Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 1er avril 2019, M. F..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 15 janvier 2019 ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet du Finistère de l'autoriser à demander l'asile en France et lui délivrer une attestation en qualité de demandeur d'asile dans un délai de trois jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que ce dernier, renonce à percevoir la contribution versée par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Il soutient que :
- l'arrêté attaqué méconnaît l'article 5 de la directive n° 2013/33/UE du 26 juin 2013 dès lors que la remise des brochures A et B ne remplace pas la remise du guide du demandeur d'asile qui aurait dû être délivré en application de ces dispositions.
- l'arrêté attaqué méconnaît les dispositions du paragraphe 1 de l'article 17-1 et du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement communautaire n° 604/2013 du 26 juin 2013, en ce qu'il n'est pas établi que le préfet du Finistère aurait procédé à un examen particulier de sa situation au regard de sa possibilité de faire usage de la clause de souveraineté ; il est en couple avec Mme E... avec laquelle il réside au Rheu depuis plus d'un mois.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 juillet 2019, le préfet du Finistère conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Vu la lettre du 17 juillet 2019 par laquelle les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour était susceptible de soulever d'office un moyen d'ordre public tiré du non-lieu à statuer sur les conclusions de la requête tendant à l'annulation de l'arrêté de transfert en raison de l'expiration du délai de 6 mois prévu au 1 de l'article 29 du règlement n°604/2013 du 26 juin 2013.
Vu les informations produites par le préfet relatives à la prolongation des délais de transfert de l'intéressé pour cause de fuite.
M. F... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 28 février 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 ;
- la directive n° 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A... ;
- les observations de Me B..., substituant Me D..., représentant M. F....
Considérant ce qui suit :
1. M. F..., ressortissant de nationalité camerounaise, est selon ses déclarations entré en France en août 2018. Il s'est présenté à la préfecture d'Ille-et-Vilaine le 27 aout 2018 aux fins de déposer une demande d'asile. En application du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013, les empreintes digitales de l'intéressé ont été relevées et transmises à l'unité centrale " Eurodac ". Le relevé décadactylaire a donné un résultat positif visant un enregistrement par les autorités italiennes le 25 octobre 2017. Les autorités italiennes, saisies le 12 septembre 2018 d'une demande de reprise en charge sur le fondement du b) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement UE n°604/2013, ont accepté leur responsabilité par un accord implicite du 5 octobre 2018. Par un arrêté du 14 décembre 2018, le préfet du Finistère a ordonné le transfert de M. F... aux autorités italiennes, responsables de sa demande d'asile. Saisi par M. F... d'une demande d'annulation de cette décision, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande. M. F... relève appel de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. En premier lieu, et d'une part, aux termes de l'article 5 de la directive n°2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres informent, au minimum, les demandeurs, dans un délai raisonnable n'excédant pas quinze jours après l'introduction de leur demande de protection internationale, des avantages dont ils peuvent bénéficier et des obligations qu'ils doivent respecter eu égard aux conditions d'accueil. / Les Etats membres garantissent que des informations sont fournies aux demandeurs sur les organisations ou les groupes de personnes qui assurent une assistance juridique spécifique et sur les organisations susceptibles de les aider ou de les informer en ce qui concerne les conditions d'accueil dont ils peuvent bénéficier, y compris les soins médicaux. ". / 2. Les Etats-membres font en sorte que les informations prévues au paragraphe 1 soient fournies par écrit et dans une langue comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il l'a comprend. Le cas échéant ces informations peuvent également être fournies oralement. ". Aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 susvisé du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent (...) b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères (...) c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune (...). Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les Etats membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux Etats membres. Ces actes d'exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d'examen visée à l'article 44, paragraphe 2, du présent règlement. / 3. Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. ". Enfin selon les dispositions de l'article 5 du même règlement : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article R. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable, ayant transposé en droit interne l'article 5 de la directive n°2013/33/UE précité, par l'intervention du décret n° 2015-1166 du 21 septembre 2015 pris pour l'application de la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile : " (...) Il est remis au demandeur d'asile l'imprimé mentionné à l'article R. 723-1 lui permettant d'introduire sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides selon la procédure prévue au même article. Il lui est également remis un document d'information sur la procédure de demande d'asile, sur ses droits et sur les obligations qu'il doit respecter au cours de la procédure, sur les conséquences que pourrait avoir le non-respect de ses obligations ou le refus de coopérer avec les autorités et sur les moyens dont il dispose pour l'aider à introduire sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Ce document l'informe également sur ses droits et sur les obligations au regard des conditions d'accueil, ainsi que sur les organisations qui assurent une assistance aux demandeurs d'asile. Cette information se fait dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser que le demandeur d'asile la comprend. (...) "
4. Il résulte également de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre, en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, entretien qui doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations, l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature de ces informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 citées au point précédent constitue pour le demandeur d'asile une garantie.
5. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que M. F... s'est vu remettre le 27 aout 2018, à la date de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, la brochure A intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " et la brochure B " je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ". La brochure A comporte un chapitre dénommé " Quels sont mes droits en attendant qu'on détermine le pays responsable de ma demande d'asile ' " ainsi qu'une annexe indiquant les coordonnées des organisations fournissant une aide juridictionnelle ou un soutien aux réfugiés. Les brochures A et B informent l'étranger des modalités d'instruction de sa demande d'asile selon la procédure " Dublin " conduisant à la détermination de l'Etat responsable de sa demande, sur ses droits à bénéficier, dans cette attente, de conditions d'accueil matérielles, par exemple au titre de l'hébergement et de la nourriture ainsi que des soins médicaux de base et d'une aide médicale d'urgence. Compte tenu de la communication de ces informations, conformes aux exigences précitées, et eu égard à la latitude laissée aux Etats-membres par les dispositions de la directive n° 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, M. F... n'est pas fondé à soutenir que la décision en litige serait entachée, au regard des obligations ainsi prévues, d'un vice de procédure de nature à entraîner son irrégularité faute de délivrance du guide du demandeur d'asile.
6. En deuxième lieu, aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ".
7. D'une part, si le requérant fait état de l'existence de défaillances affectant les conditions d'accueil et de prise en charge des demandeurs d'asile en Italie, les documents produits à l'appui de ces allégations ne sont pas de nature à établir que sa demande d'asile serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Il ne démontre pas par ailleurs, par le seul récit de ses conditions d'accueil et de séjour dans ce pays en 2017, qu'il serait personnellement exposé à des risques de traitements inhumains ou dégradants en cas de remise aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile, alors que l'Italie est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, en prenant l'arrêté attaqué, le préfet du Finistère, qui a procédé à un examen de la situation de M. F... au regard du paragraphe 2 de l'article 3, n'a pas méconnu les dispositions précitées.
8. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. ".
9. M. F..., en se bornant à faire valoir une situation de concubinage, ne justifie d'aucune circonstance particulière qui justifierait que sa demande d'asile soit instruite par la France sur le fondement des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 précité. Par suite, M. F... n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté de transfert en litige serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions citées au point précédent.
10. Il résulte de ce qui précède que M. F... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par M. F..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par le requérant ne peuvent être accueillies.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. F... demande au titre des frais liés au litige.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. F... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... G... F... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera transmise au préfet du Finistère.
Délibéré après l'audience du 29 mai 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Lenoir, président de chambre,
- Mme Gélard, premier conseiller,
- M. A..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 16 juin 2020.
Le rapporteur,
F. A...Le président,
H. LENOIR
La greffière,
E. HAUBOIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°19NT01306 2