Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 19 mai 2020 et 5 octobre 2020, M. D..., représenté par Me Pronost, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision de transfert vers l'Allemagne du 20 janvier 2020 ;
3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire de transmettre à l'office français de protection des réfugiés et apatrides sa demande d'asile ou, à défaut, de procéder à un nouvel examen de sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'arrêté portant transfert vers l'Allemagne est entaché d'un vice de procédure dès lors que les dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 ont été méconnues ainsi que les dispositions de l'article 35 de ce même règlement et l'article 4 de la directive " procédure " 2013/32/UE ; aucune disposition du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ni aucun autre texte ne se rapportent aux articles 5.5 du règlement du 26 juin 2013 et 4.4 de la directive " procédure " du 26 juin 2013 alors que la directive, qui est applicable aux demandeurs auxquels le règlement n°604/2013 s'applique et dont les dispositions de l'article 4 sont précises et inconditionnelles, aurait dû être transposée au plus tard le 20 juillet 2015 ; la directive permet aux Etats membres de ne pas confier la compétence de l'instruction des dossiers Dublin à l'autorité qui instruit les demandes d'asile, à condition que le personnel de cette autorité reçoive une formation nécessaire ; cette obligation résulte également de l'article 35 § 3 du règlement Dublin III ; en n'ayant pas édicté des dispositions internes pour permettre la qualification et l'identification de la personne chargée de l'entretien individuel, la France méconnait le règlement Dublin ;
- l'arrêté portant transfert est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 dès lors que la situation en Somalie, caractérisée par un contexte de violence généralisée, est extrêmement préoccupante et qu'il a été victime par balle ; il est exposé à un risque de renvoi en Somalie en cas de retour en Allemagne ; il appartenait aux autorités françaises d'obtenir davantage de renseignements auprès des autorités allemandes en application de l'article 34 du règlement Dublin ;
- l'illégalité de la décision de transfert vers l'Allemagne entrainera nécessairement l'annulation de la décision d'assignation à résidence.
Par un courrier du 7 septembre 2020, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour était susceptible de soulever d'office un moyen d'ordre public tiré du non-lieu à statuer sur les conclusions de la requête à fin d'annulation de la décision de transfert en raison de l'expiration du délai de six mois prévu au 1 de l'article 29 du règlement n°604/2013 du 26 juin 2013.
Des observations en réponse à ce moyen relevé d'office ont été présentées pour M. D... et enregistrées le 15 septembre 2020. Il précise que le transfert a été mis à exécution.
Par un mémoire, enregistré le 21 septembre 2020, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- l'arrêté a été exécuté le 10 août 2020 ;
- les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 25 septembre 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 13 octobre 2020 à 16 heures.
Par un mémoire, enregistré le 10 novembre 2020, M. D... conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 8 juin 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la directive 2013/32/UE du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
-le rapport de Mme Malingue,
-les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,
-et les observations de Me Pronost, représentant M. D....
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ressortissant somalien né le 1er janvier 1990, entré en France le 20 décembre 2019 selon ses déclarations, s'est présenté le 2 janvier 2020 aux services de la préfecture de Loire-Atlantique pour déposer une demande d'asile. Après que l'examen du relevé de ses empreintes digitales a révélé que celles-ci avaient déjà été enregistrées en Allemagne, une requête établie en application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 a été transmise aux autorités allemandes, qui ont transmis leur accord le 9 janvier 2020. Par arrêtés du 20 janvier 2020, le préfet de Maine-et-Loire a décidé de son transfert aux autorités allemandes responsables de l'examen de sa demande d'asile et de l'assigner à résidence dans le département de Loire-Atlantique pour une durée de quarante-cinq jours. M. D... a sollicité auprès du tribunal administratif de Nantes l'annulation de ces décisions. Il relève appel du jugement du 6 mars 2020 par lequel le magistrat désigné par le président de ce tribunal a rejeté sa demande.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. (...) ". Aux termes de l'article 35 du même règlement : " 1. Chaque Etat membre notifie sans délai à la Commission les autorités chargées en particulier de l'exécution des obligations découlant du présent règlement et toute modification concernant ces autorités. Les Etats membres veillent à ce qu'elles disposent des ressources nécessaires pour l'accomplissement de leur mission et, notamment, pour répondre dans les délais prévus aux demandes d'informations, ainsi qu'aux requêtes aux fins de prise en charge et de reprise en charge des demandeurs. / (...) 3. Les autorités visées au paragraphe 1 reçoivent la formation nécessaire en ce qui concerne l'application du présent règlement (...) ". Aux termes de l'article 1er de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale : " La présente directive a pour objet d'établir des procédures communes d'octroi et de retrait de la protection internationale en vertu de la directive 2011/95/UE ". Aux termes de l'article 4 de la même directive : " 1. Les Etats membres désignent pour toutes les procédures une autorité responsable de la détermination qui sera chargée de procéder à un examen approprié des demandes conformément à la présente directive. (...) / 2. Les Etats membres peuvent prévoir qu'une autorité autre que celle mentionnée au paragraphe 1 est responsable lorsqu'il s'agit : / a) de traiter les cas en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 (...). / 4. Lorsqu'une autorité est désignée conformément au paragraphe 2, les Etats membres veillent à ce que le personnel de cette autorité dispose des connaissances appropriées ou reçoive la formation nécessaire pour remplir ses obligations lors de la mise en oeuvre de la présente directive (...) ".
3. D'une part, si M. D... soutient qu'aucune disposition n'a été édictée pour assurer la transposition en droit interne des objectifs de la directive 2013/32/UE du 26 juin 2013 rappelés au point 2 du présent arrêt, celles du paragraphe 5 de l'article 5 du règlement n° 604/2013 prévoyant que l'entretien individuel dont bénéficie le demandeur d'asile afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat responsable est " mené par une personne qualifiée en droit national ", sont, en tout état de cause, d'effet direct en droit interne. L'absence de texte spécifique précisant en droit français la notion de " personne qualifiée " au sens de ces dernières dispositions ne fait, par ailleurs, pas par elle-même obstacle à ce que les préfets de département territorialement compétents prennent les mesures nécessaires pour s'assurer que les agents placés sous leur autorité et affectés à l'accueil des demandeurs d'asile présentent une qualification suffisante pour l'accomplissement de cette mission, en particulier en leur assurant une formation ou, à tout le moins, l'accès à une information suffisante comme le prévoit la directive.
4. D'autre part, il ressort des mentions figurant sur le compte-rendu d'entretien individuel signé par M. D... qu'il a bénéficié, le 2 janvier 2010, soit avant l'intervention de la décision contestée, au sein des services de la préfecture de la Loire-Atlantique, de l'entretien individuel prévu par l'article 5 du règlement du 26 juin 2013. En l'absence notamment de tout élément permettant de supposer un défaut de formation ou d'accès à une information suffisante de l'agent ayant mené cet entretien, il ne ressort pas du dossier que cet entretien n'aurait pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ".
6. M. D... fait valoir que les autorités allemandes ont rejeté sa demande d'asile et qu'en cas de transfert vers l'Allemagne, il sera reconduit en Somalie où il encourt des risques pour sa vie, notamment eu égard à la situation de violence généralisée qui sévit dans ce pays où il a été blessé par balle. Il produit la décision des autorités allemandes lui refusant l'asile et l'obligeant à quitter le territoire ainsi qu'un courrier de son avocat l'informant du rejet du recours dirigé contre la décision lui refusant l'asile et l'obligeant à quitter le territoire. Aucun des éléments produits ne permet toutefois d'affirmer que ce jugement est devenu définitif ou qu'un retour forcé vers la Somalie pourrait être effectivement mis en oeuvre par les autorités allemandes dans des conditions ne respectant pas les droits de l'intéressé. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le préfet aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue au 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.
7. En troisième lieu, il résulte de ce qui précède que, l'arrêté de transfert n'étant pas annulé, M. D... n'est pas fondé à soutenir que la décision portant assignation à résidence doit être annulée par voie de conséquence de cette annulation.
8. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Par conséquent, sa requête, y compris ses conclusions relatives aux frais liés au litige, doit être rejetée.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée, pour information, au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 27 novembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président assesseur,
- Mme Malingue, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 décembre 2020.
Le rapporteur,
F. MalingueLe président,
O. Gaspon
La greffière,
E. Haubois
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT01524 2
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