Par une requête, enregistrée le 20 mars 2018, Mme G... et MmeE..., représentées par MeC..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 29 décembre 2017 ;
2°) d'annuler la décision implicite de la CRRV ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité par Mme G...dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, subsidiairement d'enjoindre au ministre de l'intérieur de procéder au réexamen de la demande de visa dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 31 juillet 1991.
Elles soutiennent que :
- Mme G...était titulaire d'une carte de résident valable du 16 avril 2003 au 16 avril 2013 ; elle a demandé en vain le renouvellement de ce titre ; rien n'établit que cette demande de renouvellement n'aurait pas été effectuée ; le refus de l'administration de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour est entaché d'illégalité ; elle est recevable à invoquer l'illégalité de ce refus d'autorisation provisoire de séjour à l'appui de son recours contre la décision de refus de visa, les deux décisions formant ensemble une opération complexe ;
- le refus de visa de retour méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, compte tenu de la durée de sa résidence et de ses attaches en France.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 juin 2018, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le recours de Mme E...était irrecevable, Mme E...ne disposant d'aucun pouvoir lui permettant d'agir au nom de Mme G...et ne justifiant d'aucun intérêt pour agir ;
- les moyens soulevés par Mme G... et Mme E...ne sont pas fondés.
Mme G...n'a pas été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle, par une décision du 24 mai 2018.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Degommier,
- les conclusions de M. Sacher, rapporteur public,
- et les observations de MeC..., représentant Mme G...et MmeE....
Considérant ce qui suit :
1. Mme G... et Mme E...font appel du jugement du 29 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la Commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France (CRRV) a rejeté le recours de Mme E...dirigé contre la décision de l'autorité consulaire française à Yaoundé rejetant la demande de visa de retour en France de Mme D...G....
Sur la fin de non-recevoir opposée en défense :
2. Si Mme E...ne justifie pas en sa qualité de belle-mère d'un intérêt lui permettant de contester, devant le juge administratif, la légalité d'un refus de visa opposé à sa belle-fille majeure, cette circonstance n'affecte pas la recevabilité de la demande, présentée également par MmeG..., dont l'intérêt à agir pour contester une décision lui refusant un visa afin de lui permettre de retourner en France est établi. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que MmeE..., qui a contesté devant la CRRV le refus de visa opposé par les autorités consulaires françaises, avait reçu mandat de la part de Mme G...pour saisir cette commission. Par suite, la fin de non-recevoir opposée en défense ne peut qu'être écartée.
Sur la légalité de la décision de la CRRV :
3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2) Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
4. Il ressort des pièces du dossier que MmeG..., ressortissante camerounaise née le 2 avril 1986, est entrée en France le 10 septembre 2001, à l'âge de 15 ans, en tant qu'enfant mineur d'un parent de nationalité française, a vécu chez son père et sa belle-mère, a suivi en France sa scolarité et effectué des études de comptabilité. Elle a obtenu en dernier lieu la délivrance d'une carte de résident valable du 17 avril 2003 au 16 avril 2013. Ayant sollicité le renouvellement de ce titre de séjour à une date non déterminée, elle a été convoquée en préfecture pour le 7 septembre 2015. Entre temps, elle s'est rendue au Cameroun le 6 août 2015 notamment pour rendre visite à sa grand-mère malade. C'est dans ces conditions qu'elle a déposé une demande de visa dit de retour auprès de l'autorité consulaire française à Yaoundé qui lui a opposé un refus. Il est constant que Mme G...ne disposait plus à la date de la décision contestée, d'un titre de séjour en cours de validité, sa carte de résident n'ayant pas été renouvelée, ni d'autorisation provisoire de séjour lorsqu'elle a sollicité un visa de retour. Elle ne pouvait dès lors obtenir un tel visa qui constitue seulement une pratique administrative destinée à faciliter le retour en France des étrangers titulaires d'un titre de séjour. Toutefois il n'est pas contesté qu'elle avait engagé des démarches en vue du renouvellement de sa carte de résident avant son départ au Cameroun. Elle a vécu en France de 2001 à 2015, son père et son demi-frère sont de nationalité française et à l'issue de ses études, elle a obtenu un emploi sous contrat à durée indéterminée dans un cabinet de comptabilité ; son employeur a déclaré que son contrat de travail demeurait valide en dépit de son absence involontaire. Dès lors, l'essentiel de ses attaches familiales se situe en France, où elle a vécu quasiment la majeure partie de sa vie. Dans ces conditions, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, en rejetant la demande de visa présentée par MmeG..., a porté une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressée à mener une vie familiale normale.
5. Il résulte de ce qui précède que Mme E...et Mme G... sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré à MmeG.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer un tel visa à l'intéressée dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
7. Il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par Mme G... et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du 29 décembre 2017 du tribunal administratif de Nantes et la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer un visa de long séjour à Mme G... dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : l'Etat versera à Mme G...une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D...G..., à Mme B... E...et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 8 mars 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président assesseur,
- M.A...'hirondel, premier conseiller,
- Mme Malingue, premier conseiller.
Lu en audience publique le 26 mars 2019.
Le rapporteur,
S. DEGOMMIER
L'assesseur le plus ancien
dans l'ordre du tableau,
M. F...
Le greffier,
C. POPSE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT01220