Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 14 mai 2018, le 10 août 2018 et le 17 décembre 2018, M. B..., représenté par MeC..., demande à la cour :
1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) d'annuler ce jugement du 12 avril 2018 ;
3°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Manche du 22 février 2018 ;
4°) d'enjoindre au préfet de procéder à un réexamen de sa situation dans un délai de sept jours à compter de la notification à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au profit de Me C... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
M. B...soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif a écarté le moyen d'annulation tiré de la méconnaissance de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- il n'a jamais été invité à présenter d'observations avant que n'intervienne la décision attaquée ;
- cette irrégularité a nécessairement eu une incidence sur le sens de la décision prise par le préfet ;
- son audition par les services de police était étrangère à l'examen de la régularité de sa situation administrative au regard de son droit au séjour ;
- les dispositions de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ont été méconnues dès lors qu'il entre dans une des catégories d'étrangers ne pouvant faire l'objet d'une mesure d'éloignement ;
- sa minorité a été admise à la suite de son examen par des services compétents ;
- il produit des pièces qui attestent de cette minorité, dont l'administration ne démontre pas qu'ils ne présentent pas un caractère probant ;
- les tests osseux auxquels il a été procédé ne permettent pas d'établir son âge avec certitude ;
- les documents qu'il a produits ont été authentifiés par les autorités consulaires guinéennes en France.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 décembre 2018, le préfet de la Manche conclut au rejet de la requête.
Le préfet fait valoir qu'aucun des moyens d'annulation soulevés par le requérant n'est fondé.
M. B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 juillet 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-637 du 10 juillet 1991;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Mony a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.B..., ressortissant guinéen, qui déclare être entré irrégulièrement en France le 11 novembre 2017, a fait l'objet d'une mesure provisoire de placement en tant que mineur isolé. Suite à une suspicion de fraude sur son âge réel, des examens complémentaires ont été diligentés à son encontre. A la suite de ces examens, M. B...a été entendu à la demande du procureur de la République par les services de police le 22 février 2018. Le même jour, le préfet de la Manche a pris à son encontre un arrêté portant obligation de quitter le territoire français. M. B...relève appel du jugement en date du 12 avril 2018 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.
Sur les conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire :
2. Il est constant que M. B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 19 juillet 2018. Par suite, les conclusions du requérant tendant à obtenir l'aide juridictionnelle à titre provisoire sont sans objet. Il n'y a pas lieu de statuer sur ces conclusions.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union ". Aux termes du paragraphe 2 de ce même article : " Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ".
4. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que les dispositions de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne s'adressent non pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Ainsi, le moyen tiré de leur violation par une autorité d'un Etat membre est inopérant.
5. Toutefois, il résulte également de la jurisprudence de la Cour de Justice que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.
6. Il ressort des pièces du dossier que M. B...a fait l'objet le 13 février 2018 d'une convocation à la Police aux frontières de Cherbourg fixée au 22 février suivant " afin de procéder aux investigations nécessaires en vue de confirmer ou de déterminer votre identité, plus précisément votre minorité, votre nationalité et votre isolement sur le territoire national ". Le procès-verbal de l'audition de l'intéressé démontre que l'administration n'y a jamais mentionné l'éventualité que M. B...puisse, à l'issue de l'audition, faire l'objet d'une mesure d'éloignement du territoire français, la seule question " en cas de mesure d'éloignement prononcée par M. le préfet de la Manche, souhaiteriez-vous retourner dans votre pays d'origine ' " ne pouvant s'assimiler à une information relative à la procédure administrative alors susceptible d'être diligentée à son encontre. De même, la seule question " avez-vous des observations à formuler ' " ne peut être regardée comme l'ayant mis à même de présenter d'éventuelles observations vis-à-vis d'une mesure d'éloignement, M. B...n'étant pas informé que le préfet de la Manche envisageait de lui faire obligation de quitter le territoire français. La circonstance que M. B...n'a pas formulé d'observations particulières lors de son audition ne permet donc pas de conclure qu'il a été mis à même de présenter ses observations sur une éventuelle mesure d'éloignement. L'arrêté contesté méconnaît ainsi, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, le droit d'être entendu, tel qu'énoncé au 2 de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et doit, de ce fait, être annulé.
7. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, M. B...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 22 février 2018 du préfet de la Manche.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
8. L'annulation prononcée par le présent arrêté n'implique pas la délivrance au requérant d'un titre de séjour mais implique seulement qu'il soit procédé, dans le délai de deux mois suivant la notification de cet arrêt, à un nouvel examen de la situation de M.B.... Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
9. M. B...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me C...renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le paiement à cet avocat de la somme de 1 200 euros qu'il demande.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'aide juridictionnelle provisoire de M.B....
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 12 avril 2018 et l'arrêté du préfet de la Manche du 22 février 2018 sont annulés.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Manche de procéder à un nouvel examen de la situation de M. B...dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera la somme de 1 200 euros à Me C...au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cet avocat renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au préfet de la Manche et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 21 décembre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Dussuet, président,
- M. Degommier, président assesseur,
- M. Mony, premier conseiller,
Lu en audience publique le 11 janvier 2019.
Le rapporteur,
A. MONY
Le président,
J-P. DUSSUET Le greffier,
C. POPSE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT01930