Par une requête enregistrée le 11 juillet 2018, le préfet d'Ille-et-Vilaine demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement de la magistrate désignée du tribunal administratif de Rennes du 15 juin 2018 ;
2°) de rejeter en tout point la demande présentée par Mme A...devant le tribunal administratif de Rennes.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
- il a procédé à un examen complet de la situation de Mme A...en dépit de la circonstance que son arrêté de transfert ne précise pas qu'elle était enceinte ;
- en tout état de cause, l'intéressée n'établit pas que sa grossesse ne pourrait être prise en charge en Italie, ni même qu'elle ne pourrait voyager à destination de ce pays ;
- Mme A...n'établit pas que l'entretien du 31 janvier 2018 n'aurait pas été établi par un fonctionnaire de la préfecture qualifié en vertu du droit national alors que le compte-rendu d'entretien fait apparaître qu'il a été tenu par un agent de guichet dont les initiales ont été mentionnées ;
- Mme A...n'établit pas que l'absence du nom et de la qualité de l'agent ayant mené l'entretien ou l'absence d'un interprète agréé, ait eu une influence sur la prise de la décision en litige ou qu'elle ait été privée d'une garantie.
Les parties ont été informées le 24 janvier 2019, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur le moyen relevé d'office suivant : non-lieu à statuer sur les conclusions de la requête tendant à l'annulation du jugement du magistrat désigné en tant qu'il a annulé l'arrêté de transfert en litige compte tenu de la caducité de cette décision.
Par un mémoire enregistré le 31 janvier 2019, le préfet d'Ille-et-Vilaine conclut au maintien de sa requête.
Il soutient que :
- le non-lieu à statuer sur la présente requête aurait pour effet de priver l'Etat du double degré de juridiction et porterait atteinte à son droit au recours effectif ; il emporterait des conséquences manifestement excessives au regard de l'intérêt général ;
- il est inéquitable de laisser à la charge de l'Etat les frais de première instance.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 février 2019, Mme E...D...A..., représentée par Me Le Bihan, conclut au non-lieu à statuer, à titre subsidiaire à la désignation d'un interprète en langue anglaise, au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au préfet d'Ille-et-Vilaine d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer une attestation de demandeur d'asile dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir et au versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, de la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Elle soutient que les moyens soulevés par le préfet d'Ille-et-Vilaine ne sont pas fondés.
Mme A...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 17 octobre 2018.
Vu les autres pièces du dossier et notamment la lettre du 28 décembre 2018 par laquelle la préfète d'Ille-et-Vilaine indique qu'elle entend maintenir sa requête en particulier en ce qui concerne la somme de 800 euros mise à la charge de l'Etat au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 modifié ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Gélard a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le préfet d'Ille-et-Vilaine relève appel du jugement du 15 juin 2018 par lequel la magistrate désignée du tribunal administratif de Rennes a annulé ses arrêtés du 11 juin 2018 portant remise de Mme E...D...A..., alias Mme B...C..., ressortissante guinéenne, aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile et assignation à résidence, lui a enjoint de statuer à nouveau sur le cas de l'intéressée dans un délai de quinze jours et a mis à la charge de l'Etat le versement à Me Le Bihan de la somme de 800 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a annulé l'arrêté de transfert :
2. Aux termes de l'article 29 du règlement n° 604-2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 : " Le transfert du demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l'Etat membre requérant vers l'Etat membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'Etat membre requérant, après concertation entre les Etats membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3. /2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. ".
3. Il ressort des dispositions précitées que lorsque le délai de six mois fixé pour l'exécution de la mesure de transfert a été interrompu par l'introduction d'un recours suspensif, il recommence à courir à compter de la décision juridictionnelle statuant sur ce recours.
4. Le délai initial de six mois dont disposait le préfet d'Ille-et-Vilaine pour procéder à l'exécution du transfert de Mme A...vers l'Italie a été interrompu par la saisine de la magistrate désignée du tribunal administratif de Rennes. Ce délai a recommencé à courir à compter du jugement du 15 juin 2018 rendu par cette dernière et n'a fait l'objet d'aucune prolongation. Par suite, la décision de transfert est devenue caduque sans avoir reçu de commencement d'exécution. La France est donc devenue responsable de la demande d'asile sur le fondement des dispositions du 2 de l'article 29 du règlement n° 604-2013 rappelées ci-dessus. Le litige ayant perdu son objet, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions du préfet d'Ille-et-Vilaine tendant à l'annulation du jugement du 15 juin 2018 en tant qu'il a annulé l'arrêté de transfert du 11 juin 2018.
Sur la régularité du jugement attaqué en ce qui concerne l'arrêté portant assignation à résidence :
5. Il ressort des pièces du dossier que la magistrate désignée du tribunal administratif de Rennes a visé l'ensemble des moyens soulevés par Mme A...et y a répondu. Contrairement à ce que soutient le préfet, il n'est pas établi qu'il n'aurait pas tenu compte des arguments qu'il a avancés en défense ou se serait borné à retenir les allégations infondées de l'intéressée.
Sur le bien fondé du jugement attaqué en tant qu'il a annulé l'arrêté d'assignation à résidence :
6. Il ressort des pièces du dossier et notamment du résumé de l'entretien individuel du 31 janvier 2018 rédigé par l'agent de préfecture qui a tenu cet entretien, que Mme A...a déclaré être enceinte. Si l'arrêté portant transfert de l'intéressée vers l'Italie indique que Mme C...B...alias A...E...D...s'est déclarée mariée avec un compatriote, il précise également que " l'entretien effectué en amont n'a révélé aucun élément personnel, familial ou médical de nature à remettre en cause la présente décision ". Mme A...a produit devant le tribunal administratif de Rennes une attestation du service d'accompagnement des femmes enceintes en difficulté du département d'Ille-et-Vilaine confirmant qu'elle était suivie dans l'accompagnement de sa grossesse depuis le 29 janvier 2018 par une assistante sociale et une sage-femme. Si le préfet soutient en appel que l'intéressée aurait refusé de communiquer à ses services tout document justifiant de sa grossesse, et qu'en tout état de cause, il n'est pas démontré qu'elle ne pourrait voyager à destination de l'Italie, ces allégations ne sont établies par aucune pièce du dossier. De surcroît, il n'est pas établi que le préfet aurait indiqué aux autorités italiennes lors de sa demande de prise en charge du 15 février 2018 que Mme A...était enceinte et susceptible d'être transférée en compagnie d'un très jeune enfant ou d'un enfant à naître. Par suite, la magistrate désignée du tribunal administratif de Rennes a pu estimer à juste titre que le préfet n'avait pas procédé à un examen complet de la situation de l'intéressée. Dès lors, le préfet d'Ille-et-Vilaine n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté portant assignation à résidence de Mme A...ne pouvait être annulé par voie de conséquence de l'illégalité de l'arrêté portant transfert de l'intéressée vers l'Italie.
Sur les conclusions à fin d'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a mis à la charge de l'Etat une somme au titre des frais engagés pour l'instance :
7. Le jugement attaqué a mis à la charge de l'Etat, sur le fondement des articles 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 800 euros.
8. Dans les circonstances de l'espèce et dès lors que le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes n'a pas fait une appréciation manifestement exagérée des frais liés au litige, le préfet d'Ille-et-Vilaine n'est pas fondé à demander l'annulation sur ce point du jugement attaqué.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. Il ressort des pièces du dossier que Mme A...a été admise à présenter une demande d'asile en France le 18 décembre dernier. Par suite, ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet d'Ille-et-Vilaine d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer une attestation de demandeur d'asile dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir sont devenues sans objet.
Sur les frais liés au litige :
10. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Le Bihan, avocate de MmeA..., de la somme qu'elle demande au titre des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête du préfet d'Ille-et-Vilaine tendant à l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a annulé son l'arrêté du 11 juin 2018 portant transfert de Mme A...aux autorités italiennes.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête du préfet d'Ille-et-Vilaine est rejeté.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d'injonction présentées en appel par MmeA....
Article 4 : Les conclusions présentées par Mme A...sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme C...B...alias A...E...D.... Une copie sera transmise à la préfète d'Ille-et-Vilaine.
Délibéré après l'audience du 27 mai 2019 à laquelle siégeaient :
- M. Lenoir, président de chambre,
- M. Francfort, président-assesseur,
- Mme Gélard, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 11 juin 2019.
Le rapporteur,
V. GELARDLe président,
H. LENOIR
La greffière,
E. HAUBOIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 18NT02633