Il soutient que :
- le tribunal administratif a méconnu les dispositions combinées des articles L. 2334-14-1, L. 2334-21 et L. 2113-22 du code général des collectivités territoriales en estimant que ces dispositions excluaient le plafonnement de la dotation nationale de péréquation et de la dotation de solidarité rurale aux communes nouvelles ; seule une dérogation à l'application du plancher de variation est applicable aux communes nouvelles, mais il n'existe pas de dérogation au mécanisme de plafonnement à 120 % de la dotation perçue l'année précédant la répartition, ainsi que cela résulte également des travaux préparatoires ; en outre, l'année de la création d'une commune nouvelle le montant perçu l'année précédente s'entend comme le montant attribué au titre de la dotation concernée aux communes formant la commune nouvelle l'année précédente ;
- par l'effet dévolutif de l'appel, la cour devra écarter les moyens soulevés en première instance par la commune de Tinchebray Bocage ; il renvoie aux arguments développés par le préfet de l'Orne dans son mémoire en défense en première instance.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 septembre 2018, la commune de Tinchebray Bocage, représentée par la SELARL Landot et Associés, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête du ministre de l'intérieur ;
2°) d'enjoindre au préfet de l'Orne de recalculer la dotation globale de fonctionnement dans un délai de quinze jours sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le moyen soulevé par le ministre n'est pas fondé ; en application des dispositions combinées des articles L. 2334-14-1, L. 2334-21, et L. 2113-22 du code général des collectivités territoriales, un plancher minimal spécifique est garanti aux communes nouvelles mais aucun plafond n'est prévu ; les dispositions spécifiques aux communes nouvelles doivent primer sur les dispositions générales ; l'inapplicabilité du plancher de droit commun aux communes nouvelles implique nécessairement l'inapplicabilité du plafond associé ;
- à titre subsidiaire, elle confirme les moyens qu'elle avait soulevés en première instance devant le tribunal administratif de Caen :
o la compétence du signataire des décisions n'est pas établie ;
o à supposer qu'un plafonnement en application de l'article L. 2334-14-1 VI du code général des collectivités territoriales ait été applicable, le plafonnement de la dotation nationale de péréquation à 120 % ne pouvait être appliqué en 2015 alors que ce montant, sous-évalué, a été utilisé par le préfet pour calculer la part principale maximale de dotation nationale de péréquation pour 2016 ; en outre, le plafonnement à 120 % ne lui était pas applicable en 2016 ;
o en ce qui concerne la fraction " bourg " de la dotation de solidarité rurale, la dotation fixée pour 2015 était illégale alors que ce montant a été utilisé par le préfet pour calculer la fraction bourg de la dotation de solidarité rurale pour 2016 ;
o en ce qui concerne la fraction péréquation de la dotation de solidarité rurale, le nombre d'enfants âgés entre 3 et 16 ans est erroné ; cette fraction doit être recalculée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C..., première conseillère,
- les conclusions de M. Besse, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., représentant la commune de Tinchebray-Bocage.
Considérant ce qui suit :
1. La commune nouvelle de Tinchebray Bocage (Orne) a été créée à compter du 1er janvier 2015 à partir de la fusion des communes de Beauchêne, Frênes, Larchamp, Saint-Cornier-des-Landes, Saint-Jean-des-Bois, Tinchebray et Yvrandes. Par des décisions du 1er juin 2016, le préfet de l'Orne lui a notifié, d'une part, le montant de la dotation de solidarité rurale, s'élevant à 244 561 euros, et d'autre part, le montant de la dotation nationale de péréquation, s'élevant à 194 263 euros, au titre de sa dotation globale de fonctionnement de l'année 2016. Saisi par la commune de Tinchebray Bocage le 13 juillet 2016, le tribunal administratif de Caen a annulé ces décisions par un jugement n° 1601410 du 23 février 2018. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. L'article L. 2334-14-1 du code général des collectivités territoriales dispose que : " I. - La dotation nationale de péréquation comprend une part principale et une majoration. / II. - Cette dotation est répartie entre les communes dans les conditions précisées aux III, IV, V et VI (...) / III. - Bénéficient de la part principale de la dotation les communes de métropole qui remplissent les deux conditions suivantes : / 1° Le potentiel financier par habitant est inférieur au potentiel financier moyen par habitant majoré de 5 % de l'ensemble des communes appartenant au même groupe démographique. / 2° L'effort fiscal est supérieur à l'effort fiscal moyen des communes appartenant au même groupe démographique. (...) / VI. - A compter de 2012, l'attribution au titre de la part principale ou de la part majoration de la dotation nationale de péréquation revenant à une commune éligible ne peut être ni inférieure à 90 %, ni supérieure à 120 % du montant perçu l'année précédente. (...) ". En outre, aux termes de l'article L. 2113-22 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction applicable à la date des décisions contestées : " Les communes nouvelles sont éligibles aux dotations de péréquation communale dans les conditions de droit commun. / Toutefois, elles perçoivent à compter de l'année de leur création une attribution au titre de la dotation de solidarité rurale au moins égale à la somme des attributions perçues au titre de chacune des trois fractions de la dotation de solidarité rurale par les communes anciennes, l'année précédant la création de la commune nouvelle. Cette attribution évolue selon un taux égal au taux d'évolution de la dotation de solidarité rurale mentionnée à l'article L. 2334-13./ Au cours des trois années suivant leur création, les communes nouvelles créées au plus tard le 1er janvier 2016 et regroupant soit une population inférieure ou égale à 10 000 habitants, soit toutes les communes membres d'un ou de plusieurs établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, perçoivent des attributions au titre des deux parts de la dotation nationale de péréquation, de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale et de la dotation de solidarité rurale au moins égales aux attributions perçues au titre de chacune de ces dotations par les anciennes communes l'année précédant la création de la commune nouvelle (...) ". Par ailleurs, dans sa rédaction en vigueur à la date des décisions contestées, l'article L. 2334-21 du même code dispose que : " (...) A compter de 2012, l'attribution d'une commune éligible ne peut être ni inférieure à 90 % ni supérieure à 120 % du montant perçu l'année précédente ". L'article L. 2334-22 du même code, dans sa rédaction en vigueur à la date des décisions contestées, dispose, enfin, que : " (...) A compter de 2012, l'attribution au titre de cette fraction d'une commune éligible ne peut être ni inférieure à 90 % ni supérieure à 120 % du montant perçu l'année précédente ".
3. Il résulte de ces dispositions que les communes nouvelles créées au plus tard le 1er janvier 2016 et regroupant soit une population inférieure ou égale à 10 000 habitants, soit toutes les communes membres d'un ou de plusieurs établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, sont éligibles aux dotations de péréquation communale dans les conditions de droit commun fixées notamment par l'article L. 2334-14-1 du code général des collectivités territoriales. Par conséquent, elles sont en principe soumises au dispositif d'encadrement de l'évolution de la dotation nationale de péréquation d'une année à l'autre prévu par le VI de cet article. Le dernier alinéa des articles L. 2334-21 et L. 2334-22 de ce code prévoit un dispositif identique d'encadrement de l'évolution des fractions de la dotation de solidarité rurale. Toutefois, d'une part, ce dispositif ne peut trouver à s'appliquer aux communes nouvelles l'année de leur création, dès lors que celles-ci n'ont pu, en tant que telles, percevoir de dotation de péréquation l'année précédente et, d'autre part, ce dispositif ne saurait avoir pour effet de priver les communes nouvelles de la garantie du maintien des dotations au cours des trois années suivant leur création prévue par l'article L. 2113-22 du code général des collectivités territoriales.
4. Il est constant que par les décisions contestées, la préfète de l'Orne a déterminé les montants de dotation nationale de péréquation et de dotation de solidarité rurale attribués à la commune nouvelle de Tinchebray Bocage au titre de l'année 2016 en plafonnant ce montant à 120 % du montant des dotations accordées au titre de l'année 2015, tandis que ce précédent montant avait lui-même été déterminé en plafonnant à 120 % le montant des dotations correspondantes perçues en 2014 par les communes qui ont fusionné ultérieurement au sein de la commune de Tinchebray Bocage au 1er janvier 2015. Il résulte de ce qui précède que si les dispositions précitées du code général des collectivités territoriales, qui prévoient un encadrement de la dotation nationale de péréquation et de la dotation de solidarité rurale entre 90 et 120 % du montant perçu l'année précédente, sont applicables aux communes nouvelles, cet encadrement ne saurait avoir pour effet de priver les communes nouvelles, pendant les deux années qui suivent celle de leur création de la garantie du maintien des dotations résultant des dispositions de l'article L. 2113-22 du code général des collectivités territoriales. Il résulte, en outre, de ce qui précède qu'en plafonnant à 120 % le montant des dotations accordées à la commune nouvelle de Tinchebray Bocage au cours de l'année 2015, année de la création de cette commune nouvelle, la préfète de l'Orne avait méconnu les dispositions de l'article L. 2113-22 du code général des collectivités territoriales. Il résulte de tout ce qui précède que si la préfète de l'Orne pouvait légalement appliquer un plafonnement des dotations accordées à la commune nouvelle au titre de 2016, deuxième année d'existence de l'établissement public de coopération intercommunale, à 120 % du montant des dotations accordées l'année précédente, le montant des dotations accordées au titre de l'année 2015, sur la base duquel a été calculé le montant des dotations accordées au titre de l'année 2016, était lui-même entaché d'illégalité.
5. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à se plaindre de ce que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a annulé les décisions du 1er juin 2016 par lesquelles la préfète de l'Orne a fixé, pour l'année 2016, la dotation de solidarité rurale et la dotation nationale de péréquation de la dotation globale de fonctionnement de la commune de Tinchebray Bocage.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Ce qui est jugé par le présent arrêt implique nécessairement qu'il soit enjoint à la préfète de l'Orne, dans le délai d'un mois suivant la notification du présent arrêt, de procéder à un nouveau calcul de la dotation nationale de péréquation et de la dotation de solidarité rurale de la commune de Tinchebray Bocage au titre de l'année 2016 en respectant la garantie du maintien des dotations en cours pendant trois ans prévue au bénéfice des communes nouvelles par le troisième alinéa de l'article L. 2113-22 du code général des collectivités territoriales dans sa rédaction applicable pour la détermination des dotations de l'année 2016. En l'état du dossier, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction de l'astreinte sollicitée par la commune.
7. Il convient de préciser, en ce qui concerne le calcul de la dotation de solidarité rurale auquel doit procéder la préfète de l'Orne, qu'il résulte de l'article R. 2334-6 du code général des collectivités territoriales que le nombre d'enfants de 3 à 16 ans habitant la commune, à prendre en compte pour déterminer la fraction dite " péréquation " de cette dotation, est celui " établi par l'Institut national de la statistique et des études économiques au dernier recensement de population ".
Sur les frais du litige :
8. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme que la commune de Tinchebray Bocage demande en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : Il est enjoint à la préfète de l'Orne de procéder à un nouveau calcul de la dotation nationale de péréquation et de la dotation de solidarité rurale de la commune de Tinchebray Bocage au titre de l'année 2016 dans les conditions rappelées dans le présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la commune de Tinchebray Bocage tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Tinchebray Bocage et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise pour information à la préfète de l'Orne.
Délibéré après l'audience du 12 novembre 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Rivas, président-assesseur,
- Mme C..., première conseillère.
Lu en audience publique le 29 novembre 2019.
La rapporteure,
M. C...Le président,
L. LAINÉ
La greffière,
M. A...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°18NT01743 2