Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 18 décembre 2017 et le 31 mai 2018, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, demande à la cour d'annuler ce jugement du 14 novembre 2017.
Le ministre soutient que :
- il pouvait opposer à une nouvelle demande des faits antérieurs à une précédente décision défavorable, dès lors qu'il n'en avait pas eu alors connaissance ;
-il n'avait pas en totalité connaissance des faits délictueux commis par M. B...à la date de sa première décision d'ajournement du 22 décembre 2009 ;
- le bulletin n°2 du casier judiciaire de l'intéressé ne comportait alors pas mention des condamnations de l'intéressé pour les faits commis entre 1987 et 1988 ;
- la gravité de ces faits justifiait qu'ils soient pris en compte en dépit de leur ancienneté ;
- M. B...ne présente pas de réelles garanties d'intégration et son autonomie matérielle n'apparaît pas acquise ;
- ce motif complémentaire d'absence d'autonomie matérielle peut constituer un motif supplémentaire permettant de fonder sa décision d'ajournement ;
- M. B...ne conteste pas les faits qui lui sont opposés ;
- la circonstance que le requérant vit depuis l'âge de sept ans en France, que quasiment tout sa famille a la nationalité française, qu'il maîtrise le français et qu'il soit propriétaire de son logement et inséré économiquement n'efface pas la gravité des actes commis et leur caractère répréhensible.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 mai 2018, M. A...B..., représenté par MeD..., conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au ministre de procéder à un réexamen de sa demande dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de dix euros par jour de retard, et à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. B...fait valoir que le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif est fondé et que la demande de substitution de motifs demandée par le ministre ne peut être accueillie dès lors qu'il n'est pas établi que le ministre aurait pris la même décision d'ajournement en se fondant uniquement sur sa situation économique, ce grief lui ayant déjà été précédemment opposé, alors que sa situation présente n'est plus la même, étant désormais salarié en CDI et non plus gérant de société, et justifiant d'un salaire supérieur au SMIC.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mony,
- et les observations de MmeG..., représentant le ministre de l'intérieur.
Considérant ce qui suit :
1. M.B..., ressortissant algérien né en 1951, a sollicité sa réintégration dans la nationalité française. Sa demande a fait l'objet d'une première décision d'ajournement à deux ans le 22 décembre 2009, décision maintenue sur recours gracieux. Par une seconde décision en date du 5 mai 2015, le ministre de l'intérieur a ajourné une nouvelle fois à deux ans cette demande. M. B...a ensuite contesté la légalité de cette décision de même que la décision du 12 août 2015 portant rejet du recours gracieux formé contre cette décision. Le tribunal administratif de Nantes a fait droit à cette requête et a annulé ces décisions par un jugement du 14 novembre 2017. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.
Sur les conclusions en annulation :
2. Aux termes de l'article 24-1 du code civil : " La réintégration par décret peut être obtenue à tout âge et sans condition de stage. Elle est soumise, pour le surplus, aux conditions et aux règles de la naturalisation. ".Aux termes de l'article 48 du décret du 30 décembre 1993 : " (...) Si le ministre chargé des naturalisations estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation ou la réintégration sollicitée, il prononce le rejet de la demande. Il peut également en prononcer l'ajournement en imposant un délai ou des conditions. (...) ".
3. En vertu de ces dispositions, il appartient au ministre chargé des naturalisations de porter une appréciation sur l'intérêt d'accorder la réintégration dans la nationalité française à l'étranger qui la sollicite. Dans le cadre de cet examen d'opportunité, il peut légalement prendre en compte, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, les renseignements défavorables recueillis sur le comportement du postulant.
4. Il ressort des pièces du dossier, que, pour ajourner à deux ans la demande de réintégration présentée par M.B..., le ministre de l'intérieur s'est fondé sur les faits de commerce ou de transport de stupéfiants, détention sans autorisation d'arme, de conduite d'un véhicule sous l'empire d'un état alcoolique, acquisition, détention, offre ou cession non autorisée de stupéfiants en récidive, détention de faux document administratif constatant un droit, une identité ou une qualité, recel d'un bien provenant d'un vol, commis par l'intéressé entre 1985 et 1997, et de violence ayant entraîné une incapacité de travail n'excédant pas huit jours commis en juin 2003.
5. S'il ressort également des pièces du dossier que, contrairement à ce que soutient le ministre, l'administration était déjà informée en 2009 de la plupart des faits délictueux commis par M. B...sur la période 1985-1997, sans pour autant en avoir fait un des motifs de sa première décision d'ajournement, laquelle était seulement fondée par les faits de violence volontaire dont s'était rendu coupable l'intéressé en 2003, ainsi que par l'existence d'une dette fiscale, aucune disposition législative ou réglementaire ou aucun principe général du droit ne fait obstacle à ce que l'administration puisse, à l'occasion d'une nouvelle décision, motiver cette dernière en raison de faits dont elle avait connaissance au moment où elle avait pris une première décision de même nature, et que, pour autant, elle n'avait, alors, pas opposés à la première demande dont elle était saisie, dès lors que ces faits sont eux-mêmes de nature à justifier le rejet de la nouvelle demande dont elle a ensuite été saisie.
6. Le ministre chargé des naturalisation pouvait ainsi sans erreur de droit fonder une décision d'ajournement de la nouvelle demande de naturalisation présentée par M. B... en raison du comportement délictueux dont ce dernier s'était rendu coupable dans les années 80 et 90, alors même que ses condamnations ont été exclues du casier judiciaire de l'intéressé, qui ne conteste ni la matérialité, ni la gravité des faits, s'agissant, à deux reprises, de trafic de stupéfiants, de détention d'une arme prohibée, à deux reprises également, ainsi que d'une conduite en état d'ivresse. Ces faits, quoi qu'anciens à la date de la décision attaquée, pouvaient, par leur gravité, et sans qu'y fasse obstacle l'avis favorable émis par le service instructeur de la demande de M.B..., être régulièrement pris en compte et justifiaient, à eux seuls, la décision d'ajournement prise par le ministre. C'est ainsi à tort que le tribunal administratif a annulé comme entachée d'une erreur manifeste d'appréciation la décision du ministre.
7. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens d'annulation soulevés par M. B...tant en première instance qu'en appel.
8. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, et en particulier des documents produits par le ministre, que M. H...I...et M. F...E..., signataires des décisions attaquées, disposaient à cet effet d'une délégation régulièrement établie et publiée.
9. En second lieu, la décision du 12 août 2015, rendue suite au recours administratif formé par M. B...contre la décision du 5 mai précédant ajournant à deux ans sa demande de naturalisation, est une décision purement confirmative de cette dernière décision qui n'avait pas, cette décision du 5 mai 2015 comportant elle-même la mention des circonstances de fait et de droit qui la fondaient, à faire elle-même l'objet d'une motivation particulière.
10. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes a annulé sa décision du 12 août 2015 ajournant à deux ans la demande de naturalisation de M.B....
Sur les autres conclusions :
11. Les conclusions en injonction sous astreinte présentées par M.B..., de même que ses conclusions en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ne peuvent, eu égard à ce qui précède, qu'être également rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif n° 1509418 du 14 novembre 2017 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B...devant le tribunal administratif de Nantes est rejetée, ainsi que ses conclusions présentées devant la cour administrative d'appel de Nantes au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3: Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... B....
Délibéré après l'audience du 9 novembre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Dussuet, président,
- M. Degommier, président assesseur,
- M. Mony, premier conseiller,
Lu en audience publique le 26 novembre 2018.
Le rapporteur,
A. MONYLe président,
J-P. DUSSUET
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17NT03813