Par une requête, enregistrée le 7 avril 2020, Mme D..., représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 1er août 2017 du ministre de l'intérieur ;
3°) d'enjoindre au ministre chargé des naturalisations de réexaminer sa demande, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la décision contestée est insuffisamment motivée ; la décision ne mentionne pas que la qualité de travailleur handicapé lui a été reconnue ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;
- la décision d'ajournement litigieuse est fondée sur ce qu'elle n'a pas pleinement réalisé son insertion professionnelle faute de ressources suffisantes alors que cette insuffisance de ressources est directement liée au handicap dont elle est atteinte ;
- cette décision a été prise en méconnaissance des principes d'égalité et de non-discrimination en raison de l'état de santé et du handicap ; le ministre s'est exclusivement fondé sur l'absence de ressources suffisantes ; ses ressources sont majoritairement composées de revenus issus du travail ;
- la décision contestée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; elle remplit les autres conditions pour se voir accorder la nationalité française.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 mai 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme D... ne sont pas fondés.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 juin 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code du travail ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- et les conclusions de M. Mas, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... relève appel du jugement du 29 janvier 2020 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 1er août 2017 par laquelle le ministre de l'intérieur a ajourné à deux ans sa demande de naturalisation.
2. Aux termes de l'article 21-15 du code civil : " (...) l'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique résulte d'une naturalisation accordée par décret à la demande de l'étranger ". Aux termes de l'article 48 du décret du 30 décembre 1993 : " (...) Si le ministre chargé des naturalisations estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation ou la réintégration sollicitée, il prononce le rejet de la demande. Il peut également prononcer l'ajournement en imposant un délai ou des conditions (...) ".
3. Aux termes de l'article L. 5213-1 du code du travail : " Est considérée comme travailleur handicapé toute personne dont les possibilités d'obtenir ou de conserver un emploi sont effectivement réduites par suite de l'altération d'une ou plusieurs fonctions physique, sensorielle, mentale ou psychique. ".
4. L'autorité administrative dispose, en matière de naturalisation ou de réintégration dans la nationalité française, d'un large pouvoir d'appréciation. Elle peut, dans l'exercice de ce pouvoir, prendre en considération notamment, pour apprécier l'intérêt que présenterait l'octroi de la nationalité française, l'intégration de l'intéressé dans la société française, son insertion sociale et professionnelle et le fait qu'il dispose de ressources lui permettant de subvenir durablement à ses besoins en France. Pour rejeter une demande de naturalisation ou de réintégration dans la nationalité française, l'autorité administrative ne peut se fonder ni sur l'existence d'une maladie ou d'un handicap ni, par suite, sur l'insuffisance des ressources de l'intéressé lorsqu'elle résulte directement d'une maladie ou d'un handicap.
5. Il est constant que Mme D... a été reconnue travailleur handicapé par une décision de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées pour la période du 1er avril 2013 au 31 mars 2018. Par suite, en rejetant la demande de naturalisation présentée par Mme D... au seul motif énoncé dans la décision litigieuse qu'elle n'avait pas " réalisé pleinement " son " insertion professionnelle " en raison de ce qu'elle ne disposait pas de " ressources suffisantes ", alors que l'intéressée avait, dans son recours, appelé l'attention du ministre sur sa situation de travailleur handicapé et qu'il appartenait au ministre d'apprécier le lien entre son handicap et l'insuffisance de ses ressources, le ministre a entaché sa décision d'une erreur de droit.
6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme D... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
7. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement, eu égard aux motifs sur lesquels il se fonde, que le ministre de l'intérieur examine de nouveau le demande de naturalisation présentée par Mme D.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre d'y procéder dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
8. Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me C..., avocat de Mme D..., de la somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E:
Article 1er : Le jugement du 29 janvier 2020 du tribunal administratif de Nantes et la décision du 1er août 2017 du ministre de l'intérieur ajournant à deux ans la demande de naturalisation présentée par Mme D... sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre chargé des naturalisations de réexaminer, dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, la demande de naturalisation présentée par Mme D....
Article 3 : L'Etat versera à Me C... une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme D... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 23 avril 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- Mme B..., président-assesseur,
- Mme Ody, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 26 mai 2021.
Le rapporteur,
C. B...Le président,
T. Célérier
Le greffier,
C. Goy
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT01241