Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 17 décembre 2019 et 23 janvier 2020, M. H... F... C... et M. G... C..., représentés par Me B..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 26 février 2019 du ministre de l'intérieur ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ou, subsidiairement, de réexaminer la demande dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
M. F... C... et M. C... soutiennent que :
- le ministre a commis une erreur de droit en se fondant sur sa majorité à la date de la décision contestée alors que l'âge doit s'apprécier à la date à laquelle la procédure de réunification familiale a été engagée ;
- le jugement de délégation de l'autorité parentale produit n'est pas entaché d'irrégularité ;
- la décision contestée porte une atteinte disproportionnée à leur droit au respect de sa vie privée et familiale.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 janvier 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. F... C... et M. C... ne sont pas fondés.
M. F... C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle (25%) par une décision du 8 janvier 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- et les observations de Me D..., substituant Me B..., pour M. F... C....
Considérant ce qui suit :
1. Le 27 juillet 2015, un visa d'entrée et de long séjour a été demandé auprès des autorités consulaires à Pointe-Noire (République du Congo) pour le compte de G... C..., ressortissant de la République du Congo né le 8 juillet 1998 en qualité de membre de la famille d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire, son frère, M. F... C.... Le 11 décembre 2015, cette demande a été rejetée. Le 1er février 2016, M. F... C... a formé un recours contre cette décision devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Ce recours a été rejeté le 31 mars 2016. Par un jugement du 29 novembre 2018, le tribunal a annulé cette décision et a enjoint au ministre de l'intérieur de réexaminer la demande de visa présentée par M. G... C.... Le 26 février 2019, le ministre de l'intérieur a de nouveau refusé de délivrer à M. G... C... le visa sollicité. Par un jugement du 17 octobre 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. F... C... et M. C... tendant à l'annulation de la décision du 26 février 2019 par laquelle le ministre de l'intérieur a refusé de délivrer un visa d'entrée et de long séjour à M. C.... M. F... C... et M. C... relèvent appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Pour refuser, par la décision contestée du 26 février 2019, le visa sollicité au titre de la réunification familiale, le ministre de l'intérieur s'est fondé sur ce que M. G... C..., né le 8 juillet l998, " était majeur depuis le 8 juillet 2016 " de sorte qu'il n'était plus sous l'autorité parentale de son frère, M. H... F... C..., et ne pouvait donc prétendre à la délivrance d'un tel visa.
3. Il ressort des pièces du dossier que si, à la date de la décision du 26 février 2019 du ministre, faisant suite au réexamen prescrit par le jugement du 29 novembre 2018 du tribunal administratif de Nantes, M. G... C... était devenu majeur, en revanche, à la date du 27 juillet 2015 d'introduction de la demande de réunification familiale à laquelle il convenait de se placer pour apprécier son âge, celui-ci avait moins de dix-huit ans. Il s'ensuit qu'en se fondant sur l'âge de l'intéressé au moment de sa propre décision, le ministre a commis une erreur de droit.
4. Toutefois, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
5. Le ministre de l'intérieur a demandé aux premiers juges de substituer au motif initial de sa décision un nouveau motif tiré du caractère non authentique du jugement du 26 mai 2015 par lequel le président du tribunal pour enfants E... a délégué à M. H... F... C... les droits et l'exercice de l'autorité parentale sur G... C....
6. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Par ailleurs, s'il appartient en principe aux autorités consulaires de délivrer au conjoint ou concubin ainsi qu'aux enfants mineurs d'un réfugié statutaire les visas qu'ils sollicitent, elles peuvent toutefois opposer un refus à une telle demande pour un motif d'ordre public, notamment en cas de fraude.
7. Ainsi qu'il a été dit, par jugement du 26 mai 2015, le tribunal pour enfants E... a délégué à M. H... F... C... les droits et l'exercice de l'autorité parentale sur son frère, G... C.... La circonstance que ce jugement a été rendu le même jour que la requête introduite par ce dernier devant le tribunal n'est pas de nature en elle-même à ôter à ce jugement son caractère probant. Par ailleurs, l'intéressé produit en appel les réquisitions du procureur de la République près le tribunal d'instance de Tchinouka rendues le 30 octobre 2019, qui demande à l'officier d'état-civil de constater le décès, survenu le 21 décembre 1997, du père de M. F... C... et de son frère, G... C..., ainsi que l'acte de décès dressé suivant ces réquisitions. Si le ministre soutient que le délai d'appel de trente jours entre ces réquisitions du 30 octobre 2019 et la transcription de l'acte de décès n'est pas respecté, cette seule circonstance n'est pas de nature à remettre en cause le caractère authentique de l'acte de décès, à supposer même que ces réquisitions puissent faire l'objet d'un appel. Par suite, il n'y a pas lieu de faire droit à la substitution de motifs demandée par le ministre.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête, que M. F... C... et M. C... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa d'entrée et de long séjour soit délivré à M. G... C.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer un tel visa dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
10. M. F... C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me B... dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 17 octobre 2019 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La décision du 26 février 2019 du ministre de l'intérieur refusant de délivrer à M. G... C... un visa d'entrée et de long séjour en qualité de membre de la famille d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. G... C... un visa d'entrée et de long séjour en France dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me B... une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. F... C... et M. C... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. H... F... C..., à M. G... C... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 26 mars 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- Mme A..., présidente-assesseur,
- Mme Ody, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 avril 2021.
Le rapporteur,
C. A...Le président,
T. CELERIER
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT04877