Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 3 janvier et 8 juillet 2020, Mme H... et autres, représentés par Me D..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 29 mars 2019 du ministre de l'intérieur ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, à défaut, de réexaminer les demandes, dans le même délai, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991
Mme H... et autres soutiennent que :
- la décision contestée n'est pas suffisamment motivée ;
- le lien de filiation est établi par les actes d'état civil produits, qui sont authentiques, et par la possession d'état ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 juin 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme H... ne sont pas fondés. Il soutient, en outre, que le jugement supplétif d'acte de naissance relatif à Belinda B... a été rendu le 26 septembre 2016, soit le lendemain de la présentation de la requête, ce qui est de nature à lui ôter tout caractère probant et que l'âge apparent des personnes qui se sont présentées au consulat en mai 2017 ne correspond pas à celui des demandeurs qui devaient être âgés de 19, 17 et 14 ans.
Mme H... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 février 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- et les observations de Me D..., pour Mme H....
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 6 novembre 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de Mme H... et autres tendant à l'annulation de la décision du 29 mars 2019 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté les demandes de visa de long séjour présentées pour Belinda, Christelle et David-Jean B... en qualité de membres de famille de réfugié. Mme H... et autres relèvent appel de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du 29 mars 2019 du ministre de l'intérieur:
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " (...) Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. (...). ".
3. Aux termes de l'article L. 111-6 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ".
4. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
5. Pour établir les liens de filiation entre Belinda, Christelle et David-Jean B..., d'une part, et Mme H..., d'autre part, celle-ci a présenté, à l'appui des demandes de visa, des actes de naissance établis les 11 novembre 2016 sur le fondement de jugements supplétifs rendus le 27 septembre 2016, pour Belinda, et le 29 septembre 2016, pour Christelle et David-Jean, par le tribunal pour enfants I....
6. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le document produit aurait un caractère frauduleux. La circonstance que les actes de naissance du 11 novembre 2016, établis sur la base des jugements supplétifs des 27 septembre et 29 septembre 2016, dont aucune des mentions légales ni des informations essentielles y figurant, concernant notamment le lien de filiation, ne sont contestées par le ministre, mentionnent l'adresse des parents et leurs professions et qu'ils comportent ainsi des informations ne figurant pas dans les jugements supplétifs, n'est pas de nature à les priver de valeur probante, les requérants soutenant, au surplus, sans être contredits, que l'article 106 du code de la famille congolais n'exige pas que les dates de naissance et professions des parents soient précisées dans le jugement supplétif de naissance alors que les articles 92 et 118 du même code prévoient qu'elles doivent figurer dans les actes de naissance. La circonstance, également invoquée par le ministre, que le jugement supplétif d'acte de naissance relatif à Belinda B... a été rendu le 26 septembre 2016 soit le lendemain de la présentation de la requête devant le tribunal pour enfants I..., n'est pas par elle-même de nature à lui ôter tout caractère probant. Enfin, et en tout état de cause, contrairement à ce que soutient le ministre, il ne ressort pas des pièces du dossier que, sur la photographie versée au dossier par Mme H..., " l'âge apparent des personnes qui se sont présentées au consulat en mai 2017 " ne correspondrait pas à celui des demandeurs. Par suite, le lien de filiation entre Belinda, Christelle et David-Jean B... et Mme H..., qui a d'ailleurs mentionné ses trois enfants dans le cadre de sa demande d'asile, est établi.
7. En second lieu, il ressort des pièces du dossier et n'est pas contesté que ces enfants sont séparés de leur mère, Mme H..., qui a fui son pays en décembre 2012, depuis de nombreuses années, qu'ils ont été confiés à leur tante paternelle, Mme A..., laquelle a quitté son pays, et sont désormais recueillis par une famille qui vit dans des conditions très précaires. Par suite, la décision contestée de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France porte au droit des intéressés au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme H... et autres sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement que des visas de long séjour soient délivrés à Belinda, Christelle et David-Jean B... en qualité de membres de famille de réfugié. Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer ces visas dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
10. Mme H... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me D..., dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 6 novembre 2019 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La décision du 29 mars 2019 du ministre de l'intérieur portant rejet des demandes de visa d'entrée et de long séjour en France présentées pour Belinda, Christelle et David-Jean B... est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Belinda, Christelle et David-Jean B... des visas de long séjour, dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me D... une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme H... et autres est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... H..., à Mme E... B..., à Mme G... B..., à Me D... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 22 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- Mme C..., présidente-assesseur,
- M. Frank, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 février 2021.
Le rapporteur,
C. C...Le président,
T. CELERIER
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT00025