Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 27 février 2017, M. A... B..., représenté par MeD..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 28 septembre 2016 ;
2°) d'enjoindre au ministre de lui faire délivrer un visa long séjour, au titre du regroupement familial, sous astreinte de cent euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de deux mille euros à verser à son conseil en application de l'article 37 al. 2 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué ne comporte pas les signatures exigées par l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- la décision de la CRRV est entachée d'une insuffisance de motivation et méconnaît la loi n°79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ;
- la décision de la CRRV est entaché d'un vice de procédure et a été pris en méconnaissance de l'arrêté du 4 décembre 2009 et des articles D211-7 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision de la CRRV méconnait les articles 10 et 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant, sa fille étant encore mineure à la date où l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a transmis son dossier au consulat d'Abidjan le 23 juillet 2013 ;
- la décision de la CRRV méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision de la CRRV est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'il participe effectivement à l'éducation et à l'entretien de sa fille, bénéficie d'une décision de délégation de puissance paternelle et qu'une décision favorable à sa demande de regroupement familial a été rendue.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 mars 2017, et son mémoire complémentaire enregistré le 23 novembre 2017, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés ne sont fondés.
M. B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision en date du 26 décembre 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- la loi n°79-587 du 11 juillet 1979 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Sacher.
1. Considérant que M.B..., de nationalité ivoirienne, entré en France en mai 1986 et détenteur d'une carte de résident, a adopté par jugement du tribunal de première instance d'Abidjan du 24 juin 2011, Lorraine Ostine Annette Benie, fille de M.G..., décédé le 10 décembre 2007 et de Mme F...C...; que, par décision du 15 juillet 2013, le préfet de l'Eure a accordé une autorisation de regroupement familial pour Lorraine Ostine Annette Benie B...; que, le 25 juin 2013, M. B...a sollicité la délivrance d'un visa de long séjour en faveur de cette dernière auprès du consulat général de France à Abidjan ; que, par décision du 17 mars 2014, les autorités consulaires ont refusé de faire droit à cette demande ; que le recours formé par M. B...le 4 avril 2014 devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a été rejeté par une décision en date du 15 mai 2014 ; que M. B...relève appel du jugement en date du 28 septembre 2016 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision ;
Sur les conclusions à fins d'annulation et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête :
2. Considérant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fondé son refus en date du 15 mai 2014 sur le fait que M. B...ne pouvait se prévaloir de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales car il ne justifiait pas contribuer de manière effective à l'entretien et à l'éducation de la demanderesse et qu'aucun jugement de déchéance de l'autorité parentale de la mère biologique n'avait été produit ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le ressortissant étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial, par son conjoint, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans, et les enfants du couple mineurs de dix-huit ans " ; qu'aux termes de l'article L. 411-2 du même code : " Le regroupement familial peut également être sollicité pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint dont, au jour de la demande, la filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ou dont l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux " ; que lorsque la venue d'une personne en France a été autorisée au titre du regroupement familial, l'administration n'est en droit de rejeter la demande de visa dont elle est saisie à cette fin, que pour un motif d'ordre public ; que figure au nombre de ces motifs l'absence de caractère probant des actes produits ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) " ; qu'aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. " ;
5. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact ; qu'en cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties ; que, pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis ;
6. Considérant en premier lieu qu'il ressort des pièces du dossier que l'adoption de l'enfant Lorraine Ostine Annette Benie B...par le requérant a été prononcée par jugement en date du 24 juin 2011 et retranscrite dans son acte d'état-civil le 28 juillet 2011 ; qu'il est constant que le père biologique de l'enfant est décédé le 10 décembre 2007 ; que le nouveau patronyme " B... " est retranscrit dans le passeport de Mme B...H...versé au dossier et dont l'authenticité n'est pas contestée ; que M. B...indique par ailleurs contribuer à l'éducation et à l'entretien de l'enfant et produit en appel, à l'appui de ses dires, plusieurs preuves de virements et transferts d'argent effectués antérieurement à la décision contestée ;
7. Considérant en deuxième lieu qu'il est également constant qu'à la mort du père biologique, Mme C...F..., mère de l'enfant Lorraine Ostine Annette, a souhaité déléguer volontairement le 24 novembre 2008 l'autorité parentale qu'elle exerçait à Mme E...B..., fille de sa précédente union avec le requérant et demi-soeur de l'enfant Lorraine ; que par une deuxième ordonnance de délégation volontaire de la puissance paternelle en date du 9 août 2011, la mère a confié l'autorité paternelle au requérant ; que si le ministre relève que la première ordonnance du 24 novembre 2008 n'a pas été explicitement abolie par l'ordonnance du 9 août 2011, ce seul fait n'établit pas le caractère frauduleux de la seconde ordonnance ; qu'il ne ressort par ailleurs d'aucune pièce du dossier que la mère biologique aurait souhaité garder l'autorité parentale ; que si le ministre relève l'extrême tardiveté de la production du jugement, en date du 23 août 2017, de révocation de la première ordonnance, cette seule tardiveté n'établit ni que les trois ordonnances produites auraient été frauduleuses, ni que la mère biologique aurait souhaité continuer à exercer son autorité paternelle ; qu'au surplus, il ressort des pièces du dossier que sa demi-soeur, Mme B...E..., bénéficiaire de la première ordonnance, a rejoint en France son père biologique, M. B..., bénéficiaire de la deuxième ordonnance ;
8. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'eu égard au caractère des liens familiaux dont pouvaient justifier le requérant et sa fille adoptive, la décision attaquée a porté au respect de leur vie familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels le refus de visa a été opposé à Mme B...H..., et, par suite, a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en conséquence, M. B...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions à fins d'injonction :
9. Considérant que le présent arrêt implique, pour son exécution, qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer un visa de long séjour à Mme B...H..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte ;
Sur les frais du litige :
10. Considérant que M. B...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de mille cinq cents euros à MeD..., sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes en date du 28 septembre 2016 et la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 15 mai 2014 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de faire délivrer un visa de long séjour à Mme B...H...dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me D...la somme de mille cinq cents euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 14 mai 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Lenoir, président de chambre,
- M. Mony, premier conseiller,
- M. Sacher, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 28 mai 2018.
Le rapporteur,
E. SACHERLe président,
H. LENOIR
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17NT00724