Par une requête et des mémoires enregistrés les 21 avril, 20 juillet, 6 août et 15 septembre 2020, M. K... et M. B... E... A..., représentés par Me Pronost, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 13 novembre 2019 du tribunal administratif de Nantes en tant qu'il a rejeté les conclusions de sa demande dirigées contre la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
2°) d'annuler la décision de la commission de recours ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, subsidiairement, de réexaminer les demandes de visa dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
M. K... soutient que le lien de filiation est établi par les actes d'état civil produits qui sont authentiques et par la possession d'état.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 juillet 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. K... ne sont pas fondés.
M. K... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 juin 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Buffet,
- et les observations de Me Pronost, pour M. K... et M. B... E... A....
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 13 novembre 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. K... tendant à l'annulation de la décision des autorités consulaires françaises à I... refusant de délivrer à Jordan E... A... et Goubald Nkoy D..., des visas d'entrée et de long séjour en qualité de membres de famille de réfugié, ainsi qu'à l'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France rejetant le recours formé contre cette décision. M. K... relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté les conclusions de sa demande dirigées contre la décision de la commission de recours.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " (...) Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. (...). ".
3. Aux termes de l'article L. 111-6 du même code, alors en vigueur : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil, dans sa rédaction alors applicable : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ".
4. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
5. Par ailleurs il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
6. M. K..., ressortissant congolais né le 11 novembre 1976, entré en 2013 en France où il a obtenu le statut de réfugié politique, a sollicité des visas de long séjour en faveur de Jordan E... A... et de Goubald Nkoy D... en qualité de membres de famille de réfugié. Il ressort des écritures en défense que, pour rejeter les demandes de visas de long séjour présentées en faveur des deux enfants, la commission de recours s'est fondée sur ce que le lien de filiation avec le requérant n'était pas établi.
7. Pour justifier de ce lien de filiation, M. K... a produit les jugements supplétifs du 15 juillet 2016 du tribunal pour enfants L... I.../G..., les certificats de non-appel de ces jugements, ainsi que les copies intégrales des actes de naissance issus de la transcription de ces jugements, lesquels font mention de ce qu'ils sont nés de l'union de M. K... et de Mme C... F.... Le ministre de l'intérieur fait valoir que ces jugements ont été établis tardivement, plusieurs années après la naissance des enfants, sur la base de simples déclarations, et que les requêtes ont été introduites l'avant-veille de l'audience publique. Toutefois, aucun de ces éléments ne suffit à faire regarder les jugements supplétifs produits comme entachés de fraude. Si le jugement supplétif concernant Jordan E... A... comporte successivement la mention d'une date d'audience publique au 15 juillet 2016 puis au 24 août 2016, cette erreur matérielle ne suffit pas davantage à en établir le caractère frauduleux, le certificat de non-appel de ce jugement mentionnant d'ailleurs que ce jugement a été rendu le 15 juillet 2016. Dans ces conditions le lien de filiation entre M. K... et chacun des enfants B... E... A... et J... D... doit être tenu pour établi par ces jugements. Par suite, le ministre de l'intérieur ne saurait utilement soutenir que les actes de naissances dressés sur le fondement des jugements supplétifs seraient entachés d'anomalies remettant en cause leur valeur probante. Par ailleurs, les énonciations contenues dans les actes de naissance sont conformes aux déclarations faites par M. K... devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Dans ces conditions, en estimant que le lien de filiation entre M. K... et les enfants B... E... A... et J... D... n'était pas établi, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. K... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté les conclusions de sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement que des visas de long séjour soient délivrés à Jordan E... A... et à Goubald Nkoy D.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer ces visas dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
10. M. K... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me Pronost dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 13 novembre 2019 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France rejetant la demande de visa d'entrée et de long séjour en France présentée pour Jordan E... A... et Goubald Nkoy D... est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Jordan E... A... et à Goubald Nkoy D... des visas d'entrée et de long séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Pronost une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. H... K..., M. B... E... A... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 14 janvier 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Francfort, président de chambre,
- Mme Buffet, présidente-assesseure,
- Mme Ody, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er février 2022.
La rapporteure,
C. BUFFETLe président,
J. FRANCFORT
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT01375