I. Par une requête enregistrée le 13 avril 2018 sous le n° 18NT01522, M.A..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Caen du 23 mars 2018 et d'annuler l'arrêté préfectoral du 13 décembre 2017 ;
2°) d'enjoindre au préfet d'Eure-et-Loir de lui délivrer un titre de séjour valable un an, dans un délai d'un mois, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou subsidiairement, de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, dans un délai d'un mois, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal administratif de Caen était compétent dès lors qu'il réside à Alençon ;
Sur le refus de titre de séjour :
- le préfet d'Eure-et-Loir est territorialement incompétent ;
- le signataire de l'acte est incompétent ;
- la décision n'est pas suffisamment motivée ;
- la commission du titre de séjour aurait dû être saisie ;
- la situation particulière du requérant n'a pas été examinée ;
- la décision méconnaît les dispositions et stipulations des articles L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
- le préfet d'Eure-et-Loir est territorialement incompétent ;
- le signataire de l'acte est incompétent ;
- la décision est dépourvue de base légale ;
- la situation particulière du requérant n'a pas été examinée ;
- la décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
Sur le refus de délai de départ volontaire :
- la décision n'est pas suffisamment motivée ;
- la décision a été prise en méconnaissance des dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Sur la décision fixant le pays de destination :
- la décision est dépourvue de base légale ;
Sur l'interdiction de retour sur le territoire français :
- la décision n'est pas suffisamment motivée ;
- la décision est dépourvue de base légale ;
- la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation et comporte des conséquences d'une exceptionnelle gravité.
Vu les autres pièces du dossier.
II. Par une requête enregistrée le 3 août 2018 sous le n° 18NT02997, M.A..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif d'Orléans du 10 juillet 2018 et d'annuler l'arrêté préfectoral du 13 décembre 2017 ;
2°) d'enjoindre au préfet d'Eure-et-Loir de lui délivrer un titre de séjour valable un an, dans un délai d'un mois, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou subsidiairement, de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, dans un délai d'un mois, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal administratif de Caen était compétent dès lors qu'il réside à Alençon ;
Sur le refus de titre de séjour :
- le préfet d'Eure-et-Loir est territorialement incompétent ;
- la décision n'est pas suffisamment motivée ;
- la commission du titre de séjour aurait dû être saisie ;
- la situation particulière du requérant n'a pas été examinée ;
- la décision méconnaît les dispositions et stipulations des articles L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
- le préfet d'Eure-et-Loir est territorialement incompétent ;
- la décision est dépourvue de base légale ;
- la situation particulière du requérant n'a pas été examinée ;
- la décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
Sur le refus de délai de départ volontaire :
- la décision n'est pas suffisamment motivée ;
- la décision a été prise en méconnaissance des dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Sur la décision fixant le pays de destination :
- la décision est dépourvue de base légale ;
Sur l'interdiction de retour sur le territoire français :
- la décision n'est pas suffisamment motivée ;
- la décision est dépourvue de base légale ;
- la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation et comporte des conséquences d'une exceptionnelle gravité.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 février 2019, le préfet d'Eure-et-Loir conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par le requérant n'est soulevé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
.Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Picquet,
- et les conclusions de M. Sacher, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B...A..., ressortissant tunisien né le 27 septembre 1961, déclare être entré en France en décembre 2001. Le recours contre le refus de séjour opposé par le préfet d'Eure-et-Loir le 26 mai 2010 a été rejeté par le tribunal administratif d'Orléans le 23 septembre 2010. La contestation d'un arrêté du préfet de l'Essonne le concernant a été rejetée le 18 juin 2015, sous le n° 1301303 par le tribunal administratif de Versailles. Prétendant résider chez un de ses frères à Alençon, il a déposé auprès de la préfecture de l'Orne une demande de titre de séjour. M. A...ayant été interpellé dans le département d'Eure-et-Loir, l'autorité préfectorale de ce département a, par un arrêté notifié le 15 novembre 2017, fait à l'intéressé obligation de quitter le territoire sans délai et édicté à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. Au vu du récépissé de demande de titre de séjour délivré par le préfet de l'Orne le 23 novembre 2017, cet arrêté a été annulé par le tribunal administratif de Rouen le 24 novembre 2017. Par un courrier du 24 novembre 2017, la préfète de l'Orne a indiqué à M. A...que sa demande de titre relevait de la préfecture d'Eure-et-Loir. Par arrêté du 5 décembre 2017, la préfète d'Eure-et-Loir a fait obligation à l'intéressé de quitter le territoire français en lui refusant un délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office et a prononcé à son encontre une interdiction du territoire français d'une durée d'un an. Cet arrêté ayant été retiré, un nouvel arrêté reprenant les mesures du précédent a été édicté le 13 décembre 2017, portant en outre refus de titre de séjour. Le tribunal administratif de Caen a estimé, par un jugement du 23 mars 2018 portant le n° 1702365, que le recours dirigé contre l'arrêté du 13 décembre 2017 relevait de la compétence territoriale du tribunal administratif d'Orléans. Ce dernier, par un jugement du 10 juillet 2018 a rejeté la demande. M. A...fait appel du jugement du 23 mars 2018 du tribunal administratif de Caen, dans sa requête n° 1801522 et fait appel du jugement du 10 juillet 2018 du tribunal administratif d'Orléans, dans sa requête n° 1802997.
Sur la jonction :
2. Les deux appels dont la cour est saisie se rapportant à un même arrêté et soulevant des questions de droit identiques, il y a lieu de les joindre pour y statuer par un arrêt unique.
Sur les conclusions à fin d'annulation du jugement du 23 mars 2018 par lequel le tribunal administratif de Caen a transmis la demande de M. A...au tribunal administratif d'Orléans :
3. Aux termes de l'article R. 351-3 du code de justice administrative : " Lorsqu'une cour administrative d'appel ou un tribunal administratif est saisi de conclusions qu'il estime relever de la compétence d'une juridiction administrative autre que le Conseil d'Etat, son président, ou le magistrat qu'il délègue, transmet sans délai le dossier à la juridiction qu'il estime compétente. ". Aux termes de l'article R. 351-6 du même code : " Les décisions du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat et des présidents des cours administratives d'appel et des tribunaux administratifs prises en application des articles R. 312-5, R. 322-3, R. 341-2, R. 341-3, R. 342-2, R. 343-2, R. 343-3, R. 344-2, R. 344-3 à R. 351-3, du deuxième alinéa de l'article R. 351-6, de l'article R. 351-8 sont notifiées sans délai aux parties. Elles sont prises par ordonnance non motivée et ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles n'ont pas l'autorité de chose jugée. ".
4. Ces dispositions n'interdisent pas au tribunal administratif qui s'estime incompétemment saisi de transmettre le dossier à un autre tribunal administratif par un jugement motivé. Un tel jugement, comme l'ordonnance qui aurait pu intervenir aux mêmes fins, n'est pas susceptible de recours. Dès lors, la requête de M. A...dirigée contre le jugement par lequel le tribunal administratif de Caen a transmis au tribunal administratif d'Orléans la demande analysée ci-dessus dont il avait été saisi par M. A...n'est pas recevable et doit être rejetée.
Sur les conclusions à fin d'annulation du jugement du 10 juillet 2018 du tribunal administratif d'Orléans :
En ce qui concerne la compétence territoriale du tribunal administratif d'Orléans :
5. Aux termes de l'article R. 312-2 du code de justice administrative : " (...) Lorsqu'il n'a pas été fait application de la procédure de renvoi prévue à l'article R. 351-3 et que le moyen tiré de l'incompétence territoriale du tribunal administratif n'a pas été invoqué par les parties avant la clôture de l'instruction de première instance, ce moyen ne peut plus être ultérieurement soulevé par les parties ou relevé d'office par le juge d'appel ou de cassation ". Aux termes de l'article R. 312-8 du même code : " Les litiges relatifs aux décisions individuelles prises à l'encontre de personnes par les autorités administratives dans l'exercice de leurs pouvoirs de police relèvent de la compétence du tribunal administratif du lieu de résidence des personnes faisant l'objet des décisions attaquées à la date desdites décisions. ".
6. Il ressort des pièces du dossier que le moyen tiré de l'incompétence territoriale du tribunal administratif d'Orléans a été soulevé par M. A...avant la clôture de l'instruction de première instance et comme il a été dit au point 1, il a été fait application de la procédure de renvoi prévue à l'article R. 351-3 du code de justice administrative. Dès lors, ce moyen est recevable.
7. Il est constant que, lors de son interpellation par les services de police le 15 novembre 2017 dans le cadre d'une procédure de retenue aux fins de vérification de la régularité de sa situation en France, M. A...a déclaré demeurer chez son neveu à Courville-sur-Eure, dans le département de l'Eure-et-Loir. Un récépissé de demande de carte de séjour a été délivré par la préfecture de l'Orne à M. A...le 23 novembre 2017. Par un courrier du 24 novembre 2017, la préfète de l'Orne a indiqué à M. A...qu'au vu des éléments mentionnés par ce dernier aux services de police le 15 novembre 2017, alors même que l'intéressé avait déclaré, lors du dépôt de sa demande de titre de séjour, être domicilié.... Un courrier du 24 novembre 2017 de la préfète d'Eure-et-Loir contenait les mêmes indications. Une autorisation provisoire de séjour a été délivrée le 29 novembre 2017 par la préfecture d'Eure-et-Loir. Toutefois, il ressort des pièces du dossier et sans que cela ne soit contesté en défense que M. A...a informé le préfet d'Eure-et-Loir, le 5 décembre 2017, qu'il était domicilié.... D'ailleurs, la décision attaquée a non seulement été envoyée à l'adresse de Courville-sur-Eure mais également à l'adresse d'Alençon, qui avait au demeurant également été mentionnée dans la demande de titre de séjour. Dès lors, le tribunal administratif d'Orléans n'était pas territorialement compétent pour connaître de la demande de M. A...tendant à l'annulation de cet arrêté du 13 décembre 2017. Il y a lieu, en conséquence, d'annuler le jugement du tribunal administratif d'Orléans attaqué.
8. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif.
En ce qui concerne la légalité de la décision de refus de titre de séjour :
9. Aux termes de l'article R. 311-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le titre de séjour est délivré par le préfet du département dans lequel l'étranger a sa résidence ". Il résulte de ce qui a été dit au point 7 que la résidence de M. A...était, à la date de la décision attaquée, à Alençon, dans le département de l'Orne, sans qu'y fasse obstacle la circonstance qu'il ait séjourné quelques jours au mois de novembre à Courville-sur-Eure, dans le département d'Eure-et-Loir. Dès lors, le requérant est fondé à soutenir que la préfète d'Eure-et-Loir n'était pas compétente pour prendre à son encontre l'arrêté du 13 décembre 2017 par lequel elle a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office et a prononcé à son encontre une interdiction du territoire français d'une durée d'un an.
10. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés que M. A...est fondé à demander l'annulation de l'arrêté préfectoral du 13 décembre 2017.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
11. L'annulation de l'arrêté préfectoral du 13 décembre 2017 implique seulement, eu égard au motif qui la fonde, que l'administration procède à un nouvel examen de la demande. Il y a lieu d'enjoindre au préfet du lieu de résidence de M. A...à la date du présent arrêt de procéder à ce réexamen dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans cette attente, de délivrer sans délai à M. A...une autorisation provisoire de séjour, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 1 000 euros à M. A...à ce titre.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif d'Orléans du 10 juillet 2018 est annulé.
Article 2 : L'arrêté de la préfète d'Eure-et-Loir du 13 décembre 2017 est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet du lieu de résidence de M. A...à la date du présent arrêt de procéder au réexamen de la demande de titre de séjour de M. A...dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans cette attente, de lui délivrer sans délai une autorisation provisoire de séjour.
Article 4 : L'Etat versera à M. A...la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions des requêtes de M. A...est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...A...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée, pour information, à la préfète d'Eure-et-Loir et au préfet de l'Orne.
Délibéré après l'audience du 8 mars 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Dussuet, président de chambre,
- M. Degommier, président assesseur,
- Mme Picquet, premier conseiller.
Lu en audience publique le 26 mars 2019.
Le rapporteur,
P. PICQUET
Le président,
J-P. DUSSUET
Le greffier,
C. POPSE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°s 18NT01522, 18NT02997