Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 3 février 2021, Mme C... A..., M. E... B... et M. D... B..., représentés par Me Bourgeois, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision de la commission de recours ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ou, subsidiairement, de réexaminer la demande dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement à leur conseil de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- le lien de filiation est établi par les actes d'état civil produits qui sont authentiques et par la possession d'état ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense enregistré le 21 juillet 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 29 septembre 2021, la clôture d'instruction à effet immédiat a été fixée au même jour.
Un mémoire en réplique, enregistré le 18 février 2022, postérieurement à la clôture de l'instruction, a été présenté pour Mme C... A..., M. E... B... et M. D... B..., et n'a pas été communiqué.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 décembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Buffet,
- et les observations de Me Thullier, substituant Me Bourgeois, pour Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 30 septembre 2020, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de Mme C... A... et de M. E... B... tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours formé à l'encontre de la décision du consul général de France à Bamako, notifiée le 29 mai 2017, rejetant la demande de visa de long séjour présentée pour M. D... B... en qualité de membre de famille de bénéficiaires de la protection subsidiaire. Mme A..., M. E... B... et M. D... B... relèvent appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " (...) Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. (...). ".
3. Aux termes de l'article L. 111-6 du même code, alors en vigueur : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil, dans sa rédaction alors applicable : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ".
4. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
5. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
6. Mme A... ainsi que son époux M. E... B... ont obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire par décision du 17 janvier 2011. Il ressort du courrier du 26 septembre 2017 par lequel la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a communiqué à Mme A..., sur sa demande, les motifs de la décision implicite contestée que, pour rejeter la demande de visa de long séjour, la commission de recours s'est fondée sur ce que le lien de filiation de M. D... B... avec Mme C... A... n'était pas établi.
7. Pour justifier du lien de filiation, les requérants ont produit, d'une part, la copie littérale du 1er décembre 2015 établie par le centre secondaire d'Alamissani, de l'acte de naissance du 12 janvier 2002, portant le numéro 0014 du registre de l'année 2002 du centre principal de Segou qui indique que l'enfant est né le 6 janvier 2002 de l'union de M. E... B... et de Mme C... A..., d'autre part, le jugement supplétif n° 734 du 14 octobre 2015 du tribunal civil de Segou qui comporte les mêmes mentions relatives aux parents et indique que l'enfant est né " vers 2002 ", ainsi que l'acte de naissance, dressé le 19 octobre 2015 par le centre principal de Segou sur le fondement de ce jugement supplétif. Mme A... et son époux soutiennent qu'étant bénéficiaires d'une protection internationale, ils n'ont pu procéder eux-mêmes aux démarches nécessaires pour obtenir les actes d'état civil requis et que ce sont des proches qui les ont effectuées pour eux, l'acte de naissance du 12 janvier 2002 n'ayant été retrouvé que postérieurement à la requête introduite devant le tribunal civil de Segou. Dans ces conditions, et alors que Mme A... avait déclaré son enfant dès sa demande d'asile, le 19 novembre 2010, le jugement supplétif du 14 octobre 2015 du tribunal civil de Segou ne peut être regardé comme entaché de fraude du fait de l'existence de l'acte de naissance du 12 janvier 2002. Dès lors, ce jugement supplétif est de nature à établir le lien de filiation de M. D... B... avec Mme A..., si bien que la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France, en refusant pour le motif énoncé au point 6 la délivrance du visa sollicité, a fait une inexacte application des dispositions précitées.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré à M. D... B.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer ce visa dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
10. Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me Bourgeois dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 30 septembre 2020 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté la demande de visa d'entrée et de long séjour en France présentée pour M. D... B... est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. D... B... un visa d'entrée et de long séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Bourgeois une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A..., à M. E... B..., à M. D... B... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 7 mars 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Francfort, président de chambre,
- Mme Buffet, présidente-assesseure,
- M. Frank, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 mars 2022.
La rapporteure,
C. BUFFETLe président,
J. FRANCFORT
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21NT00301