Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 16 juin 2020 et 22 janvier 2021, Mme D... G..., représentée par Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre la décision du 27 décembre 2018 de l'autorité consulaire française à Kinshasa (République démocratique du Congo) refusant de délivrer à son concubin, M. C... E..., et à ses trois enfants mineurs, I..., Jessica E... Nguizani et Beni E... Muleka, des visas de long séjour demandés en qualité de membres de famille de réfugié ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas demandés ou de réexaminer les demandes, dans un délai de quinze jours à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France attaquée est entachée d'une erreur de droit, d'une insuffisance de motivation et d'un défaut d'examen sérieux de sa situation, dès lors qu'elle n'a pas examiné les nombreux éléments de possession d'état produits à l'appui de son recours formé contre la décision consulaire ;
- elle est entachée d'erreur dans l'appréciation de ses liens familiaux avec les demandeurs de visas, lesquels sont établis par les actes d'état civils produits ainsi que par des éléments de possession d'état ;
- elle porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant protégé par le paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant
Par des mémoires en défense, enregistrés les 30 juillet 2020 et 26 janvier 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens invoqués par la requérante n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- et les observations de Me B..., substituant Me F..., pour Mme G....
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 17 avril 2020, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de Mme G... tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre la décision du 27 décembre 2018 de l'autorité consulaire française à Kinshasa (République démocratique du Congo) refusant de délivrer à son concubin, M. C... E..., et à ses trois enfants mineurs, I..., Jessica E... Nguizani et Beni E... Muleka, des visas de long séjour demandés en qualité de membres de famille de réfugié. Mme G... relève appel de ce jugement.
2. En réponse à une demande de communication des motifs de sa décision implicite, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a informé Mme G..., par un courrier du 21 mai 2019, avoir fondé sa décision implicite sur les motifs tirés de ce que " les actes de naissance de Miradi Lutiaki Kondi, Jessica E... Nguizani et Beni E... Muleka ne sont pas conformes à la législation locale et ont été établis en violation de l'article 87 du code de la famille congolais, suivants jugements supplétifs tardifs, 12 ans, 10 ans et 4 ans après l'évènement, et après l'obtention du statut de réfugiée par Mme G..., et sur requête de la tante paternelle non habilitée, ce qui leur ôte tout caractère probant " et " l'acte de notoriété supplétif à l'acte de naissance de M. C... E... a été rendu 44 ans après la naissance de celui-ci, sur déclaration de deux témoins plus jeunes que lui de 2 et 3 ans ne pouvant donc avoir été témoins des faits qu'ils rapportent, après l'obtention du statut de réfugié de sa concubine alléguée, ce qui lui ôte tout caractère probant ".
Sur la légalité de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France :
3. Aux termes de l'article L.752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable au litige : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : (...) / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié (...). En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil (...) peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. (...) ".
4. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable au litige : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
5. S'agissant des enfants, I..., Jessica E... Nguizani et Beni E... Muleka, à l'appui de leurs demandes de visas, ont été produits les trois jugements supplétifs d'actes de naissance rendus le 23 mai 2017 par le tribunal pour enfants H... ainsi que les trois actes de naissance dressés le 3 juillet 2017 par l'officier d'état civil de la commune de Kinshasa sur la base de ces jugements supplétifs. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le document produit aurait un caractère frauduleux. En se bornant à soutenir que les requêtes aux fins d'obtention des jugements supplétifs de naissance des enfants ont été présentées par un tiers non habilité sans explications circonstanciées, sans préciser quelles dispositions de la législation étrangère auraient été méconnues, la commission de recours n'établit pas le caractère frauduleux des jugements supplétifs et partant des actes de naissance. En outre, un jugement supplétif d'acte de naissance n'ayant d'autre objet que de suppléer l'inexistence de cet acte, la commission ne peut utilement retenir, compte tenu de la nécessité de présenter un tel acte à l'appui des demandes de visa, la circonstance que les jugements supplétifs de naissance des enfants contenus dans les demandes ont été établis tardivement, douze, dix et quatre ans après les naissances et, en tout état de cause, après l'obtention du statut de réfugiée de leur mère alléguée.
6. A la suite des critiques formulées par la commission de recours à l'encontre de ces actes, M. C... E... a saisi, par l'intermédiaire de son conseil en République démocratique du Congo, le président du tribunal pour enfants H... d'une requête en rectification d'erreur matérielle des actes de naissance des enfants. Par une ordonnance n° 10.907/2020 rendue le 4 septembre 2020, le président du tribunal pour enfants a relevé, d'une part, que la tante paternelle était habilitée, en qualité de personne intéressée au sens de l'article 106 du code de la famille congolais, à demander les jugements supplétifs d'actes de naissance pour les enfants et, d'autre part, que la législation congolaise n'impose pas la mention des dates et lieux de naissance des parents dans les jugements supplétifs, une telle obligation étant réservée aux actes de naissance dressés sur déclaration en vertu de l'article 118 du code de la famille congolais. Le président du tribunal pour enfants H... a, par ailleurs, constaté que les volets n° 2 et 3 des actes de naissance dressés en 2017 avaient été irrégulièrement délivrés et ordonné à l'officier de l'état civil de la commune de Kinshasa d'annuler ces actes de naissance et d'en délivrer de nouveaux. Par suite, la requérante a produit en cours d'instance les volets n° 1 des actes de naissance des enfants, dressés le 10 septembre 2020 en exécution de l'ordonnance du 4 septembre 2020, lesquels ne comportent aucune contradiction ou incohérence avec les actes précédents. Au surplus, les énonciations contenues dans les actes de naissance sont conformes aux déclarations faites par Mme G... dès sa demande d'asile auprès de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides. Il suit de là que la commission de recours n'a pu légalement retenir l'absence de caractère probant des actes d'état civil produits à l'appui des demandes de visas présentées pour les enfants.
7. S'agissant de M. E..., à l'appui de sa demande de visa, a été produit un acte de notoriété, supplétif à un acte de naissance, établi le 16 août 2017 par l'officier de l'état civil de la commune de Kinshasa. Suite à la décision de la commission de recours ayant conclu au caractère non probant de cet acte de naissance au motif que les deux témoins, étant moins âgés que l'intéressé, n'avaient pu régulièrement témoigner de sa naissance, M. E... a fait établir le 9 octobre 2020 un nouvel acte de notoriété supplétif à un acte de naissance. Cet acte a été homologué par une ordonnance du 16 octobre 2020 rendue par le président du tribunal de paix H.... Contrairement à ce que soutient le ministre de l'intérieur, dans son mémoire en défense, l'opportunité avec laquelle ce document a été obtenu ne saurait à elle seule attester de l'intention frauduleuse de Mme G.... Par suite, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France n'a pu légalement retenir l'absence de caractère probant de l'acte d'état civil produit par M. E....
8. Il résulte de tout ce qui précède que Mme G... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
9. Eu égard aux motifs qui le fondent, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement que des visas de long séjour soient délivrés à M. C... E... et aux enfants, I..., Jessica E... Nguizani et Beni E... Muleka. Il y a donc lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer ces visas dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
10. En application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du 17 avril 2020 du tribunal administratif de Nantes et la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. C... E... et aux enfants I..., Jessica E... Nguizani et Beni E... Muleka les visas de long séjour demandés dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Mme G... une somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... G... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 23 avril 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- Mme Buffet, président assesseur,
- Mme A..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 mai 2021.
Le rapporteur,
C. A...
Le président,
T. CELERIER
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT01651