Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 12 mars 2020, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes en tant qu'il a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en ce qu'elle concerne C... A... et lui a enjoint de délivrer à ce dernier un visa d'entrée et de long séjour.
2°) de rejeter, dans cette mesure, la demande présentée par Mme D... B... A... devant le tribunal administratif de Nantes.
Le ministre de l'intérieur soutient que :
- M. C... A... était déjà âgé de 22 ans lorsqu'il a saisi le 18 octobre 2017 l'autorité consulaire d'une demande de visas ; il n'entrait donc plus dans le champ d'application des articles L. 752-1 et R. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et ne pouvait donc plus se voir octroyer un visa au titre de la procédure de réunification familiale ;
- la décision n'a pas été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; les pièces du dossier ne font pas apparaitre que M. A... se trouverait placé dans une situation de dépendance à l'égard de sa mère.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 mai 2020, Mme B... A... et M. C... A..., représentés par Me Francos, concluent au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'État le versement à leur conseil de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur ne sont pas fondés.
Mme D... B... A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 juin 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Buffet a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 15 janvier 2020, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de Mme D... B... A..., la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer des visas de long séjour à C..., Mohamed Aguibou et à Mohamed Ben Chérif A... dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement en tant qu'il a annulé la décision implicite de la commission de recours en ce qu'elle concerne C... A... et lui a enjoint de délivrer un visa d'entrée et de long séjour à ce dernier.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne le motif initial du refus en litige :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction alors en vigueur : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (...) /3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. /(...)/ II. - Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables./(...)/ Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais./ Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ".
4. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
5. Il ressort du courrier par lequel la commission de recours a communiqué les motifs de sa décision de refus de délivrance des visas qu'elle s'est fondée sur ce que les actes de naissance des trois enfants, dont C..., produits à l'appui des demandes de visas, ont été dressés dans le délai d'appel prescrit par l'article 601 du code de procédure civile guinéen. Toutefois cette circonstance n'est pas de nature à remettre en cause l'authenticité des mentions portées dans les documents d'état civil présentés à l'appui des demandes de visas. Le lien de filiation entre C..., Mohamed Aguibou, Mohamed Ben Chérif et Mme A... est donc établi. Dans ces conditions, en estimant pour ce motif que les liens de filiation n'étaient pas établis, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées.
En ce qui concerne la demande de substitution de motif :
6. L'administration peut, toutefois en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi demandée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
7. Le ministre demande que soit substitué au motif tiré du caractère apocryphe de l'acte de naissance de M. C... A..., celui tiré de ce que ce dernier ne satisfaisait pas à la condition d'âge prescrite par le 3 de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il n'est pas contesté que l'intéressé né le 10 décembre 1995, était âgé de plus de dix-neuf ans à la date du dépôt de sa demande de visa. Toutefois il ressort des pièces du dossier que Mme A... a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire en France en raison de son mariage forcé à l'âge de treize ans et des violences conjugales dont elle a été victime, qu'elle constitue la plus proche attache familiale de ses trois enfants, issus de cette union, et que depuis son départ pour la France, en mai 2015, M. C... A..., qui est l'ainé des enfants, a vécu avec ses deux frères, Mohamed Aguibou né le 1er janvier 2000 et Mohamed Ben Chérif né le 16 août 2009, les trois enfants ayant été chassés de chez leur père. Il ressort également des pièces du dossier que M. C... A... a été gravement malade et, qu'à la date de la décision litigieuse, il était célibataire et sans enfant. Ses deux frères étant autorisés à rejoindre leur mère en France, le refus de délivrance d'un visa est, compte tenu de ce qui est exposé au point 5, de nature à porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale, en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La substitution de motif sollicitée ne peut donc être accueillie.
8. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de Mme B... A..., la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en tant qu'elle concerne M. C... A... et lui a enjoint de délivrer à ce dernier un visa de long séjour.
Sur les frais liés au litige :
9. Mme B... A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi susvisée du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me Francos dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Francos une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Mme D... B... A... et à M. C... A....
Délibéré après l'audience du 10 septembre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Francfort, président,
- Mme Buffet, présidente assesseure,
- M. Frank, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 septembre 2021.
La rapporteure,
C. BUFFETLe président,
J. FRANCFORT
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT00927