Procédure devant la cour :
Par un recours enregistré le 20 mars 2017, et un mémoire complémentaire enregistré le 14 juin 2017, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, demande à la cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 31 janvier 2017 et de confirmer la décision de rejet prise par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France (CRRV) ;
Il soutient que :
- le tribunal administratif de Matam n'a jamais répondu aux cinq demandes d'authentification du jugement supplétif ;
- la copie du jugement a été apportée au stade du recours contentieux, mais pas à l'appui de la demande de visa ou du recours CCRV
- plusieurs éléments révèlent le caractère défectueux, erroné ou frauduleux de ce jugement établi neuf ans après la naissance sur simple déclaration des personnes directement intéressées ;
- aucun certificat de non-appel n'a été produit, ce qui entache la validité du jugement car en l'absence d'un tel certificat et d'une copie intégrale de l'acte de naissance faisant apparaître la date de transcription, rien n'établit que ce jugement n'a pas été réformé ;
- si l'absence des mentions prévues par les articles 40 et 52 du code de la famille sur les extraits de registre des actes de naissance n'implique pas nécessairement que les actes sont dénués de valeur probante, il n'en demeure pas moins qu'en l'absence d'éléments aussi essentiels que la date de naissance et l'âge des parents, l'identité des intéressés n'est pas établie ;
- des incohérences importantes entachent les extraits, notamment la rature du mot " deux " présente sur l'acte de 2013 ;
- le livret de famille comporte plusieurs erreurs qui démontrent son caractère frauduleux ; Thilogne au Sénégal y est indiqué comme le lieu de naissance de M. C...E...alors qu'il n'est pas contesté qu'il est né en Mauritanie ; Mme D...E...y figure comme née le 12 mars 1962 alors qu'elle est née le 2 mars 1962 ; M. F...E...y est inscrit alors qu'il est né d'une autre femme ;
- l'acte de mariage comporte également des erreurs majeures puisqu'il contient des ratures, des omissions et qu'il est écrit " heure de mariage : Thilogne " ;
- le jugement du tribunal administratif de Nantes a commis une erreur manifeste d'appréciation en considérant ces éléments de manière séparée au lieu de les considérer dans leur ensemble comme un faisceau d'indice ;
- la possession d'état n'est pas établi ;
- il n'y a pas eu atteinte à l'intérêt supérieur de l'enfant puisque M. F...E...avait vingt ans lors de sa première demande de visa et vingt deux ans lors de sa deuxième demande ;
- sa requête est recevable car aucune disposition légale ou règlementaire n'impose à un requérant de justifier de moyens nouveaux afin de solliciter la réformation d'un jugement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 juin 2017, M. C...E..., représenté par Me Greffard-Poisson, conclut au rejet de la requête et demande à la Cour d'enjoindre aux autorités consulaires de délivrer à M. F...E...un visa long séjour au vu de la décision de regroupement familial rendue en leur faveur sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai de quinze jours, ainsi que de mettre à la charge de l'Etat deux mille euros au titre des frais de justice, dont distraction à Me Greffard-Poisson qui se réserve le droit, en cas de condamnation de renoncer à percevoir la part contributive de l'Etat.
Il soutient que :
- la requête est irrecevable car dépourvue de moyen nouveau avec une argumentation similaire à celle présentée en première instance ;
- aucun des moyens présentés par le ministre de l'intérieur n'est fondé.
M. C...E...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 12 avril 2017.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée le 26 janvier 1990 ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Sacher a été entendu au cours de l'audience publique.
Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir soulevée par M.E... ;
1. Considérant que le ministre de l'intérieur relève appel du jugement en date du 31 janvier 2017 par lequel le tribunal administratif de Nantes a fait droit à la demande de M. C... E..., ressortissant mauritanien né en 1958 et arrivé en France en 1990, et a annulé la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours contre la décision du consul général de France à Dakar du 5 février 2014 refusant de faire droit à la demande de visa de long séjour pour regroupement familial présentée par son fils allégué, M. F...E...;
2. Considérant que lorsque la venue d'une personne en France a été autorisée au titre du regroupement familial, l'autorité consulaire n'est en droit de rejeter la demande de visa dont elle est saisie à cette fin que pour un motif d'ordre public ; que figure au nombre de ces motifs l'absence de caractère authentique des actes d'état-civil produits ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil " ; qu'aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité " ; que cet article pose une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère ; qu'il incombe à l'administration de renverser cette présomption en apportant la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question ;
4. Considérant que le ministre met en doute l'authenticité du jugement d'autorisation d'inscription de naissance produit et se fonde sur la pluralité des incohérences des autres actes produits par M. E...pour en établir le caractère frauduleux et contester le lien de filiation entre M. C...E...et M. F...E...;
5. Considérant en premier lieu que le requérant produit un jugement d'autorisation d'inscription de naissance rendu le 12 avril 2001 par le tribunal départemental de Matam (Sénégal) au vu d'un certificat de non-inscription délivré par l'officier principal d'état civil principal de Thilogne ; que ce jugement, selon lequel le nommé Ousmane E...est bien né le 1er janvier 1992 à Thilogne de Abdoul E...et de AïdaB..., autorise l'inscription de cette naissance sur les registres du centre d'état civil de Thilogne ; que si le ministre précise que les autorités sénégalaises n'ont pas répondu à cinq demandes d'authentification de ce jugement formulées par les autorités consulaires françaises, cette circonstance n'est pas de nature à établir son caractère frauduleux ; que si le ministre indique que ce jugement peut être frappé d'appel, il n'établit pas que tel fut le cas ; que s'il indique que ce jugement n'a été produit qu'au stade du recours contentieux, cette circonstance, à la supposer établie, n'est pas de nature à elle seule à le caractériser de frauduleux ; que le jugement en cause doit dès lors être regardé comme authentique, alors même qu'il a été rendu neuf ans après la naissance de l'enfant Ousmane ;
6. Considérant en deuxième lieu, que M. E...produit également deux extraits du registre des actes de naissance du centre d'état civil de Thilogne de l'année 2001, délivrés en 2005 et 2013, qui font référence au jugement du 12 avril 2001 et en reproduisent les mentions relatives à la naissance de Ousmane E...; que si le ministre soutient que ces extraits de registre des actes de naissance contiennent moins d'informations qu'une copie intégrale d'acte de naissance, dès lors qu'ils ne mentionnent pas la date de l'inscription sur le registre, les âges, professions et domicile des parents, ces seules circonstances ne suffisent pas à écarter ces documents comme dénués de valeur probante ; que les extraits d'acte de naissance ayant été établi à partir de formulaires, la rature du mot " deux " était nécessaire pour que l'officier d'état civil puisse écrire la date de naissance de l'enfant Ousmane et n'établit en rien le caractère frauduleux de l'acte ; que de même, les erreurs ou omissions relevées par le ministre dans l'extrait d'acte de mariage de M. C...E...et de Mme A...B...et dans leur livret de famille ne sont pas de nature à remettre en cause l'existence d'un lien de filiation entre le requérant et M. F...E...;
7. Considérant enfin que, même pris dans leur ensemble, les éléments présentés par le ministre ne sont pas de nature à qualifier de frauduleux ni le jugement, ni les extraits d'acte civil produits ; que dès lors, le lien de filiation entre M. F...E...et M. C...E...qui, au demeurant produisait plusieurs preuves de l'entretien de son fils, doit donc être considéré comme établi ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours contre la décision du consul général de France à Dakar en date du 5 février 2014 refusant de faire droit à la demande de visa de long séjour présentée par son fils M. F...E...;
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
9. Considérant que M. E...demande à la cour qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de lui délivrer, sous astreinte, le visa de long séjour sollicité dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt ; que si le tribunal administratif de Nantes a déjà fait droit à de telles conclusions, il ne résulte pas de l'instruction que le ministre ait délivré le visa sollicité ; que, par suite, il y a lieu, sous réserve d'un changement dans les circonstances de fait et de droit, d'enjoindre à nouveau au ministre de délivrer le visa de long séjour sollicité au vu de la décision de regroupement familial au profit de M. F...E...dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt ; qu'il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte ;
Sur les frais du litige :
10. Considérant que M. E...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de 2000 euros à Me Greffard-Poisson, avocate de M.E..., sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le recours du ministre de l'intérieur est rejeté.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de faire délivrer à M. F...E...un visa de long séjour en tant que bénéficiaire du regroupement familial, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.
Article 3 : L'Etat versera à Me Greffard-Poisson, avocate de M.E..., la somme de 2000 euros en application du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Greffard-Poisson renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, à M. C...E...et à M. F...E....
Délibéré après l'audience du 30 mars 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Lenoir, président de chambre,
- M. Mony, premier conseiller,
- M. Sacher, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 16 avril 2018.
Le rapporteur,
E. SACHERLe président,
H. LENOIR
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17NT00953