Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 14 juin 2019, M. C... D..., représenté par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le tribunal administratif de Rennes du 27 mai 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 22 mai 2019 décidant de son transfert aux autorités suisses ;
3°) d'annuler l'arrêté du 22 mai 2019 l'assignant à résidence, lui faisant interdiction de sortir du département d'Ille-et-Vilaine et l'astreignant à remettre l'original de son passeport contre un récépissé et à se présenter deux fois par semaine à la DZPAF ;
4°) d'enjoindre à la préfète d'Ille-et-Vilaine de réexaminer sa demande d'asile, de lui délivrer une attestation en qualité de demandeur d'asile en procédure normale et le dossier de demande d'asile destiné à l'office français de protection des réfugiés et apatrides dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
5°) d'enjoindre à la préfète d'Ille-et-Vilaine de réexaminer sa situation et de lui délivrer une attestation de demande d'asile dans un délai de trois jours et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
6°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros, à verser à son conseil sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'arrêté contesté 22 mai 2019 décidant de son transfert vers la Suisse méconnait les dispositions de l'article 3§2 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et les articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; son transfert vers la Suisse l'expose à des défaillances dans l'examen de sa demande d'asile ainsi qu'a pu le relever, s'agissant des procédures à l'oeuvre dans ce pays, le comité contre la torture des Nations Unies dans sa décision du 7 décembre 2018 ; ensuite, le même comité a estimé dans une décision du 23 janvier 2019 que le renvoi d'une personne vers l'Erythrée viole la Convention contre la torture ; enfin, il est également établi que la Suisse prend des décisions de renvoi vers l'Erythrée. Pour les mêmes motifs, l'arrêté contesté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- l'arrêté contesté 22 mai 2019 décidant de son transfert vers la Suisse est entaché d'une insuffisante motivation et d'un défaut d'examen complet de sa situation ;
- l'arrêté contesté 22 mai 2019 décidant de son transfert vers la Suisse méconnait les dispositions des articles 4 et 26 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ; il appartient à l'autorité administrative de démontrer qu'elle a respecté son obligation d'information et qu'elle a effectivement délivré des informations sur les personnes ou entités susceptibles de lui fournir une assistante juridique ;
- l'arrêté contesté 22 mai 2019 décidant de son transfert vers la Suisse est entaché d'erreur de droit car c'est le d) du paragraphe 1 de l'article 18 qui doit s'appliquer lorsqu'un ressortissant d'un pays tiers a vu sa demande d'asile rejetée ;
- cet arrêté est également entaché d'une erreur manifeste d'appréciation et méconnait les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ; il souffre de graves problèmes de santé ;
- l'arrêté du 6 mai 2019 l'assignant à résidence est illégal en tant qu'il méconnait les dispositions de l'article L.561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 juillet 2019, la préfète d'Ille-et-Vilaine conclut au rejet de la requête et informe la cour que faute pour le requérant d'apporter des éléments nouveaux, il s'en remet aux observations et aux pièces produites devant le tribunal dans son mémoire du 24 mai 2019.
Elle soutient que moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.
M. C... D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 juillet 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- et les observations de Me B..., représentant M. D....
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., né le 12 juin 1996 en Erythrée, pays dont il a la nationalité, est entré irrégulièrement en France le 8 avril 2019 et a présenté une demande d'asile le 25 avril 2019. Les recherches effectuées dans le fichier Eurodac ayant révélé que l'intéressé avait déjà déposé une demande d'asile en Suisse, les autorités de ce pays ont été saisies le 29 avril 2019 d'une demande de reprise en charge sur le fondement des dispositions du paragraphe 2 de l'article 25 du règlement UE n° 604/2013 du 26 juin 2013. Ces autorités ont donné leur accord le 29 avril 2019 sur le fondement des dispositions du d) du paragraphe 1 de l'article 18 de ce règlement. Par deux arrêtés du 22 mai 2019, la préfète d'Ille-et-Vilaine a décidé de transférer M. D... aux autorités suisses, responsables de sa demande d'asile, et de l'assigner à résidence, lui faisant interdiction de sortir du département d'Ille-et-Vilaine et l'astreignant à remettre l'original de son passeport contre un récépissé et à se présenter deux fois par semaine à la DZPAF. M. D... relève appel du jugement du 27 mai 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces arrêtés.
2. En premier lieu, l'arrêté contesté du 22 mai 2019 décidant le transfert de M. D... vise les textes sur lesquels il se fonde et qui lui sont applicables, fait état de sa situation administrative et expose les principaux éléments relatifs à sa situation personnelle, en mentionnant notamment qu'il ne peut pas se prévaloir d'une vie privée et familiale stable en France, et que sa situation ne relève pas des dérogations prévues par les articles 3§2 ou 17 du règlement (UE) n° 604/2013 susvisé en précisant que l'intéressé n'établit pas de risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités de l'Etat responsable de sa demande d'asile. L'arrêté contesté qui comporte et rappelle ainsi de façon suffisamment précise les considérations de droit et de fait qui le fonde est dès lors suffisamment motivé. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces versées au dossier, et notamment du compte-rendu de l'entretien individuel qui s'est tenu le 25 avril 2019, que M. D... aurait porté à la connaissance de la préfète d'Ille-et-Vilaine des éléments particuliers relatifs à ses craintes en cas de transfert en Suisse. Le requérant n'est donc pas davantage fondé à soutenir que la préfète d'Ille-et-Vilaine n'aurait pas procédé à un examen approfondi de sa situation.
3. En deuxième lieu, aux termes des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (....) ".
4. Pour soutenir que l'arrêté méconnait les dispositions citées au point précédent M. D... affirme que, en cas de renvoi en Suisse, il sera nécessairement éloigné à destination de l'Erythrée où son intégrité physique est menacée. Toutefois, d'une part, le requérant ne produit pas davantage en appel qu'en première instance de pièce démontrant le caractère personnel et actuel du risque qu'il invoque en cas de retour en Erythrée et n'avance que des considérations d'ordre général en évoquant tant l'obligation d'un service militaire à durée indéterminée en Erythrée que l'interdiction de sortie de ce pays et enfin des incarcérations arbitraires. D'autre part, s'il critique une politique des autorités suisses qui serait " plus restrictive " envers les demandes d'asile des ressortissants érythréens, cette circonstance, à la supposer établie, ne suffit pas, par elle-même, à caractériser des défaillances systémiques dans les conditions d'accueil et l'examen des demandes d'asile en Suisse. Il ne ressort pas par ailleurs des pièces versées au dossier et n'est pas établi que le requérant ferait l'objet en Suisse d'une décision définitive de refus de sa demande d'asile et que son transfert vers ce pays impliquerait nécessairement de ce fait son renvoi en Erythrée. Il n'est pas non plus établi que les autorités suisses n'évalueront pas d'office les risques que le requérant indique encourir en cas de retour dans son pays. De même, l'intéressé ne démontre pas davantage que sa demande d'asile ne serait pas traitée par la Suisse, pays partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile et de façon aussi favorable que si elle était examinée par les autorités françaises. Enfin, l'arrêté contesté n'a pas pour objet d'éloigner M. D... vers son pays d'origine. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté qu'il critique aurait été pris en méconnaissance tant de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne que de l'article 3 du règlement du 26 juin 2013 dont les stipulations et dispositions sont rappelées au point 4.
5. Pour les mêmes motifs que ceux évoqués au point précédent, le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en refusant, s'agissant du cas de M. D..., de faire application des stipulations de l'article 17 du règlement du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 rappelées au point 3.
6. En troisième lieu, si M. D... persiste en appel à faire valoir qu'il bénéficie d'un suivi médical qui ferait obstacle à son transfert vers la Suisse, il n'assortit toutefois cette affirmation d'aucun élément précis permettant de l'établir. Le requérant n'est, par suite, pas fondé à soutenir que l'arrêté contesté du 22 mai 2019 décidant de son transfert méconnaitrait pour ce motif les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et serait, en conséquence, entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
7. Enfin, pour le surplus, M. D... se borne à reprendre devant le juge d'appel les mêmes moyens que ceux invoqués en première instance sans plus de précisions ou de justifications et sans les assortir d'éléments nouveaux. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus par le premier juge et tirés de ce qu'en prenant l'arrêté du 22 mai 2019 décidant le transfert de M. D..., la préfète d'Ille-et-Vilaine n'a méconnu ni l'obligation d'information prévue par l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ni l'article 26 du même règlement inopérant à l'encontre de la décision contestée, ni entaché sa décision d'une erreur de droit, les dispositions du d) du paragraphe 1de l'article 18 du règlement du 26 juin 2013 n'étant pas méconnues dès lors que les autorités suisses ont donné leur accord le 29 avril 2019 pour reprendre en charge l'intéressé.
8. Il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que M. D... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de l'arrêté du 22 mai 2019 décidant de son transfert en Suisse à l'encontre de l'arrêté du même jour l'assignant à résidence, lui faisant interdiction de sortir du département d'Ille-et-Vilaine et l'astreignant à remettre l'original de son passeport contre un récépissé et à se présenter deux fois par semaine à la DZPAF.
9. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par M. D... n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par le requérant ne peuvent qu'être rejetées.
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que le conseil de M. D... demande au titre des frais liés au litige.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D... et au ministre de l'intérieur. Une copie sera transmise à la préfète d'Ille-et-Vilaine.
Délibéré après l'audience du 27 septembre 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Lenoir, président de chambre,
- M. A..., président-assesseur,
- Mme Gélard, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 octobre 2019.
Le rapporteur
O. A...Le président
H. Lenoir
La greffière
E. Haubois
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 19NT02263 2