peut être confié. / Toute décision de retrait de l'agrément, de suspension de l'agrément ou de modification de son contenu doit être dûment motivée et transmise sans délai aux intéressés. (...) ". Et selon l'article R. 421-23 du même code : " Lorsque le président du conseil départemental envisage de retirer un agrément, d'y apporter une restriction ou de ne pas le renouveler, il saisit pour avis la commission consultative paritaire départementale mentionnée à l'article R. 421-27 en lui indiquant les motifs de la décision envisagée. / L'assistant maternel ou l'assistant familial concerné est informé, quinze jours au moins avant la date de la réunion de la commission, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, des motifs de la décision envisagée à son encontre, de la possibilité de consulter son dossier administratif et de présenter devant la commission ses observations écrites ou orales. La liste des représentants élus des assistants maternels et des assistants familiaux à la commission lui est communiquée dans les mêmes délais. L'intéressé peut se faire assister ou représenter par une personne de son choix. / Les représentants élus des assistants maternels et des assistants familiaux à la commission sont informés, quinze jours au moins avant la date de la réunion de la commission, des dossiers qui y seront examinés et des coordonnées complètes des assistants maternels et des assistants familiaux dont le président du conseil départemental envisage de retirer, restreindre ou ne pas renouveler l'agrément. Sauf opposition de ces personnes, ils ont accès à leur dossier administratif. / La commission délibère hors la présence de l'intéressé et de la personne qui l'assiste. ".
4. Il incombe à l'autorité administrative, lorsqu'elle décide de retirer une décision d'agrément en cours de validité, de se prononcer dans le respect des droits de la défense et d'établir que la personne titulaire de l'agrément ne satisfait pas, à la date de la décision de retrait, aux conditions auxquelles la délivrance de l'agrément est subordonnée.
5. La décision contestée du président du conseil départemental du Morbihan du 19 juillet 2019 retirant l'agrément de Mme C... en qualité d'assistante familiale est motivée par une suspicion de maltraitance par son conjoint des enfants accueillis par le couple au foyer conjugal. Elle oppose principalement à Mme C..., en conséquence de cette situation et de l'existence d'une enquête de gendarmerie en cours, qu'il n'est plus possible de considérer que les conditions d'accueil des enfants qui lui sont confiés, destinées à leur assurer sécurité, santé et épanouissement, sont toujours réunies. Ce motif est mentionné dans le rapport de saisine de la commission consultative paritaire départementale, qui figurait dans le dossier administratif consulté par l'intéressée le 17 juin 2019, et pouvait être utilement discuté par celle-ci alors même que ce dossier ne comportait ni un signalement de l'inspecteur de l'enfance adressé au Procureur de la République au sujet d'attitudes inadaptées de son conjoint à l'égard des enfants accueillis à leur domicile, ni de précisions sur des faits de maltraitance commis à l'encontre d'un enfant qui avait été confié à Mme C.... Ce rapport expose ainsi que sont reprochés à M. C... des faits de gifles, gestes violents, insultes et propos grossiers envers les enfants accueillis, dont Mme C... est susceptible d'avoir été témoin. Par suite, le département du Morbihan est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé d'une part la décision du président du conseil départemental du Morbihan du 19 juillet 2019 au motif qu'elle est intervenue au terme d'une procédure viciée, en méconnaissance des droits de la défense et du principe du contradictoire et, d'autre part, par voie de conséquence, celle du 23 juillet 2019 décidant le licenciement de l'intéressée.
6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les moyens soulevés par Mme C... à l'appui de ses conclusions en annulation présentées tant devant le tribunal administratif de Rennes que devant la cour administrative d'appel de Nantes.
En ce qui concerne la légalité des décisions du 19 juillet 2019 décidant le retrait d'agrément et du 23 juillet 2019 décidant le licenciement de Mme C... :
7. En premier lieu, aux termes de l'article R. 421-27 du code de l'action sociale et des familles : " La commission consultative paritaire départementale, prévue par l'article L. 421-6, comprend, en nombre égal, des membres représentant le département et des membres représentant les assistants maternels et les assistants familiaux agréés résidant dans le département. ". L'article R. 421-28 du même code dispose que : " La présidence de la commission est assurée par le président du conseil départemental ou par un représentant qu'il désigne parmi les conseillers départementaux ou les agents des services du département. ".
8. Mme C... fait valoir que le principe d'impartialité a été méconnu dès lors que l'auteure du rapport établi en vue de la saisine de la commission consultative paritaire départementale (CCPD) a siégé lors de la réunion du 20 juin 2019 ayant examiné la situation de Mme C..., dont elle a " largement organisé la tenue et le suivi des débats ", et que cette même personne a pris la décision contestée de retrait d'agrément. S'il est établi par les pièces du dossier que Mme E..., directrice de l'enfance et de la famille du département du Morbihan, a effectivement rédigé le rapport de saisine de la commission et a signé la décision contestée du 19 juillet 2019 par délégation du président du conseil départemental, il ne résulte d'aucune disposition législative ou réglementaire qu'une telle situation serait irrégulière. Il n'est par ailleurs pas établi par les pièces au dossier que Mme E... aurait particulièrement influé sur le sens de l'avis de la commission départementale, qu'elle ne présidait pas, et qui du reste a été unanime à proposer " un maintien de l'agrément sous réserve qu'une interruption d'activité soit possible avec engagement de Mme C... de ne pas accueillir d'enfant le temps de l'enquête pénale. ". Il s'ensuit que le vice de procédure allégué ne peut qu'être écarté.
9. En deuxième lieu, il résulte des dispositions des articles L. 421-3 et L. 421-6 du code de l'action sociale et des familles qu'il incombe au président du conseil départemental de s'assurer que les conditions d'accueil garantissent la sécurité, la santé et l'épanouissement des enfants accueillis et de procéder au retrait de l'agrément si ces conditions ne sont plus remplies. A cette fin, dans l'hypothèse où il est informé de suspicions de comportements susceptibles de compromettre la santé, la sécurité ou l'épanouissement d'un enfant B... la part du bénéficiaire de l'agrément ou de son entourage, il lui appartient de tenir compte de tous les éléments portés à la connaissance des services compétents du département ou recueillis par eux et de déterminer si ces éléments sont suffisamment établis pour lui permettre raisonnablement de penser que l'enfant est victime des comportements en cause ou risque de l'être.
10. Ainsi qu'il a été exposé, la décision contestée du président du conseil départemental du Morbihan est fondée sur la circonstance que celui-ci a eu connaissance d'une suspicion de maltraitance par le conjoint de Mme C... sur les enfants accueillis par le couple au foyer conjugal, que l'examen de la situation de ce dernier également titulaire d'un agrément d'assistant familial avait permis d'identifier qu'il ne présentait pas les aptitudes éducatives nécessaires à l'exercice de ce métier, que Mme C... ne s'était pas " positionnée " face au comportement inapproprié de son conjoint, et qu'une enquête pénale concernant son conjoint était pendante. Ces circonstances, établies par les pièces du dossier s'agissant de la mise en cause du comportement de son conjoint, et l'existence d'une enquête pénale concernant des suspicions de maltraitances sur les enfants accueillis par le couple, étaient de nature à fonder la décision de retrait d'agrément de Mme C... en raison du caractère sérieux des éléments qui permettaient raisonnablement de penser qu'un ou des enfants présents au domicile de M. et Mme C... étaient ou risquaient d'être victimes de maltraitance. Du reste, la décision contestée envisageait la possibilité de réexaminer la situation de Mme C... à l'issue de l'enquête pénale. Par suite, et alors même que Mme C... soutient que les faits reprochés seraient la conséquence de manquements des services du département dans la prise en charge des enfants confiés, le moyen tiré de l'erreur d'appréciation dont serait entachée la décision contestée ne peut qu'être écarté.
11. En troisième lieu, le détournement de pouvoir allégué, au motif que le département du Morbihan cherche à incriminer M. et Mme C... afin de couvrir ses propres insuffisances dans la prise en charge des enfants qui leur avaient été confiés, n'est pas établi compte tenu de la situation décrite au point précédent et alors que la décision contestée est une décision de police administrative à caractère préventif prise dans l'intérêt des enfants accueillis.
12. En quatrième lieu, Mme C... soutient que la décision du 23 juillet 2019 décidant son licenciement est illégale du fait de l'illégalité de la décision de retrait d'agrément. Pour les motifs exposés précédemment l'illégalité de cette dernière décision n'est pas établie. Par suite, le moyen ainsi soulevé ne peut qu'être écarté.
13. Il résulte de tout ce qui précède que le département du Morbihan est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé les décisions des 19 et 23 juillet 2019 du président du conseil départemental du Morbihan décidant le retrait de l'agrément de Mme C... ainsi que son licenciement.
Sur les conclusions aux fins d'injonction sous astreinte :
14. Il résulte de ce qui précède que la demande de Mme C... tendant à ce qu'il soit enjoint au département du Morbihan de lui délivrer un nouvel agrément d'assistante familiale dans un délai de quinze jours, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ne peut qu'être rejetée.
Sur les frais d'instance :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à l'octroi d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens à la partie perdante. Il y a lieu, dès lors, de rejeter les conclusions présentées à ce titre par Mme C.... Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande du département du Morbihan, présentée sur le même fondement, à l'encontre de Mme C....
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1904738 du 18 février 2021 du tribunal administratif de Rennes est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme C... devant le tribunal administratif de Rennes en vue de l'annulation des décisions du président du conseil départemental du Morbihan du 19 juillet 2019 lui retirant son agrément en qualité d'assistante familiale et du 23 juillet 2019 la licenciant est rejetée.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au département du Morbihan et à Mme D... C....
Délibéré après l'audience du 8 mars 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- Mme Béria-Guillaumie, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 mars 2022.
Le rapporteur,
C. RIVAS
Le président,
L. LAINÉ
La greffière,
S. LEVANT
La République mande et ordonne au préfet du Morbihan en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21NT01067