Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 27 avril 2018, Mme B...C..., représentée par Me D...demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 6 avril 2018 ;
2°) d'annuler les arrêtés des 28 mars et 3 avril 2018 du préfet de la Vendée ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Vendée, à titre principal, de lui remettre une attestation de demande d'asile en procédure normale et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans les meilleurs délais ;
4°) de mettre à la charge de l'état le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
en ce qui concerne la décision de réadmission en Belgique :
- la décision est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'un vice de procédure dès lors qu'il n'est pas établi qu'elle se soit vu délivrer une information complète dans une langue comprise par elle au sens des dispositions prévues à l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 23 juin 2013 ;
- les dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 ont été méconnues ; il n'est pas démontré que l'entretien a été conduit par une personne qualifiée en droit national ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen de sa situation personnelle, notamment au regard de son état de santé ;
- la décision méconnaît par ricochet les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; la Belgique a rejeté sa demande d'asile et lui a fait obligation de quitter le territoire ; elle craint pour sa vie en Somalie, où règne une situation de violence généralisée ;
- les dispositions de l'article 17-1 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ont été méconnues ; elle aurait du pouvoir solliciter l'asile au bénéfice de la clause humanitaire, alors que sa demande d'asile a été rejetée par la Belgique et qu'elle y fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire ; la préfecture n'a pas répondu à sa demande à cet égard et a commis une erreur manifeste d'appréciation de sa situation ;
en ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :
- le jugement omet de répondre au moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation dont est entachée cette décision ;
- elle n'est pas suffisamment motivée ;
- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant réadmission en Belgique ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- elle ne peut se justifier du seul fait d'une procédure Dublin.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 juin 2018, le préfet de la Vendée conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par Mme B...C...n'est fondé.
Mme B...C...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 mai 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Tiger-Winterhalter ;
- et les observations de Me E...représentant Mme B...C....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B...C..., née le 15 septembre 1986 à Mogadiscio, ressortissante somalienne, déclare être entrée irrégulièrement en France le 8 octobre 2017. Elle a déposé une demande d'asile auprès des services de la préfecture de la Loire-Atlantique le 22 décembre suivant. Les recherches effectuées sur le fichier Eurodac ayant révélé qu'elle avait sollicité l'asile auprès des autorités belges les 3 août 2015 et 4 septembre 2017, la préfète de la Loire-Atlantique a adressé aux autorités de ce pays une demande de réadmission, le 4 janvier 2018, sur le fondement du b) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Les autorités belges ont explicitement accepté le 10 janvier 2018 de reprendre en charge Mme B...C.... Par deux arrêtés des 28 mars et 3 avril 2018, le préfet de la Vendée, d'une part, a ordonné sa remise aux autorités belges responsables de sa demande d'asile, et d'autre part, l'a assignée à résidence dans le département pour une durée de quarante cinq jours. Mme B...C...relève appel du jugement du 6 avril 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux décisions.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Mme B...C...fait valoir que le jugement attaqué serait entaché d'une omission à statuer dès lors qu'il ne répond pas au moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation dont est entachée la décision d'assignation à résidence. Toutefois, il résulte de l'instruction qu'il a été répondu à ce moyen au point 15 du jugement attaqué. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué serait irrégulier pour ce motif doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne l'arrêté de transfert en Belgique :
3. En premier lieu, en application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.
4. La décision prononçant le transfert de Mme B...C...aux autorités belges vise le règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Elle relève en outre le caractère irrégulier de l'entrée en France de l'intéressée, rappelle le déroulement de la procédure suivie lorsque celle-ci s'est présentée devant les services de la préfecture de la Loire-Atlantique et précise que la consultation du système Eurodac a fait apparaître que Mme B...C...était connue notamment des autorités belges auprès desquelles elle avait sollicité l'asile les 3 août 2015 et 4 septembre 2017. Elle mentionne également que les autorités de ce pays, saisies le 4 janvier 2018 d'une demande de reprise en charge de l'intéressée en application du b) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement du 26 juin 2013, avaient explicitement accepté cette reprise en charge le 10 janvier 2018. Il en résulte que cette décision, qui comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui la fondent, est suffisamment motivée.
5. En deuxième lieu, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions des articles 4 et 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, que Mme B...C...reprend en appel sans plus de précision, doivent être écartés par adoption des motifs retenus à bon droit par le premier juge.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Par ailleurs, aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Il résulte de ces dispositions que si une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre et qu'en principe, cet Etat est déterminé par application des critères d'examen des demandes d'asile fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application de ces critères est toutefois écartée en cas de mise en oeuvre de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre. Cette faculté laissée à chaque Etat membre est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
7. D'une part, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de la Vendée n'aurait pas procédé à un examen complet et rigoureux de la situation de Mme B...C...et des conséquences de sa réadmission en Belgique au regard notamment des garanties exigées par le respect du droit d'asile et de son état de santé. A cet égard, il ne ressort pas des pièces du dossier, notamment du compte rendu d'entretien individuel, que cette dernière n'aurait pas été en mesure de faire état de ses problèmes de santé. Par ailleurs, si Mme B...C...fait valoir qu'un suivi médical a été mis en place depuis son arrivée en France, justifié par sa détresse morale, et produit à cet égard une attestation de droits à l'assurance maladie et à la couverture maladie universelle, elle ne démontre pas que son état de santé la placerait dans une situation de particulière vulnérabilité.
8. D'autre part, l'arrêté portant réadmission de Mme B...C...aux autorités belges n'a ni pour objet ni pour effet de la contraindre à retourner en Somalie. La requérante fait certes valoir qu'une obligation de quitter le territoire belge a été prise à son encontre ayant pour effet de la renvoyer vers la Somalie où règne une situation de violence généralisée. Toutefois, à supposer qu'une telle décision ait été effectivement prise par les autorités belges, la requérante ne fournit pas d'éléments précis quant à sa provenance géographique en Somalie, alors que les différentes régions de ce vaste pays connaissent des situations de violence de degrés divers. Enfin, la requérante n'établit pas qu'elle ne serait pas en mesure de faire valoir auprès des autorités belges tout élément nouveau relatif à l'évolution de sa situation personnelle et à la situation qui prévaut en Somalie. Par suite, doivent être écartés les moyens tirés de ce qu'en ne dérogeant pas aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile et en prononçant sa remise aux autorités belges, le préfet, dont il n'est pas démontré qu'il se serait cru en situation de compétence liée, aurait entaché sa décision d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des stipulations précitées du paragraphe 1 de l'article 17 du règlement n° 604/2013.
En ce qui concerne la décision portant assignation à résidence :
9. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable à la date de l'arrêté contesté : " I. - L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger : 1° Doit être remis aux autorités compétentes d'un Etat membre de l'Union européenne en application des articles L. 531-1 ou L. 531-2 ou fait l'objet d'une décision de transfert en application de l'article L. 742-3 (...) ". Il résulte de ces dispositions que le préfet peut prendre une mesure d'assignation à résidence à l'encontre d'un étranger qui fait l'objet d'une décision de transfert vers l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile et qui présente des garanties propres à prévenir le risque de soustraction à l'exécution de la mesure d'éloignement.
10. En premier lieu, l'arrêté portant assignation à résidence de Mme B...C...vise le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment ses articles L. 561-2 et R. 561-2, ainsi que l'arrêté du même jour décidant sa remise aux autorités belges. Par ailleurs, il mentionne que l'intéressée justifie d'une domiciliation à l'association Passerelles à la Roche-sur-Yon, présente des garanties propres à prévenir qu'elle se soustraie à l'exécution de la mesure de remise aux autorités belges dans l'attente de son exécution effective, qui demeure une perspective raisonnable. Cet arrêté comporte ainsi un exposé des considérations de droit et de fait sur lesquelles s'est fondé le préfet de la Vendée pour décider d'assigner l'intéressée à résidence. Il est ainsi suffisamment motivé.
11. En deuxième lieu, il résulte des points 3 à 8 du présent arrêt que Mme B...C...n'est pas fondée à se prévaloir, à l'encontre de la décision prononçant son assignation à résidence, de l'illégalité de la décision ordonnant sa remise aux autorités belges.
12. En troisième lieu, la requérante fait l'objet d'une décision de transfert et dès lors elle au nombre des étrangers susceptibles de faire l'objet d'une assignation à résidence. La mesure d'assignation, moins privative de liberté qu'un placement en rétention, ne saurait être regardée comme excessivement coercitive au regard des exigences du règlement n° 603/2013 du 26 juin 2013. Dans ces circonstances, l'intéressée ne démontre pas qu'en ordonnant son assignation à résidence et en fixant à quarante cinq jours la durée de cette mesure, le préfet de la Vendée aurait commis une erreur manifeste d'appréciation.
13. En quatrième lieu, Mme B...C...a formé, dans le délai de recours applicable, un recours contentieux contre les décisions de remise et d'assignation devant le tribunal administratif de Nantes, puis a relevé appel du jugement rendu devant la présente cour. Elle a pu, au cours de ces procédures, faire valoir l'ensemble des éléments nécessaires à l'appréciation de sa situation. Dans ces conditions elle n'est pas fondée à soutenir que la décision d'assignation à résidence porterait atteinte à son droit au recours effectif.
14. En cinquième et dernier lieu, en application de l'article R. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de la Vendée a pu légalement fixer le département de la Vendée, à l'intérieur duquel se situe l'adresse de domiciliation de Mme B...C..., comme périmètre d'assignation à résidence de l'intéressée. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 561-2 doit être écarté.
15. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation des arrêtés des 28 mars et 3 avril 2018 du préfet de la Vendée doivent être rejetées, comme doivent l'être par voie de conséquence les conclusions à fin d'injonction et celles tendant au bénéfice des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme B...C...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...B...C...et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise pour information au préfet de la Vendée.
Délibéré après l'audience du 12 mars 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- Mme Tiger-Winterhalter, présidente assesseure,
- Mme Allio-Rousseau, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 29 mars 2019.
La rapporteure,
N. Tiger- WinterhalterLe président,
L. Lainé
La greffière,
V. Desbouillons
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
1
2
N°18NT01764
1