Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 avril 2018, Mme A..., néeD..., représentée par MeC..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 24 novembre 2017 ;
2°) d'annuler la décision du 27 août 2015 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France (CRRV) ;
3°) d'enjoindre à l'ambassade de France à Bangui de délivrer à la jeune E...D...H...un visa de long séjour, sous astreinte de 75 par jour de retard à compter du délai de 15 jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- il n'est pas établi que le signataire de la décision attaquée ait reçu une délégation, ni que cette délégation ait été publiée, de sorte que la décision est entachée d'incompétence ;
- la décision méconnaît les dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le principe d'unité de la famille, principe applicable également aux enfants faisant l'objet d'une tutelle, ainsi que la circulaire du ministère de l'intérieur du 17 janvier 2006 ; elle justifie être la tutrice de Mlle E...D...H..., laquelle doit bénéficier d'un visa ;
- l'irrégularité affectant selon l'administration le jugement supplétif d'acte de naissance de l'enfant et le jugement de tutelle a été régularisée par l'établissement d'un acte de décès de la mère de l'enfant, sur jugement supplétif, et par un nouveau jugement rectifiant l'erreur matérielle affectant le jugement de tutelle ; un deuxième jugement de tutelle a été établi, qui a nécessairement un effet rétroactif ;
- le refus de visa méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, et l'article 3.1 de la Convention de New-York relative aux droits de l'enfant ; la jeune D...est isolée en Centrafrique, sans famille.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 mai 2018, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il s'en remet à ses écritures produites en première instance et soutient que les moyens soulevés par Mme A...ne sont pas fondés.
Mme A...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 avril 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée le 4 novembre 1950 ;
- la convention relative aux droits de l'enfant, signée le 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n°91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu, au cours de l'audience publique, le rapport de M. Degommier.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante centrafricaine, qui bénéficie de la protection subsidiaire, relève appel du jugement du 24 novembre 2017 du tribunal administratif de Nantes qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 26 août 2015 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté sa demande de délivrance d'un visa d'entrée et long séjour à la jeune E...D...H..., dont elle indique être la tutrice.
Sur la légalité externe :
2. Mme A...soutient qu'à défaut de délégation expresse de signature, le président de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France n'était pas compétent pour signer la décision de la commission. Toutefois, s'agissant d'une autorité de caractère collégial, il est satisfait aux exigences découlant du code des relations entre le public et l'administration, dès lors que la décision comporte la signature du président de la commission accompagnée des mentions, en caractères lisibles, mentionnées à l'article L. 111-2 de ce code. La décision contestée satisfait à ces prescriptions. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision de la commission doit être écarté.
Sur la légalité interne :
3. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I.- Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. (...) II.- (...) La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. (...) ". Les dispositions précitées de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sont, dès lors que la loi du 29 juillet 2015 n'a, en ce qui concerne leur entrée en vigueur, prévu ni délai particulier, ni disposition transitoire, devenues applicables le 31 juillet 2015, lendemain de leur publication au Journal officiel, à toute situation non juridiquement constituée au nombre desquelles figurent les instances en cours concernant les refus de visas sollicités sur le fondement du respect du principe de l'unité familiale du réfugié ou du protégé subsidiaire tel qu'issu des stipulations de la convention du 28 juillet 1951.
4. Le principe d'unité de la famille, principe général du droit applicable aux réfugiés résultant notamment des stipulations de la convention de Genève du 28 juillet 1951, impose, en vue d'assurer pleinement au réfugié la protection prévue par cette convention, que la même qualité soit reconnue à la personne de même nationalité qui était unie par le mariage à un réfugié à la date à laquelle celui-ci a demandé son admission au statut, ou qui avait alors avec lui une liaison suffisamment stable et continue pour former une famille, ainsi qu'aux enfants mineurs de ce réfugié. Comme indiqué au point 3, le législateur a étendu au bénéficiaire de la protection subsidiaire le droit de bénéficier du respect de ce principe de l'unité de la famille.
5. Par ailleurs, l'intérêt d'un enfant étant en principe de vivre auprès de la personne qui, en vertu d'une décision de justice qui produit des effets juridiques en France, est titulaire à son égard de l'autorité parentale, l'enfant confié dans de telles conditions à un étranger a droit, lorsqu'il a moins de dix-huit ans, sauf à ce que ses conditions d'accueil en France soient contraires à son intérêt, et sous réserve de motifs d'ordre public, à un visa d'entrée et de long séjour en France en vue de venir rejoindre le titulaire de l'autorité parentale réfugié en France. Toutefois, dans le cadre de la procédure de regroupement familial applicable à un réfugié ou à un bénéficiaire de la protection subsidiaire, l'autorité consulaire est en droit de rejeter la demande de visa dont elle est saisie à cette fin pour un motif d'ordre public, figure au nombre de ces motifs l'absence de caractère probant des actes officiels produits.
6. Enfin, il résulte des dispositions de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que la vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. En vertu de cet article 47, les actes d'état civil faits en pays étranger et selon les formes usitées dans ce pays font foi, il n'en va toutefois pas ainsi lorsque d'autres actes ou pièces, des données extérieures ou des éléments tirés de ces actes eux-mêmes établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que ces actes sont irréguliers, falsifiés ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.
7. Il ressort des pièces du dossier que Mme A...a produit, pour justifier de sa qualité de tutrice de la jeune E...D...H..., la copie d'un jugement du tribunal de grande instance de Bangui du 8 septembre 2014, décidant de confier à Mme A...la tutelle de l'enfant à la suite du décès de sa mère qui serait survenu le 25 octobre 2005. Toutefois ce jugement mentionne que " le témoin D...Redy Prisca mère biologique de l'enfant, a comparu et attesté que rien ne s'oppose à cette demande ", alors que cette dernière est censée être décédée le 25 octobre 2005. A été également produit un jugement supplétif d'acte de naissance en date du 20 août 2014, jugeant que la jeune E...D...H...est bien née le 26 août 2000. Toutefois ce jugement a été rendu sur la requête, présentée le 12 juin 2014, de Mme D...I..., laquelle est censée être décédée le 25 octobre 2005. Ces actes étant entachés d'une incohérence manifeste, ils ne sauraient établir que Mme A...est la tutrice de la jeune E...D...H.... Si Mme A...a produit postérieurement, un acte de décès de Mme D...I...dressé suite à jugement supplétif et un jugement du 9 juin 2016 portant " rectification d'erreur matérielle ... sur le jugement supplétif d'acte de naissance délivré le 20 août 2014 " ainsi qu'un nouveau jugement de tutelle en date du 13 juin 2016, ces documents, établis a posteriori, ne sauraient suffire à établir l'authenticité de la tutelle dont Mme A...se prévaut, compte tenu du caractère manifeste des incohérences relevées précédemment. Dans ces conditions, la commission n'a pas entaché sa décision de refus de délivrance d'un visa d'erreur d'appréciation.
8. Par ailleurs, Mme A...ne peut se prévaloir utilement des dispositions de la circulaire du 17 janvier 2006 du ministre de l'intérieur, qui ne présentent pas de caractère réglementaire.
9. Enfin, faute de démonstration de ce que Mme A...est effectivement titulaire d'une décision de tutelle envers la jeune E...D...H..., le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3.1 de la Convention relative aux droits de l'enfant ne peut qu'être écarté.
10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Doivent être rejetées par voie de conséquence ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme A...demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... A...et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 17 mai 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président assesseur,
- M. Mony, premier conseiller
- M. Berthon, premier conseiller.
Lu en audience publique le 4 juin 2019.
Le président-rapporteur,
S. DEGOMMIER
L'assesseur le plus ancien
dans l'ordre du tableau,
A. MONY
Le greffier,
C. POPSE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT01596