Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 16 avril 2018, Mme D..., représentée par MeC..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 15 mars 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Calvados du 29 novembre 2017 ;
3°) d'enjoindre au préfet de procéder à un réexamen de sa demande dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au profit de Me C...en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Mme D...soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a écarté le moyen d'annulation tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 121-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- que le refus de séjour pris à son encontre méconnaît les dispositions de la directive 2004/38/ CE du 29 avril 2004 ;
- qu'il ne peut lui être reproché le caractère insuffisant des ressources de son couple en raison du handicap de son conjoint ;
- qu'elle suit actuellement une formation professionnelle afin de pouvoir occuper un emploi ;
- que le refus opposé à sa demande s'apparente à une discrimination et méconnaît ainsi les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- que le refus de l'admettre au séjour est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- que l'obligation de quitter le territoire prise à son encontre n'est plus susceptible de lui être opposée dès lors qu'elle a quitté le territoire français en janvier 2018 ;
- que cette décision méconnaît les dispositions de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- que cette décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- que cette décision méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 juin 2018, le préfet du Calvados conclut au rejet de la requête.
Le préfet fait valoir qu'aucun des moyens d'annulation soulevés par la requérante n'est fondé.
Mme D...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 juillet 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91- 647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91- 1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Un mémoire, présenté pour MmeD..., a été enregistré le 12 décembre 2018 et n'a pas été communiqué.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Mony a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B...D...épouseA..., ressortissante marocaine est entrée en France le 24 septembre 2016 sur le territoire français en compagnie de ses trois enfants mineurs afin d'y rejoindre son époux, ressortissant espagnol. Alors même qu'elle disposait d'un titre de séjour espagnol valable jusqu'au 26 octobre 2017, elle a sollicité, le 23 août 2017, son admission au séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 121-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par arrêté du 29 novembre 2017, le préfet du Calvados a refusé de faire droit à cette demande en assortissant sa décision d'une obligation de quitter le territoire français. Mme D...relève appel du jugement du 15 mars 2018 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande d'annulation de ces décisions.
Sur les conclusions en annulation :
En ce qui concerne le refus de titre de séjour
2. Aux termes de l'article L. 121-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, tout citoyen de l'Union européenne, tout ressortissant d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse a le droit de séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois s'il satisfait à l'une des conditions suivantes :1° S'il exerce une activité professionnelle en France ;2° S'il dispose pour lui et pour les membres de sa famille tels que visés au 4° de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale, ainsi que d'une assurance maladie ;3° S'il est inscrit dans un établissement fonctionnant conformément aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur pour y suivre à titre principal des études ou, dans ce cadre, une formation professionnelle, et garantit disposer d'une assurance maladie ainsi que de ressources suffisantes pour lui et pour les membres de sa famille tels que visés au 5° afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale ;4° S'il est un descendant direct âgé de moins de vingt et un ans ou à charge, ascendant direct à charge, conjoint, ascendant ou descendant direct à charge du conjoint, accompagnant ou rejoignant un ressortissant qui satisfait aux conditions énoncées aux 1° ou 2° ;5° S'il est le conjoint ou un enfant à charge accompagnant ou rejoignant un ressortissant qui satisfait aux conditions énoncées au 3°. " Aux termes de l'article L. 121-4 du même code : " Tout citoyen de l'Union européenne, tout ressortissant d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse ou les membres de sa famille qui ne peuvent justifier d'un droit au séjour en application de l'article L. 121-1 ou de l'article L. 121-3 ou dont la présence constitue une menace à l'ordre public peut faire l'objet, selon le cas, d'une décision de refus de séjour, d'un refus de délivrance ou de renouvellement d'une carte de séjour ou d'un retrait de celle-ci ainsi que d'une mesure d'éloignement prévue au livre V. ". Aux termes de l'article L. 121-4-1 du même code : " Tant qu'ils ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système d'assistance sociale, les citoyens de l'Union européenne, les ressortissants d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse, ainsi que les membres de leur famille tels que définis aux 4° et 5° de l'article L. 121-1, ont le droit de séjourner en France pour une durée maximale de trois mois, sans autre condition ou formalité que celles prévues pour l'entrée sur le territoire français. ". Aux termes de l'article R. 121-4 du même code : " (...) Lorsqu'il est exigé, le caractère suffisant des ressources est apprécié en tenant compte de la situation personnelle de l'intéressé. En aucun cas, le montant exigé ne peut excéder le montant forfaitaire du revenu de solidarité active mentionné à l'article L. 262-2 du code de l'action sociale et des familles ou, si l'intéressé remplit les conditions d'âge pour l'obtenir, au montant de l'allocation de solidarité aux personnes âgées mentionnée à l'article L. 815-1 du code de sécurité sociale. La charge pour le système d'assistance sociale que peut constituer le ressortissant mentionné à l'article L. 121-1 est évaluée en prenant notamment en compte le montant des prestations sociales non contributives qui lui ont été accordées, la durée de ses difficultés et de son séjour. (...) "
3. En premier lieu, si l'époux de Mme D...dispose, en sa qualité de ressortissant communautaire, de la possibilité de séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois, c'est à la condition de pouvoir disposer, pour lui et pour les membres de sa famille, de ressources suffisantes pour ne pas devenir une charge pour le système d'assurance sociale, ainsi que d'une assurance maladie. Si M. A...perçoit en France l'allocation qui lui a été attribuée par le système de protection sociale espagnol en raison de son handicap, cette allocation s'élève à 756,21 euros par mois. Le caractère suffisant de ces ressources s'apprécie, selon les dispositions de l'article R. 121-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile par référence au montant du revenu de solidarité active. Compte tenu de la situation personnelle de M.A..., notamment de la composition de sa famille, qui comporte cinq personnes, le montant du RSA correspondant à une famille composée d'un couple et de trois enfants, s'élevait, à la date de la décision attaquée, à 1 363,70 euros. L'allocation perçue par M. A...ne peut dès lors être assimilée, à elle seule, à une ressource présentant un caractère suffisant. Si M. A...a perçu également de la part de la caisse d'allocations familiales, en tant que chef de famille, une somme de 905,58 euros en moyenne chaque mois au cours des premiers mois de 2017, sous forme d'allocations familiales, d'allocation logement et de complément familial, ces sommes, qui constituent la plus grosse part des revenus familiaux, proviennent du système de protection sociale français. M. A...et sa famille, dont MmeD..., constituent ainsi, nonobstant le fait que M. A... perçoive une pension d'invalidité espagnole, une charge pour le système d'assistance sociale. Il résulte de ce qui précède que M.A..., qui ne remplit pas la condition de ressources ne respecte pas les conditions lui ouvrant un droit au séjour sur le territoire français de plus de trois mois. Par voie de conséquence, Mme D...ne dispose elle-même d'aucun droit particulier au séjour sur le fondement des dispositions des articles
L. 121-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Même si elle affirme vouloir trouver un emploi en France pour s'y procurer un revenu, il est constant qu'à la date de la décision attaquée, elle n'occupait pas un tel emploi et ne percevait aucun revenu particulier. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 121-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut ainsi qu'être écarté.
4. En deuxième lieu, Mme D...ne démontre pas que les dispositions de la directive 2004/38/CE n'ont pas été correctement et complètement intégrées au droit interne au travers de la loi n° 2006- du 24 juillet 2006 et du décret n° du 21 mars 2007 et ne peut ainsi utilement se prévaloir des termes de cette directive.
5. En troisième lieu, la circonstance que Mme D...suit une formation professionnelle en vue de rechercher un emploi est sans incidence sur la légalité de la décision de refus de titre de séjour au titre de l'article L. 121-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prise à son encontre, dès lors que, comme déjà indiqué, cette formation ne constitue pas une activité professionnelle stable et ne lui procure aucun revenu.
6. En quatrième lieu, la décision de refuser le séjour à Mme D...ne peut être regardée comme constitutive d'une discrimination à l'encontre de M.A..., à l'égard de qui elle n'emporte aucun effet direct, le refus de séjour opposée à Mme D...reposant sur une analyse de sa situation au regard des critères objectifs posés par notamment par les articles 6 et 14 de la directive communautaire précitée du 29 avril 2004, transposés en droit interne ayant vocation à s'appliquer à l'ensemble des ressortissants soit communautaires, soit de pays tiers sollicitant la délivrance d'un titre de séjour. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut ainsi qu'être écarté.
7. Eu égard à tout ce qui précède, le refus de séjour opposé à Mme D...n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français
8. En premier lieu, la circonstance que Mme D...se soit conformée à l'obligation de quitter le territoire prise à son encontre, en quittant la France le 16 janvier 2018, pour se rendre en Espagne, même si l'intéressée est ensuite immédiatement revenue en France, ne prive pas d'objet, comme l'a relevé à juste titre le tribunal administratif, la demande d'annulation de cette décision.
9. Aux termes de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger un ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse, ou un membre de sa famille à quitter le territoire français lorsqu'elle constate :1° Qu'il ne justifie plus d'aucun droit au séjour tel que prévu par les articles L. 121-1, L. 121-3 ou L. 121-4-1 (...)"
10. En deuxième lieu, comme indiqué au point 3, Mme D...ne justifie pas, faute pour elle ou son conjoint de disposer de ressources suffisantes, d'un droit au séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 121-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dès lors, l'obligation de quitter le territoire prise à son encontre ne méconnaît pas les dispositions précitées de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
11. Si Mme D...soutient, en troisième lieu, que l'obligation de quitter le territoire emporte pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité qui méconnaissent le stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il ressort des pièces du dossier que l'intéressée ne résidait en France que depuis un peu plus d'un an à la date de la décision attaquée. Elle ne démontre pas disposer en France du centre de ses différents intérêts, l'intéressée étant à la date de la décision attaquée, à la recherche d'un emploi. MmeD..., épouse d'un ressortissant espagnol, dispose par ailleurs d'un droit au séjour en Espagne, pays où elle a vécu pendant plusieurs années à partir de 2002 après son mariage, et dont ses enfants ont la nationalité, la décision attaquée n'impliquant nullement de séparation avec ces derniers. La requérante ne fournit par ailleurs aucun élément d'explication sur les raisons faisant que son conjoint, qui ne remplit pas davantage le critère de ressources suffisantes pour pouvoir obtenir un titre de séjour l'autorisant au séjour en France pour une durée supérieure à trois mois, ne pourrait pas lui-même retourner dans le pays dont il a la nationalité et où il n'est pas contesté qu'il peut également recevoir les soins que nécessite son état de santé. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut ainsi qu'être écarté.
12. En dernier lieu, la circonstance que les trois enfants de MmeD..., nés respectivement en 2003, 2007 et 2010 sont aujourd'hui scolarisés en France ne fait pas obstacle, compte tenu du caractère récent de cette scolarisation et du jeune âge des intéressés, à ce qu'ils puissent reprendre leur scolarité en Espagne, pays où ils sont nés et où ils ont vécu jusqu'en 2017, où dans tout autre pays où Mme D...serait légalement admissible. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ne peut ainsi qu'être écarté.
13. Il résulte de ce qui précède que Mme D...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté préfectoral du 29 novembre 2017. Les conclusions en injonction de l'intéressée ne peuvent, par suite, qu'être également rejetées. Il en va de même en ce qui concerne ses conclusions en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D...épouse A...et au ministre de l'intérieur.
Copie du présent arrêt sera adressée au préfet du Calvados.
Délibéré après l'audience du 21 décembre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Dussuet, président,
- M. Degommier, président assesseur,
- M. Mony, premier conseiller,
Lu en audience publique le 11 janvier 2019.
Le rapporteur,
A. MONY
Le président,
J-P. DUSSUETLe greffier,
C. POPSE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT01545