Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 16 mars 2018, M. B... I...A...et Mme E...G...A..., représentés par MeF..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 8 novembre 2017 ;
2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au profit de Me Bourgeoisen application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
M. et Mme A...soutiennent que :
- seul un motif d'ordre public peut faire obstacle à la délivrance d'un visa à un membre de la famille d'un réfugié et l'absence de production de documents d'identité ou de documents d'état-civil ne constitue pas un tel motif ;
- seuls des documents d'état-civil pouvaient être réclamés dans le cadre d'une procédure de regroupement familial en application des dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et non des documents d'identité ;
- en l'absence de documents d'identité, des éléments de possession d'état peuvent permettre de justifier d'une situation familiale ;
- le document officiel chinois (hukou) qu'ils ont produit établit l'identité des différents membres de la famille et sa valeur probante devait être prise en compte ; le refus de le prendre en compte entache d'une erreur manifeste d'appréciation la décision attaquée ;
- ils produisent en appel de nouveaux documents qui attestent de la réalité de la composition de leur famille ;
- ils produisent également des documents qui attestent de l'existence d'une situation de possession d'état ;
- la décision attaquée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité de l'appel formé par MmeA....
M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 5 mars 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mony,
- les conclusions de M. Sacher, rapporteur public,
- et les observations de MeD..., substituant MeF..., représentant M.A....
Considérant ce qui suit :
1. M.A..., ressortissant chinois (Tibet), s'est vu reconnaître la qualité de réfugié statutaire, le 20 décembre 2013, par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Des demandes de visas de long séjour ont été déposées fin 2014 pour son épouse et son fils allégués, Mme E...G...A...et K... H...A.... Elles ont été rejetées le 30 juillet 2015 par les autorités consulaires françaises. Le recours formé contre ces rejets a été rejeté le 29 octobre 2015 par la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France. M. et Mme A...relèvent appel du jugement du 8 novembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande d'annulation formée contre cette dernière décision.
Sur la recevabilité de l'appel de MmeA... :
2. Le droit de former appel des décisions de justice rendues en premier ressort est ouvert aux parties présentes à l'instance sur laquelle le jugement qu'elles critiquent a statué. Faute d'avoir été partie à cette instance, Mme A...est sans qualité et, par suite, irrecevable à relever appel du jugement du 8 novembre 2017.
Sur les conclusions en annulation :
3. Il ressort des pièces du dossier que, pour rejeter le recours formé contre la décision de refus de visas d'entrée en France opposées aux demandes formées pour Mme E...G...A...et K... H...A..., épouse et enfant allégués de M.A..., la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France s'est fondée, d'une part, sur le fait que les intéressés " ne produisent aucun document chinois, indien ou du bureau du Dalaï Lama (livret vert, certificat d'identité notamment) permettant d'établir leur identité et donc le lien familial allégué avec M.A... " et, d'autre part, sur le fait qu'" il n'est pas produit d'éléments suffisamment probant de possession d'état ".
4. En premier lieu, M.A..., qui n'a jamais varié sur ses déclarations relatives à la composition de sa famille, tant auprès de l'OFPRA qu'à l'occasion de sa demande de réunification d'une famille de réfugié, a produit en première instance la traduction d'un certificat de naissance de son deuxième enfant, intervenue le 9 décembre 2015 à New Delhi, dont l'original est produit, qui fait apparaître Mme E...G...comme en étant la mère. Il produit en outre, en appel, la traduction de la carte d'identité chinoise de Mme E...G...A..., accompagnée de la photocopie de l'original. Il produit également différents documents, dont le Livret vert de MmeA..., émanant du bureau du Tibet à Paris du Dalaï Lama, qui, bien qu'établis en décembre 2017, confirment la réalité des faits antérieurement allégués par M.A..., tels qu'ils figuraient notamment sur le livret de famille tibétain (Hukou) antérieurement produit, notamment le fait qu'il est le père de l'enfant K... H...A.... Par suite, c'est à tort que la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours de M. A...au motif que l'identité des personnes qu'il présentait comme son épouse et son fils n'était pas établie.
5. M.A..., en second lieu, a au surplus produit, en première instance et en appel, de nombreux documents, notamment des photographies prises en Inde à l'occasion de deux voyages entrepris en 2015 et 2017 pour rendre visite à sa famille, où il est possible de le reconnaître ainsi que son épouse à partir d'autres photographies prises lors de leur mariage, des envois d'argent, un bulletin d'hospitalisation de son épouse, des preuves des communications, sous forme de copies d'écran, qu'il continue d'entretenir par Internet, documents qui établissent la réalité d'une situation de possession d'état, contrairement à ce qu'a estimé la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France.
6. Il résulte de tout ce qui précède que M. A...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions en injonction :
7. Le présent arrêt implique, compte tenu de sa motivation, qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités pour Mme E...G...A...et K... H...A..., dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir.
Sur les frais liés au litige :
8. M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me Bourgeoisdans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 8 novembre 2017 et la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France du 29 octobre 2015 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer les visas de long séjour sollicités pour Mme E...G...A...et K... H...A...dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Bourgeoisune somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Mme E... A...et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 5 avril 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président,
- M. Mony, premier conseiller,
- Mme Picquet, premier conseiller.
Lu en audience publique le 30 avril 2019.
Le rapporteur,
A. MONY
Le président,
S. DEGOMMIER Le greffier,
C. POPSE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 18NT01187
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