Par une requête enregistrée le 27 février 2018, M.C..., représenté par MeD..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Caen du 28 décembre 2017 ;
2°) d'annuler la décision du 17 mars 2017 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique exercé le 28 septembre 2016 par son employeur, a annulé la décision du 29 juillet 2016 de l'inspecteur du travail et a autorisé son licenciement ;
3°) de mettre à la charge de l'association " uvre Notre Dame " la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision du ministre chargé du travail est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à la matérialité et à l'imputabilité des faits reprochés, s'agissant tant du défaut d'organisation du temps de travail de l'équipe éducative que de son inaction face aux comportements illicites adoptés par certains jeunes ;
- les faits tenant au défaut d'organisation du temps de travail de son équipe sont prescrits ;
- en outre, ayant déjà été sanctionnés, les faits reprochés ne pouvaient donner lieu à licenciement en vertu du principe " non bis in idem " ;
- les faits reprochés ne constituent pas une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 aout 2018, l'association " uvre Notre Dame " représentée par Me A...conclut au rejet de la requête et à la condamnation de M. C... à lui verser la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par M. C...ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pons,
- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,
Considérant ce qui suit :
1. L'association " uvre Notre Dame ", association caritative ayant pour objet l'accompagnement éducatif et scolaire de jeunes, a recruté M. B...C...en contrat à durée indéterminée et à mi-temps le 1er septembre 2008 en qualité de chef de service éducatif du Foyer d'Accompagnement Educatif et Scolaire (FAES) situé à Caen. M. C...a la qualité de salarié protégé, en tant que membre de la délégation unique du personnel depuis le 4 décembre 2012. Le 24 juin 2016, l'association " uvre Notre Dame " a sollicité auprès de l'inspecteur du travail de l'unité départementale du Calvados l'autorisation de licencier l'intéressé. Cette demande a été refusée par décision du 29 juillet 2016. L'association a exercé un recours hiérarchique contre cette décision auprès du ministre du travail. Par une décision du 17 mars 2017, le ministre a retiré sa décision implicite de rejet du recours gracieux intervenue le 31 janvier 2017, a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 29 juillet 2016 et a autorisé le licenciement de M.C.... Par sa présente requête, M. C...relève appel du jugement du 28 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 17 mars 2017 du ministre du travail.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision du 17 mars 2017 du ministre du travail est écarté par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges.
En ce qui concerne la matérialité des motifs invoqués par l'employeur :
3. Les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Aux termes de l'article L. 1235-1 du code du travail : " En cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié ".
4. Le comportement fautif reproché à M.C..., à l'origine de la demande de licenciement, porte sur le défaut d'élaboration des emplois du temps de l'équipe éducative du FAES ainsi que son inaction face au comportement illicite de certains jeunes hébergés par le foyer, dont notamment huit signalements relatifs à l'usage de tabac dans le foyer et six signalements relatifs à l'usage de stupéfiants figurant dans le cahier de liaison pour la période du 25 janvier au 3 février 2016.
5. Il est constant que la fiche de poste de M. C...prévoit explicitement, au titre de ses attributions spécifiques en matière de gestion du personnel, l'élaboration des plannings horaires de l'équipe éducative placée sous sa responsabilité. Il ressort des pièces du dossier qu'à l'occasion de l'évaluation professionnelle 2014 du requérant, réalisée le 21 février 2014, le directeur du FAES a relevé que : " des difficultés ont été rencontrées dans la gestion des plannings des éducateurs du FAES. Certains plannings ont été diffusés tardivement, des erreurs ont pu être notées, des dates de congé ont été remises tardivement. Il est demandé à M. C... d'établir des plannings conformes et diffusés en temps, de façon impérative. ". Ce même entretien rappelle à M. C...la nécessité de " classer les tâches relevant prioritairement de ses attributions et celles qui pourraient être déléguées à ses collaborateurs ". Cette demande a été réitérée par courrier du 4 juin 2014, sans recevoir de réponse. Plusieurs courriers du directeur du FAES adressés au requérant, notamment les 23 janvier 2014, 4 juin 2014 et 3 novembre 2015, lui ont rappelé l'exigence de planifier et d'afficher les temps de travail et les périodes de congés des éducateurs sans erreurs et dans les délais légaux. Une " commission veille horaire " a été mise en place en septembre 2015 pour remédier aux problèmes rencontrés dans le cadre de l'élaboration de ces emplois du temps. Si l'intéressé soutient qu'il a établi les plannings de travail des salariés de son service conformément aux instructions de l'association, en produisant le planning des semaines du 12 octobre 2015 au 3 janvier 2016, puis du 4 janvier au 27 mars 2016, ces éléments ne sont pas suffisants pour contredire sérieusement les manquements constatés à plusieurs reprises par l'employeur de M.C.... Aucun élément probant ne permet d'affirmer que la charge de travail confiée au requérant par l'association aurait été incompatible avec la durée de travail hebdomadaire de M.C.... La circonstance que l'intéressé n'ait pas bénéficié de l'ensemble des entretiens professionnels auxquels il pouvait prétendre est sans incidence sur la matérialité des faits reprochés. Dans ces conditions, le grief relatif au défaut d'élaboration des emplois du temps de l'équipe éducative du FAES, imputable au requérant, est établi.
6. L'association " uvre Notre Dame " fait valoir que le cahier de liaison du FAES durant la seule période du 25 janvier au 3 février 2016, comporte huit signalements relatifs à l'usage du tabac et six autres signalements portant sur l'usage du cannabis par les jeunes hébergés au foyer, sans qu'une intervention du chef de service n'ait eu lieu et sans que le directeur de l'établissement n'ait été averti. D'une part, en sa qualité de chef de service du FAES, il appartenait à M. C... de prendre des mesures pour faire cesser ces pratiques illicites. Le requérant ne fait état d'aucune initiative pour alerter sa hiérarchie sur ces comportements répréhensibles, d'actions relatives à l'engagement de procédures disciplinaires ou visant à informer les parents des jeunes concernés et les magistrats en charge de ces derniers. Si la psychologue du foyer a pu attester que : " Le rappel de la loi et des règles est au coeur des pratiques des professionnels du FAES. " et que les " transgressions sont systématiquement pointées et traitées. (...) ", ces affirmations d'ordre général ne sont pas de nature à démontrer l'existence d'actions concrètes initiées par M. C... en la matière. D'autre part, si le requérant fait valoir que la direction de l'association " uvre Notre Dame " n'a jamais formalisé de " procédure stupéfiant " comme cela avait été évoqué lors de la réunion de la délégation unique du personnel du 28 décembre 2014, alors même que cette circonstance ne saurait exonérer l'intéressé de sa responsabilité, il ressort du compte-rendu de cette réunion qu'en réponse à la question relative à la procédure à suivre en pareil cas, le directeur du foyer avait demandé qu'un écrit soit élaboré en équipe pour construire des réponses à donner pour la fin du premier semestre 2015, demande à laquelle M. C...n'a pas déféré, cet écrit n'ayant été réalisé que par le cadre chargé de l'intérim de M. C...à l'occasion de sa seconde mise à pied. Dans ces conditions, le manquement tenant à l'inaction face au comportement illicite de certains jeunes hébergés par le foyer, imputable au requérant, est établi.
En ce qui concerne la prescription des faits tenant au défaut d'organisation du temps de travail de l'équipe de M. C...:
7. Aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail : " Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales. ". Il résulte de ces dispositions que lorsque les faits reprochés caractérisent un comportement fautif continu du salarié, le point de départ du délai de deux mois est alors la date du dernier manquement constaté par l'employeur.
8. En l'espèce, le manquement tenant au défaut d'élaboration des emplois du temps des éducateurs présente le caractère d'un manquement continu, comme en atteste le compte-rendu de l'entretien d'évaluation et les différents courriers ayant rappelé à M. C...son obligation. La convocation à l'entretien préalable, en date du 1er mars 2016, fait état de ce qu'à la suite de la lettre d'observation qui lui a été envoyée le 3 novembre 2015, il avait été convenu qu'un nouveau planning serait mis en oeuvre début janvier 2016 puis, en l'absence d'un tel planning, à la rentrée des vacances de février. Dans ces conditions, le dernier manquement de M. C...quant au manquement reproché remonte au mois de février 2016 et n'était en conséquence pas prescrit à la date d'envoi de la convocation à l'entretien préalable, soit le 1er mars 2016. Par suite, le moyen tiré de la prescription des faits tenant au défaut d'organisation du temps de travail de l'équipe de M. C...doit être écarté.
En ce qui concerne la méconnaissance du principe " non bis in idem " :
9. Aux termes de l'article L. 1331-1 du code du travail : " Constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération. ".
10. Le compte-rendu d'entretien d'évaluation du 21 février 2014 ne saurait être regardé comme une sanction. A supposer même que le courrier du 3 novembre 2015 puisse être qualifié d'avertissement, il est constant que le défaut d'élaboration des emplois du temps des éducateurs malgré cet avertissement constitue un nouveau manquement. L'employeur pouvait, sans méconnaître le principe " non bis in idem ", tenir compte de faits déjà sanctionnés pour apprécier si l'ensemble des faits reprochés au salarié constituaient une faute d'une gravité suffisante pour justifier un licenciement. Dès lors, le moyen tiré de ce que les faits auraient déjà été sanctionnés doit être écarté.
En ce qui concerne la gravité de la faute :
11. Les manquements reprochés à M. C...sont relatifs aux missions prioritaires confiées, ainsi qu'il ressort de la fiche de poste de l'intéressé qui prévoit qu'il est chargé de l'organisation du travail des éducateurs et assure un soutien, un accompagnement et un contrôle auprès des professionnels de l'équipe éducative de l'établissement. Ces manquements ont été réitérés, malgré plusieurs rappels de ses obligations par son employeur. Enfin, ces manquements ont créé des tensions et des difficultés au sein de l'équipe éducative, comme l'illustre la lettre adressée par cette équipe à la direction le 7 janvier 2014 faisant état du manque de disponibilité et de soutien de l'équipe de la part de l'intéressé. Dans ces conditions, le ministre a pu, sans commettre d'erreur d'appréciation, estimer que les manquements reprochés à M.C..., appréciés dans leur ensemble, étaient d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement.
12. Il résulte de ce qui précède que M. C...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'association " uvre Notre Dame ", qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. C...demande au titre des frais liés au litige. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, à mettre à la charge de M. C...la somme demandée par l'association " uvre Notre Dame " au titre des mêmes frais.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. C...est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de l'association " uvre Notre Dame " sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...C..., à l'association " uvre Notre Dame " et à la ministre du travail.
Copie en sera adressée au directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Normandie.
Délibéré après l'audience du 27 mai 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Lenoir, président de chambre,
- M. Francfort, président-assesseur,
- M. Pons, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 11 juin 2019.
Le rapporteur,
F. PONSLe président,
H. LENOIR
La greffière,
E. HAUBOIS
La République mande et ordonne à la ministre du travail, en ce qui la concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT00888