Par une requête et un mémoire, enregistrés le 19 septembre 2017 et le 13 septembre 2018, Mme A... et MlleB..., représentées par MeC..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 20 juillet 2017 ;
2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de condamner l'Etat à verser à Me C...une somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Mme A...et Mlle B...soutiennent que :
- les documents d'état-civil qui ont été produits sont ceux qui leur ont été délivrés par les services d'état-civil camerounais, notamment après la décision du 16 mars 2015 du tribunal de 1ère instance de Yaoundé ;
- ces documents établissent la réalité du lien de filiation ;
- le cas échéant, les documents qu'elles produisent en appel établissent l'existence d'une possession d'état ;
- le refus opposé à la demande de visa porte une atteinte disproportionnée et manifestement excessive au droit au respect de leur vie privée et familiale.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 octobre 2017, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Le ministre fait valoir qu'aucun des moyens d'annulation soulevés par les requérantes n'est fondé.
Mme A...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 novembre 2017 rectifiée le 28 décembre 2017.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Mony a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. MmeA..., ressortissante camerounaise, réside en France depuis 2005 et a obtenu en 2012 une carte de résident. Sa fille alléguée Bibyche Lucresse B...a déposé le 6 octobre 2014, suite à l'autorisation de regroupement familial obtenue par MmeA..., une demande de visa de long séjour, rejetée le 28 janvier 2015 par les autorités consulaires françaises de Yaoundé. Le recours formé contre cette décision a ensuite été implicitement rejeté par la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France. Mme A...et Mlle B...relèvent appel du jugement du 20 juillet 2017 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande d'annulation de cette décision.
Sur les conclusions en annulation :
2. Lorsque la venue d'une personne en France a été autorisée au titre du regroupement familial, l'autorité consulaire n'est en droit de rejeter la demande de visa dont elle est saisie à cette fin que pour un motif d'ordre public ; figure au nombre de ces motifs l'absence de caractère authentique des actes de filiation produits.
3. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile:" La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil". L'article 47 du code civil dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
4. Il ressort des écritures contentieuses que, pour rejeter la demande de visa formée par MlleB..., l'administration s'est fondée sur le caractère non probant des documents d'état-civil produits.
5. En premier lieu, comme l'a relevé à juste titre le tribunal administratif, la levée d'acte effectuée à la demande de l'administration a permis d'établir l'existence d'un registre des naissances rattaché au centre d'état-civil d'Etoa, lieu de naissance allégué de Bibyche LucresseB.... Toutefois, ce registre ne mentionne pas l'acte de naissance qui aurait été dressé en 2003 sous le n° 95/03 lors de la naissance de l'intéressée. Le certificat d'existence de souche d'acte de naissance produit par l'intéressée n'est de ce fait pas authentique. De même, le jugement de reconstitution d'acte d'état-civil du tribunal de Première Instance de Yaoundé du 16 mars 2015, qui mentionne, comme étant de nature à justifier la reconstitution demandée, l'existence d'un acte de naissance dans les registres du centre d'état-civil d'Etoa, n'apparaît pas cohérent dès lors que, ainsi que l'a révélé la levée d'acte, il s'agit d'un acte inexistant. Ce jugement apparaît en outre superfétatoire dès lors que, d'une part et comme indiqué, le registre des naissances de ce centre d'état-civil n'a pas été détruit ou perdu, ce que confirme d'ailleurs le jugement du tribunal, et que, d'autre part, si Bibyche Lucresse était réellement en possession d'un acte souche, une telle reconstitution d'acte était alors inutile. Il ne ressort en outre pas des mentions de ce jugement que le parquet aurait été informé comme il aurait dû l'être, en application des dispositions relatives à l'organisation de l'état-civil au Cameroun, d'une telle demande. Compte-tenu de ces diverses anomalies et incohérences, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a pu estimer que le caractère non probant des documents d'état-civil produits ne permettait pas d'établir la réalité du lien de filiation alléguée entre Mme A...et MlleB....
6. Si MmeA..., en deuxième lieu, soutient également qu'elle doit être regardée comme justifiant de l'existence d'une possession d'état, les éléments qu'elle a produit pour la première fois en appel, à savoir des documents qui attestent qu'elle s'est, après son arrivée en France, rendue au Cameroun, en 2012, 2014 et 2016, ainsi que plusieurs photographies la montrant aux côtés d'une adolescente dont l'identité n'est pas établie, et des preuves d'envois réguliers d'argent depuis le début de l'année 2014, soit peu de temps avant l'autorisation de regroupement familial, alors que Mme A...réside en France depuis 2005, ne suffisent pas, en tout état de cause, à établir à son profit l'existence d'une possession d'état, laquelle se doit de présenter notamment un caractère continu. De même, les relevés de communication via Internet entre Mme A...et sa fille alléguée, qui portent sur la seule période de l'été 2018, ne peuvent davantage établir le maintien d'une relation continue entre elles. Mme A...ne peut ainsi, contrairement à ce qu'elle soutient, être regardée comme justifiant d'une possession d'état.
7. Enfin, en l'absence de toute démonstration probante du lien de filiation allégué, Mme A...n'est pas fondée à invoquer la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
8. Il résulte de ce qui précède que Mme A...et Mlle B...ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande. Leurs conclusions en injonction ne peuvent, par voie de conséquence, qu'être également rejetées, de même que leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme A... et de Mlle B...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... A...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 21 septembre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président,
- M. Mony, premier conseiller,
- Mme Picquet, premier conseiller,
Lu en audience publique le 8 octobre 2018.
Le rapporteur,
A. MONYLe président,
S. DEGOMMIER
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 17NT02899