Par une requête, enregistrée le 6 avril 2020, Mme F... B... E..., représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 7 novembre 2019 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 29 novembre 2018 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre la décision du 5 octobre 2018 par laquelle les autorités consulaires françaises à Luanda (Angola) ont refusé de délivrer à ses enfants D... E... B..., Olivia E... B... et Natalia E... B... des visas de long séjour en qualité de membres de famille de réfugié statutaire ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités, à défaut, de procéder au réexamen des demandes de visa litigieuses, dans un délai de deux mois à compter de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me C... d'une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la compétence du signataire de la décision contestée n'est pas établie ;
- la décision contestée est insuffisamment motivée ;
- la décision contestée est entachée d'erreur d'appréciation et d'erreur de droit ; le lien de filiation est établi par les actes produits et par la possession d'état ;
- la décision contestée a été prise en méconnaissance des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
La requête a été communiquée au ministre de l'intérieur, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Mme B... E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 mars 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. A... é été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... E..., ressortissante angolaise née le 4 août 1968, s'est vu reconnaître la qualité de réfugiée le 22 juin 2016. Des demandes de visas ont été déposées pour ses enfants allégués D..., Olivia et Natalia, respectivement nés les 10 janvier 2004, 10 octobre 2008 et 25 décembre 2013, rejetées par une décision du 5 octobre 2018 des autorités consulaires françaises à Luanda (Angola). Par une décision du 29 novembre 2018, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre cette décision. Mme B... E... relève appel du jugement du 7 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande d'annulation de cette décision de la commission de recours.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Il ressort des pièces du dossier que pour refuser de délivrer les visas de long séjour sollicités pour D..., Olivia et Natalia E..., la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur ce que l'identité des enfants et le lien familial allégué avec Mme B... E... n'étaient pas établis, faute de caractère probant des actes d'état civil produits et des éléments de possession d'état.
3. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable au litige : " I.- Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié (...) peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. (....) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. ; (...) II.- Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables (...) / Les membres de la famille d'un réfugié (...) sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié (...) En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil (...) peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. (...) ". L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit par ailleurs, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
4. A l'appui des demandes de visa des enfants D..., Olivia et Natalia, ont été respectivement présentés un acte de naissance n° 846 dressé au centre d'état civil de Cassenda en 2014, un acte de naissance n° 4477 dressé au centre d'état civil de Cassenda en 2014 et un acte d'état civil n° 7116 dressé au centre d'état civil de Cassenda en 2017. Pour remettre en cause leur caractère probant, le ministre de l'intérieur relève, en première instance, que les actes ont été établis plusieurs années après les naissances, soit au-delà du délai de trente jours prévu à l'article 119 du code de procédure civile angolais, et qu'ils ne comportent pas la mention des réquisitions du ministère public prévues par l'article 121 du même code en cas de déclaration tardive. Toutefois, ces seules circonstances ne sont pas de nature à ôter aux actes ainsi produits leur caractère probant. Contrairement à ce qu'indique le ministre, ces actes d'état civil ne présentent pas d'incohérence avec les passeports des enfants. Par ailleurs, les énonciations contenues dans les actes de naissance sont conformes aux différentes déclarations faites par Mme B... E... devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Dans ces conditions, Mme B... E... est fondée à soutenir que la commission de recours contre les refus de visas d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées en estimant que les documents d'état civil produits ne présentaient pas un caractère probant quant à l'identité des enfants D..., Olivia et Natalia, et à la réalité du lien de filiation.
5. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme B... E... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré aux enfants D... B... E..., Olivia B... E... et Natalia B... E.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer un tel visa aux intéressés dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin de prononcer une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
7. Mme B... E... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me C... dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 7 novembre 2019 et la décision du 29 novembre 2018, par laquelle la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a refusé d'accorder des visas de long séjour à D... B... E..., Olivia B... E... et Natalia B... E..., sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à D... B... E..., Olivia B... E... et Natalia B... E..., sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, un visa de long séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 200 euros à Me C... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... B... E... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 12 mars 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- Mme Buffet, présidente-assesseur,
- M. A..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 mars 2021.
Le rapporteur,
A. A...Le président,
T. CELERIER
La greffière,
C. POPSE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT01243