Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 5 janvier 2015, 1er avril et 2 mai 2016, Mme B...F..., représentée par MeC..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 5 novembre 2014 ;
2°) d'annuler les arrêtés de permis de construire du 26 août 2013 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le pétitionnaire ayant déposé trois demandes distinctes de permis de construire pour des projets non identiques, chaque dossier de demande devait contenir des indications propres à chaque projet. Or les différentes études réalisées et la notice explicative sont strictement identiques ;
- il convenait pour la société SEPE de Source de Sèves de déposer un dossier unique en application de l'article L. 421-6 du code de l'urbanisme car l'ouvrage projeté par cette société constituait un ensemble uniforme ;
- l'étude d'impact est insuffisante s'agissant de l'étude acoustique, ainsi que des effets sur les chiroptères ;
- les pièces relatives à l'insertion paysagère du projet sont particulièrement lacunaires et ne permettent notamment pas d'apprécier l'impact qu'auront les éoliennes sur le paysage depuis les maisons d'habitations les plus proches, non plus que depuis le sentier de randonnée qui traverse l'aire du projet de parc éolien ; les affirmations du pétitionnaire dans son dossier de demande sont péremptoires quant à l'absence d'impact visuel du parc éolien ;
- les pièces jointes au dossier de demande ne rendent pas suffisamment compte de l'impact qu'auront les éoliennes sur le patrimoine protégé ;
- les avis donnés, en application de l'article R. 244-1 du code de l'aviation civile, au nom du ministre chargé de l'aviation civile ont été émis par des autorités incompétentes ;
- l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme a été méconnu relativement aux risques pour les usagers de la RD 68 et aux nuisances sonores ;
- l'article R. 111-21 du code de l'urbanisme a été méconnu ; le projet de parc éolien doit s'implanter dans un paysage préservé, composé de bocages et dotés de nombreux éléments de patrimoine, notamment des monuments historiques ; il s'agit d'un projet de très grandes dimensions dont les quelques photomontages joints au dossier de demande font apparaître qu'il dénaturera le paysage ; les mesures d'insertion paysagère prévues dans le dossier de demande sont inappropriées et inefficaces ;
- l'article R. 111-15 du code de l'urbanisme a été méconnu car les permis de construire en litige ne sont pas assortis des prescriptions nécessaires pour assurer la préservation des espèces animales existantes sur le site.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 25 mars et 28 avril 2016, la société SEPE de source de Sèves, représentée par le cabinet d'avocats Fidal, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de Mme F...au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient :
- que la requérante ne justifie pas de son intérêt à agir ;
- qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 mars 2016, le ministre du logement et de l'habitat durable conclut au rejet de la requête.
Il soutient :
- que la requérante ne justifie pas de son intérêt à agir ;
- qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Un mémoire présenté par le ministre du logement et de l'habitat durable a été enregistré le 9 mai 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Francfort, président,
- les conclusions de M. Durup de Baleine, rapporteur public,
- et les observations de MeE..., substituant MeC..., représentant MmeF....
1. Considérant que par trois arrêtés du 26 aout 2013, le préfet de la Manche a délivré à la société SEPE de source de Sèves des permis de construire, autorisant respectivement l'édification de deux éoliennes E2 et E3 sur un terrain cadastré ZE n° 21 et ZE n° 25 situé Les Maladreries sur le territoire de la commune de Vaudrimesnil, une éolienne E4 sur un terrain cadastré ZS n° 40 situé sur le territoire de la commune de Millières et deux éoliennes E1 et E5 sur un terrain cadastré F n° 164 et F n° 139 situé sur le territoire de la commune de Muneville-le-Bingard, ces constructions formant ensemble un unique parc éolien ; que Mme F...relève appel du jugement en date du 5 novembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces trois arrêtés de permis de construire ;
Sur les conclusions à fins d'annulation, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non recevoir opposées en défense :
En ce qui concerne la composition du dossier de demande :
S'agissant de la présentation de plusieurs demandes présentant des éléments communs :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 421-6 du code de l'urbanisme : " Le permis de construire ou d'aménager ne peut être accordé que si les travaux projetés sont conformes aux dispositions législatives et réglementaires relatives à l'utilisation des sols, à l'implantation, la destination, la nature, l'architecture, les dimensions, l'assainissement des constructions et à l'aménagement de leurs abords et s'ils ne sont pas incompatibles avec une déclaration d'utilité publique. " ;
3. Considérant, d'une part, que s'il résulte de ces dispositions qu'une construction constituée de plusieurs éléments formant, en raison des liens physiques ou fonctionnels entre eux, un ensemble immobilier unique, doit en principe faire l'objet d'un seul permis de construire, elles ne font pas obstacle à ce que, lorsque l'ampleur et la complexité du projet le justifient, les éléments de la construction ayant une vocation fonctionnelle autonome puissent faire l'objet de permis distincts, sous réserve que l'autorité administrative ait vérifié, par une appréciation globale, que le respect des règles et la protection des intérêts généraux que garantirait un permis unique sont assurés par l'ensemble des permis délivrés ; qu'au surplus au cas particulier la présentation d'une demande dans chacune des communes concernées constituait une obligation imposée, relativement à la procédure d'instruction des demandes de permis de construire, par les dispositions de l'article R. 423-1 du code de l'urbanisme ; qu'il résulte de ce qui précède que le préfet de la Manche, saisi par la SEPE de source de Sèves de demandes portant sur plusieurs éoliennes formant un même parc éolien implanté sur plusieurs communes, n'a pas méconnu les dispositions précitées en lui délivrant plusieurs permis de construire ;
4. Considérant, d'autre part, que le projet de la société SEPE de source de Sèves consistait en l'implantation d'un unique parc éolien comportant cinq éoliennes réparties sur trois communes ; que la circonstance que les dossiers de demande de permis de construire, qui identifient chacun des projets de construction pour lequel un permis de construire est sollicité, fassent l'objet de développements communs, notamment sur les caractéristiques techniques ou l'insertion paysagère, n'est pas de nature en l'espèce, compte tenu de la proximité des constructions, à avoir induit le service instructeur en erreur ;
S'agissant de la régularité de l'étude d'impact :
5. Considérant qu'en vertu de l'article L. 421-6 du code de l'urbanisme, le permis de construire a pour objet de vérifier que les travaux projetés sont conformes aux dispositions législatives et réglementaires relatives à l'utilisation des sols, à l'implantation, la destination, la nature, l'architecture, les dimensions, l'assainissement des constructions et à l'aménagement de leurs abords ; que l'article R. 431-16 du même code, relatif à certaines pièces complémentaires qui doivent être jointes à la demande de permis de construire en fonction de la situation ou de la nature du projet, dans sa rédaction en vigueur à la date des arrêtés attaqués, dispose que : " Le dossier joint à la demande de permis de construire comprend en outre, selon les cas : / a) L'étude d'impact, lorsqu'elle est prévue en application du code de l'environnement ; (...) " ; que le tableau annexé à l'article R. 122-2 du code de l'environnement dresse la liste des travaux, ouvrages ou aménagements soumis à une étude d'impact, notamment lorsqu'ils sont subordonnés à la délivrance d'un permis de construire ;
6. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces dispositions que l'obligation de joindre l'étude d'impact au dossier de demande de permis de construire prévue par l'article R. 431-16 du code de l'urbanisme ne concerne que les cas où l'étude d'impact est exigée en vertu des dispositions du code de l'environnement pour des projets soumis à autorisation en application du code de l'urbanisme ;
7. Considérant que le projet litigieux, qui correspond à un parc éolien comportant des aérogénérateurs dont le mât a une hauteur supérieure à 50 mètres, était soumis à autorisation au titre de la législation sur les installations classées sur le fondement de la rubrique n° 2980 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement ; qu'il était par voie de conséquence soumis à étude d'impact sur le fondement du 1° du tableau annexé à l'article R. 122-2 du code de l'environnement, dont il convient de faire application à la présente espèce dès lors que les demandes de permis n'ont été complétées qu'après le 1er juin 2012, date d'entrée en vigueur de ces dispositions ; qu'en revanche, dès lors qu'aucune rubrique du même tableau ni aucune disposition du code de l'environnement n'imposait à la même date la réalisation d'une étude d'impact préalablement à la délivrance d'un permis de construire portant sur un projet de parc éolien, une telle étude n'avait pas à figurer à titre obligatoire parmi les pièces des demandes de permis présentées par la société SEPE de source de Sèves ; que Mme F...ne peut dès lors critiquer utilement l'insuffisance de l'étude d'impact figurant à ces dossiers de demande ;
S'agissant des autres pièces de la demande :
8. Considérant, en premier lieu, que si Mme F...critique le caractère selon elle lacunaire des pièces de la demande relatives à l'intégration paysagère, en faisant valoir que les photomontages relatifs à l'impact visuel depuis les habitations sont trop peu nombreux et plus généralement que les documents produits seraient peu réalistes ou tendancieux, voire trompeurs, elle n'assortit ces assertions d'aucune démonstration circonstanciée, ne mettant ainsi pas la cour en mesure d'apprécier les erreurs qu'auraient pu commettre les premiers juges sur la complétude du dossier de demande au regard des dispositions des articles R. 431-8 et suivants du code de l'urbanisme ;
9. Considérant, en second lieu, que la requérante ne démontre pas, s'agissant de l'impact visuel du projet sur la cathédrale Notre-Dame de Coutances, enserrée dans le tissu urbain et éloignée de plus de 11 km du parc de la société SEPE de source de Sèves, en quoi la demande ne comportait pas les photomontages nécessaires pour permettre à l'administration de forger son appréciation ;
En ce qui concerne les avis recueillis en application du code de l'aviation civile :
10. Considérant que les avis émis sur le projet en application des dispositions de l'article R. 244-1 du code de l'aviation civile sont signés respectivement par le général Antoine Noguier, lequel bénéficiait d'une délégation du ministre chargé de la défense par l'effet de l'article 9 du décret du 23 novembre 2011 portant délégation de signature, publié au journal officiel du 25 novembre 2011, et par M. A...D..., lequel s'est prononcé au nom du ministre des transports sur le fondement d'une décision du 19 mai 2011 portant délégation de signature relativement à la direction de l'aviation civile ouest, publiée au journal officiel du 29 mai 2011 ; que la requérante n'est dès lors pas fondée à soutenir que ces autorisations auraient été accordées par des signataires incompétents ;
En ce qui concerne la légalité interne :
11. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations " ; que si la requérante, après s'être livrée à une critique de l'étude acoustique figurant à l'étude d'impact, allègue " que l'éloignement avec les habitations n'est pas suffisant pour assurer la santé des riverains, étant précisé que la population concernée est significative ", elle n'assortit cette affirmation d'aucune argumentation circonstanciée venant à son soutien ;
12. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article R. 111-15 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction alors applicable : " Le permis ou la décision prise sur la déclaration préalable doit respecter les préoccupations d'environnement définies aux articles L. 110-1 et L. 110-2 du code de l'environnement. Le projet peut n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si, par son importance, sa situation ou sa destination, il est de nature à avoir des conséquences dommageables pour l'environnement " ; que la seule énumération par la requérante des espèces animales présentes au sein de sites Natura 2000 ou de zones naturelles d'intérêt écologique, faunistique et floristique, dont l'éloignement exact par rapport au projet n'est pas même précisé, n'est pas susceptible de caractériser une méconnaissance de ces dispositions ;
13. Considérant, enfin, que selon l'article R. 111-21 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable à l'espèce : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales " ;
14. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que si les constructions projetées portent atteinte aux paysages naturels avoisinants, l'autorité administrative compétente peut refuser de délivrer le permis de construire sollicité ou l'assortir de prescriptions spéciales ; que, pour rechercher l'existence d'une atteinte à un paysage naturel de nature à fonder le refus de permis de construire ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de ce permis, il lui appartient d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site naturel sur lequel la construction est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site ;
15. Considérant, d'une part, que si Mme F...se prévaut des termes de la charte du Parc Naturel Régional des marais du Bessin et du Cotentin, laquelle recommande un développement raisonné de l'éolien, une charte de parc naturel n'a en tout état de cause pas pour objet principal de déterminer les prévisions et règles touchant à l'affectation et à l'occupation des sols et ne peut contenir des règles, de fond ou de procédure, opposable aux tiers ;
16. Considérant, d'autre part, que si la requérante met en cause l'effet de saturation visuelle lié à la proximité d'autres parcs éoliens, il résulte du chapitre de l'étude d'impact consacré à " l'intervisibilité avec d'autres sites éoliens ", que les parcs les plus proches sont distants de plus de 9 km et que seuls les parcs de Cambernon, Gonfreville et Gorges, ainsi que celui de Gratot seront potentiellement perceptibles, dans des conditions atténuées par les conditions climatiques et la densité de la végétation ;
17. Considérant, pour le surplus, que la requérante se borne devant la cour à reprendre son argumentation de première instance tirée de l'atteinte excessive au paysage qui découlerait de la hauteur atteinte par les aérogénérateurs, sans y ajouter de justifications nouvelles ; que les premiers juges y ayant suffisamment et justement répondu il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif ;
18. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme F...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
19. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'a pas dans la présente instance la qualité de partie perdante, la somme que demande Mme F...au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme F...le versement à la société SEPE de source de Sèves d'une somme de 1 500 euros au même titre ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme F...est rejetée.
Article 2 : Mme F...versera à la société SEPE de source de Sèves une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...F..., au ministre du logement et de l'habitat durable et à la société SEPE de source de Sèves.
Copie en sera adressée au Préfet de la Manche.
Délibéré après l'audience du 27 juin 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Francfort, président,
- M. Mony, premier conseiller,
- Mme Piltant, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 18 juillet 2016.
L'assesseur le plus ancien,
A. MONYLe président-rapporteur,
J. FRANCFORT
Le greffier,
F. PERSEHAYE
La République mande et ordonne au ministre du logement et de l'habitat durable en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 15NT00023