Par une requête enregistrée le 2 avril 2019, la SARL BH Nettoyage, représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) à titre principal, d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 7 février 2019 ;
2°) d'annuler la décision du 7 février 2018 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Centre-Val de Loire lui a infligé une amende de 14 000 euros sur le fondement de l'article L. 8115-1 du code du travail ;
3°) à titre subsidiaire, de réduire le montant de l'amende à de plus justes proportions en considération de sa situation financière ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
Elle soutient que :
- le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Centre-Val de Loire a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation dès lors qu'elle a régularisé sa situation ;
- lors du second contrôle, la gouvernante ne pouvait remettre les feuilles de temps des salariés présents lors du premier contrôle et qui avaient, entre temps, quitté la société, et n'avait pas eu matériellement le temps de récupérer l'ensemble des feuilles de temps des employés ;
- la sanction infligée est disproportionnée dès lors qu'elle n'a jamais été condamnée pour les mêmes faits, qu'elle n'a pas fait preuve de mauvaise foi ou d'inertie à l'issue des contrôles et que son résultat a été déficitaire pour l'exercice 2016 ;
- l'amende infligée par salarié ne devrait pas excéder 500 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 juillet 2019, la ministre du travail conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens présentés par la SARL BH Nettoyage ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Coiffet, président-assesseur,
- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,
Considérant ce qui suit :
1. La société BH Nettoyage a fait l'objet d'un premier contrôle, le 13 avril 2017, par deux inspecteurs du travail de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Centre-Val de Loire. Il a, notamment, été constaté que la société ne disposait pas d'un décompte individuel du temps de travail des salariés chargés de réaliser le ménage dans des hôtels et qui n'étaient pas tous occupés selon un même horaire collectif. Alertée sur ces constats par un courrier du 24 avril 2017, qui rappelait à la société ses obligations en matière de décompte de la durée du travail puis par deux courriers de relance des 29 mai et 27 juin 2017, la société a apporté, par un courrier du 10 juillet 2017, une réponse aux inspecteurs du travail en leur indiquant qu'était dorénavant instaurée, pour chaque salarié et chaque intervention, une feuille individuelle de décompte de la durée du travail. La production de ces feuilles comportant les décomptes réels des temps de travail a été demandée par les inspecteurs du travail, le 22 et 24 août 2017. Le 14 septembre 2017, lors d'un second contrôle des inspecteurs du travail qui portait sur la période du 6 au 13 septembre 2017, il a été constaté que les feuilles individuelles de temps de travail n'avaient pas été remplies par l'ensemble des salariés. Par un courrier du 9 novembre 2017, la société requérante a été invitée à présenter ses observations après l'engagement d'une procédure d'infraction à son encontre par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Centre-Val de Loire. A la suite de la réponse de la société, en date du 23 novembre 2017, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Centre-Val de Loire a, le 7 février 2018, prononcé à l'encontre de la société BH Nettoyage une amende d'un montant de 14 000 euros pour manquement à ses obligations au titre des articles L. 8115-1 et L. 8115-3 du code du travail.
2. Cette société a, le 2 avril 2019, saisi le tribunal administratif d'Orléans, d'une demande tendant, d'une part, à titre principal, à l'annulation de cette décision et, d'autre part, à titre subsidiaire, à la réduction du montant de l'amende à de plus justes proportions. La SARL BH Nettoyage relève appel du jugement du 7 février 2019 par lequel cette juridiction a rejeté sa demande et renouvelle ses demandes.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne le bien-fondé de l'amende administrative contestée :
3. Les amendes financières, présentant le caractère de sanctions administratives, instituées par l'article L. 8115-1 du code du travail, dont le montant est fixé, en vertu de l'article L. 8115-4, en prenant en compte " les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur ainsi que ses ressources et ses charges ", peuvent être contestées, ainsi que le rappelle l'article L. 8115-6 du même code, devant le juge administratif, lequel exerce un entier contrôle sur tous les éléments de droit et de fait qui lui sont soumis.
4. Aux termes de l'article L. 3171-2 du code du travail, dans sa version applicable au litige : " Lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. (...) ". Aux termes de l'article L. 8115-1 du même code alors applicable : " L'autorité administrative compétente peut, sur rapport de l'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1, et sous réserve de l'absence de poursuites pénales, prononcer à l'encontre de l'employeur une amende en cas de manquement : (...) 3° A l'article L. 3171-2 relatif à l'établissement d'un décompte de la durée de travail et aux dispositions réglementaires prises pour son application ; (...) ". Et selon l'article D. 3171-8 dudit code : " Lorsque les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe, au sens de l'article D. 3171-7, ne travaillent pas selon le même horaire collectif de travail affiché, la durée du travail de chaque salarié concerné est décomptée selon les modalités suivantes : 1° Quotidiennement, par enregistrement, selon tous moyens, des heures de début et de fin de chaque période de travail ou par le relevé du nombre d'heures de travail accomplies ; 2° Chaque semaine, par récapitulation selon tous moyens du nombre d'heures de travail accomplies par chaque salarié ".
5. La société requérante soutient tout d'abord avoir régularisé dans les meilleurs délais sa situation par l'établissement de fiches journalières de contrôle de la durée du travail. Il résulte toutefois de l'instruction qu'alertée les 24 avril 2017, 29 mai 2017 et 16 juin 2017 sur ses obligations en matière de décompte de la durée du travail, en particulier sur les justificatifs à produire, puis de nouveau par des courriers des 22 et 24 août 2017 des inspecteurs du travail, la société BH Nettoyage n'a pas adressé à l'administration à la date du 14 septembre 2017, soit lors du deuxième contrôle, les feuilles individuelles de temps de travail complétées par l'ensemble des salariés.
6. La société requérante soutient ensuite que la composition des équipes étant différente lors des contrôles des 13 avril et 14 septembre 2017, elle a été dans l'incapacité de produire les documents d'enregistrement de la durée du travail demandés. Il ressort toutefois des motifs de la décision contestée du 7 février 2018 que celle-ci est fondée sur l'absence de décompte de la durée du travail pour les 8 salariés effectivement présents lors du second contrôle effectué le 14 septembre 2017, lequel portait sur la période du 6 au 13 septembre 2017, et que ce manquement à l'obligation découlant des dispositions du code du travail applicable est attesté par l'examen des 32 feuilles journalières remises à l'administration lors de ce contrôle. La circonstance que la décision contestée rappelle en outre, qu'aucun document n'avait pu être fourni pour les salariés présents lors du 1er contrôle, élément de nature à démontrer le caractère persistant des infractions à la législation du travail, demeure à cet égard sans incidence sur la réalité des manquements constatés, à l'origine de la décision contestée.
7. La société BH Nettoyage soutient enfin que la gouvernante a été dans l'impossibilité de rassembler les fiches journalières de contrôle de la durée du travail lors du contrôle du 14 septembre 2017, étant elle-même occupée à des travaux de nettoyage et du fait de l'éloignement de certains sites. Il résulte toutefois de l'instruction, en particulier de l'examen des documents établis par la société qui portaient sur les journées des 11, 12 et 13 septembre et qui ont été remis à l'administration lors du contrôle effectué le 14 septembre 2017, que les feuilles journalières n'étaient pas remplies ou partiellement remplies, ne permettant pas de satisfaire en tout état de cause aux exigences énoncées par l'article D. 3171-8 du code du travail, rappelées au point 4. Il résulte également de ce qui vient d'être dit que la société requérante dont les manquements à la législation du travail étaient caractérisés à la date de la décision contestée ne saurait utilement se prévaloir de la communication devant le juge de première instance de feuilles journalières remplies pour la période du 6 au 13 septembre 2017, qui ont été complétées postérieurement au contrôle de l'inspection du travail.
8. Il résulte de qui a été dit aux points 5 à 7 que les manquements aux obligations résultant pour la société BH Nettoyage des dispositions du code du travail en matière de décompte individuel du temps de travail des salariés sont matériellement établis. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Centre-Val de Loire aurait commis une erreur d'appréciation en décidant, le 7 février 2018, de prononcer à son encontre une amende pour manquement à ses obligations au titre des articles L. 8115-1 et L. 8115-3 du code du travail.
En ce qui concerne le montant de l'amende :
9. Aux termes de l'article L. 8115-3 du code du travail : " Le montant maximal de l'amende est de 2 000 euros et peut être appliqué autant de fois qu'il y a de travailleurs concernés par le manquement. Le plafond de l'amende est porté au double en cas de nouveau manquement constaté dans un délai d'un an à compter du jour de la notification de l'amende concernant un précédent manquement ". Aux termes de l'article L. 8115-4 du même code : " Pour fixer le montant de l'amende, l'autorité administrative prend en compte les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur ainsi que ses ressources et ses charges ".
10. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'inspecteur du travail et du courrier du 2 juin 2017 adressé à la société BH Nettoyage par une inspectrice du travail de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Bouches-du-Rhône, que des manquements à l'obligation de mise en place du décompte de temps de travail avaient déjà été constatés au sein de la société requérante. Par ailleurs, la simple mise en place d'une feuille d'activité journalière, sans qu'un réel suivi de son application ait été mis en oeuvre, ne saurait être regardée comme un comportement adapté et de bonne foi de la part de la société. Par ailleurs, si le résultat d'exploitation pour l'exercice 2016 s'est soldé par une perte de 22 477 euros, la société n'a cependant produit aucun élément permettant d'établir que ce résultat déficitaire a perduré pour les années 2017 et 2018. Elle n'établit ainsi pas davantage en appel qu'en première instance que le paiement de l'amende d'un montant de 14 000 euros serait de nature à fragiliser sa situation financière et à préjudicier à son développement. Par suite, compte tenu de leur gravité, les faits reprochés à la société BH Nettoyage étaient de nature à justifier une amende d'un montant de 14 000 euros.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la société BH Nettoyage n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 7 février 2018 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Centre-Val de Loire lui a infligé une amende de 14 000 euros sur le fondement de l'article L. 8115-1 du code du travail.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la société BH Nettoyage sur ce fondement.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société BH Nettoyage est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société BH Nettoyage et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
Délibéré après l'audience du 12 novembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er décembre 2020.
Le rapporteur
O. COIFFETLe président
O. GASPON
Le greffier,
P. CHAVEROUX
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°19NT01314 2