Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 25 août 2020, Mme J..., Mme F... E... et Mme B... G..., représentées par Me D..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision de la commission de recours ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer à Marina E..., à Jemima G..., à Ketsia Nseya et à Jesmira Lonji les visas sollicités dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, subsidiairement, de réexaminer les demandes de visa, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement à leur conseil de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Mme J... et autres soutiennent que :
- le lien de filiation est établi par les actes d'état civil produits qui sont authentiques et par la possession d'état ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par une ordonnance du 22 janvier 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 19 février 2021 à midi.
Un mémoire du ministre de l'intérieur a été enregistré le 19 mars 2021, postérieurement à la clôture de l'instruction, et n'a pas été communiqué.
Mme J... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 août 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Buffet, rapporteur,
- et les observations de Me D..., pour Mme J..., Mme F... E... et Mme B... G....
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 19 juin 2020, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de Mme J... et autres tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a refusé la délivrance de visas d'entrée et de long séjour à Marina E..., à Jemima G..., à Ketsia Nseya et à Jesmira Lonji, en qualité de membres de famille de réfugié. Mme J... et autres relèvent appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " (...) Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. (...). ".
3. Aux termes de l'article L. 111-6 du même code, alors en vigueur : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ".
4. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
5. Mme J..., de nationalité congolaise, s'est vu reconnaître la qualité de réfugié, le 28 octobre 2014. Il ressort des pièces du dossier, notamment des écritures en défense du ministre devant le tribunal administratif, que, pour rejeter, par la décision contestée, les demandes de visa de long séjour sollicitées, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur le défaut de valeur probante des actes d'état-civil produits de sorte que les liens de filiation n'étaient pas établis.
6. Pour justifier des liens de filiation, les requérants ont produit l'acte de naissance de Marina E..., établi le 13 mai 2015 sur la base d'un jugement supplétif d'acte de naissance du 12 mars 2015 du tribunal de grande instance I..., l'acte de naissance de Jemima G... établi le 8 juillet 2015 sur la base du jugement supplétif d'acte de naissance du 18 avril 2015 du tribunal pour enfants I... et un jugement de garde du 29 juillet 2015 de ce tribunal, l'acte de naissance de Ketsia Nseya établi le 13 mai 2015 sur la base du jugement supplétif d'acte de naissance du 16 mars 2015 de ce tribunal et un jugement de garde du 22 juin 2015 du même tribunal, et l'acte de naissance de Jesmira Lonji établi le 13 mai 2015 sur la base du jugement supplétif d'acte de naissance du 16 mars 2015 de ce tribunal et un jugement de garde du 22 juin 2015 du même tribunal.
7. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le document produit aurait un caractère frauduleux. La circonstance que les actes de naissance, dressés sur le fondement des jugements supplétifs mentionnés ci-dessus, dont aucune des mentions légales ni des informations essentielles concernant notamment le lien de filiation y figurant ne sont contestées par le ministre, comportent des informations ne figurant pas dans les jugements supplétifs, ne suffit pas à les priver de valeur probante. Si les jugements supplétifs d'actes de naissance sont intervenus plusieurs années après la naissance des enfants et après l'obtention du statut de réfugié par Mme J..., cette circonstance n'est pas, par elle-même, davantage de nature à caractériser une fraude. Enfin, ni la circonstance, à la supposer établie, que les jugements de garde seraient entachés d'anomalies, ni celle tenant à ce que les actes de naissance des 13 mai 2015 de Marina E..., de Ketsia Feruzi Mukamba et de Jesmira Lonji comporteraient une erreur dans le numéro de folio, ni celle, s'agissant des jugements supplétifs des 16 mars et 18 avril 2015, selon laquelle " l'intérêt à agir du requérant, M. C... H..., devant le tribunal pour enfants, ne serait pas établi " alors qu'il n'est pas contesté qu'il s'agit du cousin de Mme J..., celle-ci ne pouvant se rendre dans son pays, ni les prétendues erreurs de date d'audience publique, qui ne sont pas établies, des jugements supplétifs d'acte de naissance de Jemima G... et de Jesmira Lonji ne sont de nature à remettre en cause leur valeur probante. Par suite, les liens de filiation entre les enfants, F... E..., Jemima G..., Ketsia Nseya et Jesmira Lonji et Mme J..., leur mère, sont établis. Dans ces conditions, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France, en estimant qu'ils ne l'étaient pas, a fait une inexacte application des dispositions précitées.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme J... et autres sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement que des visas d'entrée et de long séjour soient délivrés à Mme F... E..., à Mme B... G..., à Ketsia Nseya et à Jesmira Lonji. Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer ces visas dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
10. Mme J... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me D..., dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 19 juin 2020 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a refusé la délivrance de visas d'entrée et de long séjour à Marina E..., à Jemima G..., à Ketsia Nseya et à Jesmira Lonji, en qualité de membres de réfugié, est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer des visas d'entrée et de long séjour à Mme F... E..., à Mme B... G..., à Ketsia Nseya et à Jesmira Lonji, dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me D... une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... J..., à Mme F... E..., à Mme B... G... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 23 avril 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- Mme Buffet, présidente-assesseur,
- Mme Ody, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 mai 2021.
Le rapporteur,
C. BUFFETLe président,
T. CELERIER
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT02660