Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés respectivement le 1er août 2008 et le 26 mars 2019, Mme A..., représentée par la Selarl Publi-Juris, société d'avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en ce qu'il a limité à la somme de 2 000 euros le montant lui ayant été alloué à la suite de la reconnaissance de la faute de l'école supérieure des beaux-arts de Nantes Métropole ;
2°) de condamner l'ESBANM au versement des sommes de 109 682,16 euros et de 33 949, 24 euros ou, à défaut, de 89 263,02 euros et de 27 629, 03 euros en réparation des préjudices subis du fait d'un travail effectué sans contrepartie, de 11 811,12 euros en réparation du manque à gagner subi du fait de l'impossibilité de prendre en compte son ancienneté, de 10 000 euros au titre du préjudice moral et psychologique et de 40 000 euros au titre du harcèlement moral.
3°) de mettre à la charge de l'ESBANM le versement d'une somme de 5 000 euros en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'elle n'aurait pas été employée par l'ESBANM en qualité de professeur d'enseignement artistique après le mois d'octobre 2011 ;
- c'est également à tort que les premiers juges ont estimé qu'elle n'aurait pas été recrutée comme maître de conférences ou professeur d'université associé ou invité ;
- c'est toujours à tort que les premiers juges ont estimé qu'elle n'avait pas droit au renouvellement du contrat à durée déterminée dont elle a bénéficié en 2010 ;
- elle a assuré de 2010 à 2014 des missions pour le compte de l'ESBANM qui dépassaient largement son statut de boursier et n'a aucunement été rémunérée pour tout le travail qu'elle a accompli ;
- c'est à bon droit, en revanche, que les premiers juges ont estimé que l'ESBANM l'avait employée sans la rémunérer au-delà de l'année au cours de laquelle une bourse d'études était versée ;
- enfin, c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'elle n'avait pas été victime de harcèlement moral ;
- l'absence de reconnaissance du travail accompli a eu pour conséquence qu'elle a subi un préjudice liée tant aux rémunérations non versées et à l'absence de reconnaissance de son recrutement en tant que professeur des écoles d'art ou de maître de conférences ;
- les préjudices subis justifient l'octroi des sommes sollicitées et de réévaluer à due concurrence l'indemnité accordée par le tribunal.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er février 2019, l'ESBANM, représentée par la Selarl Cornet-Vincent-Ségurel, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident, à ce que le jugement du tribunal soit réformé en ce qu'il a jugé que l'école avait commis une faute en employant Mme A... entre novembre 2011 et novembre 2012 sans la rémunérer et l'a condamnée à verser une indemnité de 2000 euros à ce titre ;
3°) de mettre à la charge de Mme A... le versement d'une somme de 5000 euros en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé l'ESBANM avait chargé Mme A... de la responsabilité d'éditer une revue ;
- les moyens soulevés par Mme A... à l'appui de sa propre requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984;
- le décret n° 85-733 du 17 juillet 1985 ;
- le décret n° 91 -857 du 2 septembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., représentant Mme A..., et de Mme E..., représentant l'ESBANM.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., diplômée de l'Ecole des Beaux-Arts de Saint-Etienne et docteur en philosophie, a été intégrée, au mois de novembre 2010, sous la dénomination d'" artiste-chercheur ", à l'équipe de l'Ecole supérieure des Beaux-Arts de Nantes Métropole (ESBANM) travaillant, de concert avec la Maison des Sciences de l'Homme (MSH), à un projet de recherche en art dénommé " Plug-In ". A ce titre, Mme A... a été allocataire, pour une durée de douze mois, d'une bourse de cet établissement d'un montant mensuel de 1 000 euros. Par la suite, à partir de la fin de l'année 2011 et jusqu'en 2014, Mme A... a poursuivi la mise au point d'une publication scientifique en collaboration avec plusieurs enseignants de l'ESBANM. L'intéressée, estimant qu'elle avait en fait exercé au cours de cette période des missions relevant normalement des tâches dévolues à un professeur d'école supérieure d'art, à un maître de conférences de l'université ou, à tout le moins, qu'elle avait été, en fait, employée dans le cadre d'un contrat à durée déterminée, a sollicité, par lettre du 10 décembre 2015, le versement d'une indemnité réparant le préjudice résultant du non-versement des rémunérations qu'elle estimait lui être dues. Cette demande a été rejetée par une décision du directeur de l'ESBANM du 11 février 2016. Par jugement du 27 juin 2018, dont Mme A... relève partiellement appel, le tribunal administratif de Nantes a fait droit à sa demande de condamnation indemnitaire à hauteur de la somme de 2 000 euros et a rejeté le surplus de ses conclusions. L'ESBANM demande, par la voie de l'appel incident, l'infirmation de ce jugement en tant qu'il l'a condamnée à verser à Mme A... une indemnité d'un montant de 2 000 euros.
Sur la responsabilité de l'ESBANM :
S'agissant de la situation de Mme A... en qualité d'" artiste-chercheur " à l'ESBANM :
2. Il résulte de l'instruction que, comme indiqué au point 1, Mme A... a été allocataire d'une bourse spécifique de l'ESBANM lui accordant, selon une dénomination propre à cette école, un statut d'" artiste-chercheur " allocataire d'une bourse de 1 000 euros par mois. Si aucun document écrit n'a formalisé cette situation et n'a défini les missions et les obligations de l'intéressée à cette occasion, il résulte cependant de l'instruction que Mme A... était associée à l'équipe de recherche développant le projet " Plug-In " et qu'il lui était également demandé d'assurer un tutorat de certains étudiants. Si Mme A... soutient qu'elle a, en fait, rempli, à l'occasion de cette participation à un projet de recherche, une fonction de professeur d'école supérieure d'art ou de maître de conférence, aucun des nombreux éléments produits par la requérante n'établit, même en faisant abstraction de leur présentation brouillonne et de leur rédaction imprécise, la réalité de ses assertions. Ainsi, il ne résulte de l'instruction ni qu'elle aurait défini un projet pédagogique ni qu'elle aurait assuré un enseignement pour le compte de l'école, les échanges avec les étudiants dont elle fait état ne dépassant pas le cadre d'un accompagnement parfaitement compatible avec son statut d'" artiste-chercheur ". Il en est de même en ce qui concerne sa participation à un jury blanc et à un jury d'entrée à l'école, ce dernier ayant fait l'objet d'une rémunération spécifique. La circonstance qu'elle ait également, dans le cadre des travaux de recherche auxquels elle était associée, contribué à la préparation et à l'organisation d'une exposition dite " 6b " ne saurait conduire à requalifier ses fonctions comme étant celles d'un fonctionnaire ou d'un agent contractuel à temps complet. Enfin, il ne résulte également pas de l'instruction que Mme A... aurait été placée sous l'autorité hiérarchique d'un membre du corps enseignant de l'école pour l'exercice de sa mission. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges auraient estimé qu'elle n'avait pas été recrutée par l'ESBANM comme professeur d'école supérieure d'art, de maître de conférences ou de professeur d'université associé ou invité.
3. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point précédent, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que son engagement auprès de l'ESBANM aurait dû, à tout le moins, être requalifié comme un contrat à durée déterminée de professeur.
S'agissant du renouvellement du versement d'une bourse d'études au titre de la période 2011-2012 :
4. D'une part, si Mme A... soutient qu'elle était en droit, au titre de la période de novembre 2011 à octobre 2012, d'obtenir le renouvellement de la bourse versée en qualité d'" artiste-chercheur ", il ne résulte aucunement de l'instruction ni l'existence d'un texte à caractère réglementaire ou contractuel prévoyant une telle obligation, ni même que Mme A... ait sollicité le renouvellement de l'engagement dont elle avait bénéficié auprès de l'ESBANM au cours de la période de novembre 2010 à octobre 2011. De même, il ne résulte pas de l'instruction que le directeur de l'école lui aurait promis le renouvellement de cet engagement, la circonstance qu'un des enseignants de l'école l'ait évoqué dans un de ses courriels, sans d'ailleurs prendre d'engagement ferme, étant sans influence à cet égard.
5. D'autre part, et comme indiqué au point 3, Mme A... n'a pas été recrutée par l'ESBANM en qualité de professeur contractuel. Elle ne saurait donc se prévaloir d'un droit à ce que lui soit proposé le renouvellement de son contrat ou, à tout le moins, que le refus de le renouveler fasse l'objet d'un entretien préalable.
6. Il résulte de ce qui précède que la requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que l'ESBANM n'avait pas commis de faute susceptible d'engager sa responsabilité en ne renouvelant pas pour une année le versement de la bourse dont elle avait été bénéficiaire au cours de la période allant de novembre 2010 à octobre 2011 et en ne l'informant pas préalablement de son intention de ne pas la renouveler.
S'agissant de la participation à la mise au point d'une publication scientifique :
7. Mme A... soutient qu'elle a été chargée par l'ESBANM, au cours de l'année 2011, de la préparation, du suivi et de la publication d'un travail scientifique basé sur les éléments recueillis au cours de ses recherches dans le cadre du projet " Plug-In ". Elle soutient également que ce travail s'est poursuivi après le non-renouvellement de son statut d'" artiste-chercheur " de l'ESBANM en novembre 2011 jusqu'à la publication finale intervenue en 2014 dans la mesure où elle agissait alors comme rédacteur en chef de cette publication de l'école. Elle estime en conséquence que l'ESBANM a engagé sa responsabilité en ne la rémunérant pas au titre de ce travail, par référence au travail d'un enseignant-chercheur.
8. Il résulte toutefois de l'instruction que si, initialement, l'ESBANM avait envisagé, en mars 2011, en association avec la MSH, un projet de publication électronique édité sous son patronage et prenant la forme d'une revue prototype artistique, l'école n'a finalement pas donné suite à ce projet dès l'année 2011, comme cela ressort de la lecture d'une note du responsable scientifique de la MSH Nord du 15 juin 2016 figurant au dossier ainsi que de la lecture d'un des courriels, daté du 29 mai 2011, produits par Mme A..., indiquant que ce projet avait, dès cette date, été rejeté par le directeur de l'ESBANM.
9. Par ailleurs, si Mme A... fait valoir qu'elle a participé, de 2011 à 2014, en équipe avec des enseignants de l'ESBANM, à la réalisation, sur la base des données recueillies au cours de différents entretiens menés dans le cadre de l'école, d'un projet de publication scientifique sous forme d'un hors-série de la revue " Appareils " éditée avec le soutien de la MSH, il ne résulte aucunement de l'instruction que ce projet, porté avec le seul soutien de la MSH, aurait été mené sur instruction ou au moins avec l'accord de l'ESBANM, l'existence d'une participation à titre personnel d'enseignants de l'ESBANM audit projet étant sans influence à cet égard. Par suite, Mme A..., qui a d'ailleurs été reconnue comme l'auteur principal de cette publication et a pu, sur la base de ce travail, éditer un ouvrage aux éditions l'Harmattan, n'est pas fondée à mettre en jeu, au titre de la période considérée, la responsabilité de l'ESBANM au motif que celle-ci l'aurait engagée comme rédacteur en chef d'une publication de l'école sans lui verser de rémunération en contrepartie du travail ainsi effectué.
S'agissant du harcèlement moral :
10. L'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce dispose que : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. (...) Les dispositions du présent article sont applicables aux agents non titulaires de droit public. ".
11. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à 1'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements, dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral, revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de 1'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de 1'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.
12. Mme A... soutient qu'elle a été victime d'un harcèlement tant de la part de l'école qui l'a indument employée de manière intensive de 2010 à 2014 sans lui verser la rémunération à laquelle elle avait droit en contrepartie du travail effectué que de certains des enseignants de cette école, auteurs de propos sexistes voire à connotation sexuelle.
13. D'une part, la requérante ne peut soutenir avoir été, de manière constante, employée sans contrepartie par l'ESBANM au cours de la période de 2010 à 2014. Ainsi, elle n'a, comme il l'est précisé aux points 2 et 3, effectué dans le cadre de son engagement comme " artiste-chercheur " que des fonctions n'excédant pas ce qui pouvait lui être demandé dans le cadre de ce statut. De même, comme précisé aux points 7 à 9, la requérante ne peut prétendre avoir effectué pour le compte de l'école, sans contrepartie, un travail de rédacteur d'une publication scientifique. Enfin, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que, dans le cadre des fonctions exercées effectivement pour le compte de l'ESBANM, elle ait fait l'objet de la part de la direction de cette école ou de membres du personnel enseignant d'un harcèlement ou de discrimination.
14. D'autre part, la circonstance, à la supposée établie, que Mme A... aurait été, dans le cadre du travail de préparation de la publication publiée pour le compte de la MSH par la revue " Appareil ", victimes d'un harcèlement de la part de membres de l'équipe de rédaction de cette publication n'est pas de nature à engager la responsabilité de l'école, laquelle, ainsi qu'il l'a été précisé au point 9, n'a aucunement participé à sa réalisation et ne saurait être tenue pour responsable des comportements éventuels de ses agents intervenant en dehors de leurs fonctions d'enseignants de l'école.
15. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté sa demande tendant à l'indemnisation du harcèlement dont elle aurait été victime.
Sur l'appel incident de l'ESBANM :
16. Comme il l'a été indiqué au point 9, le travail effectué entre 2011 et 2014 par Mme A... en ce qui concerne la mise au point et la publication d'un article scientifique par la revue " Appareils " ne peut aucunement être considéré comme ayant été réalisé sous l'autorité et au profit, même partiel, de l'ESBANM. Par suite, cette dernière est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a mis à sa charge, au motif erroné de la rémunération d'un travail effectué au profit de l'école, le versement d'une somme de 2 000 euros.
17. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède, que la requête de Mme A... doit être rejetée et que le jugement du tribunal administratif de Nantes du 27 juin 2018 doit être annulé en tant qu'il a mis à la charge de l'ESBANM le versement d'une somme de 2000 euros.
Sur les frais d'instance :
18. Il y a lieu de rejeter les conclusions de Mme A... tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative dès lors que l'ESBANM ne peut être considérée comme étant la partie perdante dans la présente instance. Dans les circonstances de de l'espère, il n'y a pas lieu de mettre à la charge Mme A... le versement à l'ESBANM de la somme demandée par cette dernière au titre des frais de l'instance.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Nantes du 27 juin 2018 par lequel celui-ci a condamné l'ESBANM à verser une somme de 2 000 euros à Mme A... est annulé.
Article 3 : Le surplus des conclusions de l'école supérieure des beaux-arts de Nantes tendant à l'application de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... et à l'école supérieure des beaux-arts de Nantes Métropole.
Délibéré après l'audience du 25 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Coiffet, président,
- Mme Gélard, premier conseiller,
- Mme D..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 13 octobre 2020.
Le rapporteur,
F. D...
Le président,
O. COIFFET
La greffière,
E. HAUBOIS
La République mande et ordonne à la ministre de la culture en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT02956