Par une requête et des mémoires complémentaires enregistrés les 15 février 2019, 24 mai 2019 et 17 octobre 2019, la société anonyme à responsabilité limitée (SARL) Gelot, aux droits de laquelle vient la société Equip'jardin Le Mans, représentée par Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 21 décembre 2018 ;
2°) d'annuler la décision du 13 juin 2016 de l'inspecteur du travail ;
3°) de mettre à la charge de M. B... le versement de la somme de 2000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'inspecteur du travail a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation des faits car il s'est placé non pas au 16 novembre 2015, date de la première constatation de l'inaptitude par le médecin, mais au 24 février 2016 pour estimer que M. B... était apte au poste de mécanicien ; en outre, il a déclaré apte M. B... avec aménagements dans sa décision du 16 juin 2016 alors même, que pour les mêmes restrictions, il l'avait déclaré " inapte " ;
- contrairement à ce qui a été retenu, l'état de santé de M. B... ne s'est pas amélioré entre le 16 novembre 2015 et le 16 juin 2016 ;
- il a été considéré à tort que M. B... exerçait une activité de technico-commercial et que la position assise dans le cadre de ses déplacements n'était pas incompatible avec son état de santé ;
- il est inexact de dire que la société n'a pas donné suite à la demande de prise en charge par le service d'appui au maintien dans l'emploi des travailleurs handicapés ;
- les aménagements de poste préconisés par l'inspecteur du travail dans la décision contestée ne sont pas adaptés à l'état de santé de M. B....
Par des mémoires, enregistrés les 26 avril et 31 octobre 2019, M. B..., représenté par Me E... conclut au rejet de la requête et à ce que les entiers dépens et la somme de 2 000 euros soient mis à la charge de la société requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Gelot ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 septembre 2019, la ministre du travail conclut au rejet de la requête et fait valoir que les moyens présentés par la société Equip'jardin Le Mans ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D...,
- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., substituant Me F..., représentant la société Equip'jardin Le Mans.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... a été recruté le 21 mai 2007 par la société anonyme à responsabilité limitée (SARL) Gelot, laquelle a pour activité le commerce et la maintenance de matériels de motoculture de plaisance, sur un poste de mécanicien dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée. M. B... a fait l'objet d'arrêts de travail du 3 juin 2013 au 1er novembre 2015 pour des problèmes de santé qui l'ont conduit à subir deux interventions chirurgicales les 9 janvier 2014 et 10 janvier 2015. A l'issue d'une visite du 26 octobre 2015, le médecin du travail a estimé que M. B... était " inapte au poste mais apte à un travail sans port de charges, sans marche prolongée, sans station débout prolongée ", ajoutant comme préconisation " un travail sédentaire souhaitable ". A la suite d'un examen de reprise, le médecin du travail a rendu, le 16 novembre 2015, un avis d'inaptitude de M. B... à son poste de mécanicien précisant " qu'après étude de poste, il n'y a ni aménagement ni mutation possible " mais que " cependant l'intéressé reste apte à un poste respectant les contre-indications exprimées lors de la visite du 26 octobre 2015 ". Le 11 décembre 2015, la société Gelot a prononcé le licenciement de M. B... pour inaptitude non professionnelle au poste et impossibilité de reclassement. L'intéressé a alors, le 10 janvier 2016, contesté l'avis médical précité émis le 16 novembres 2015. Sur la base d'un avis du médecin inspecteur du travail émis le 24 février 2016 après enquête dans les locaux de l'entreprise, l'inspecteur du travail a, par une décision du 13 juin 2016, retirant une précédente décision du 1er mars 2016 illégale pour non-respect du contradictoire, déclaré apte M. B... au poste de mécanicien avec cependant les aménagements suivants : " recours systématique aux aides mécaniques à la manutention, en particulier pour les dépannages, micro-pause de cinq minutes à l'issue de chaque heure de travail, fourniture d'un siège de type assis-debout ". La SARL Gelot a, le 27 juin 2016, saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant à l'annulation de cette décision. Cette société, aux droits de laquelle vient la société Equip'jardin Le Mans, relève appel du jugement du 21 décembre 2018 par lequel cette juridiction a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du 13 juin 2016 :
2. Aux termes des dispositions de l'article L. 1226-2 du code du travail, applicables à la date de la décision contestée : " Lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à une maladie ou un accident non professionnel, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités. / Cette proposition prend en compte les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. / L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail. " et aux termes de l'article L. 4624-1 du même code : " Le médecin du travail est habilité à proposer des mesures individuelles telles que mutations ou transformations de postes, justifiées par des considérations relatives notamment à l'âge, à la résistance physique ou à l'état de santé physique et mentale des travailleurs. Il peut proposer à l'employeur l'appui de l'équipe pluridisciplinaire du service de santé au travail ou celui d'un organisme compétent en matière de maintien dans l'emploi. / L'employeur est tenu de prendre en considération ces propositions et, en cas de refus, de faire connaître les motifs qui s'opposent à ce qu'il y soit donné suite. / En cas de difficulté ou de désaccord, l'employeur ou le salarié peut exercer un recours devant l'inspecteur du travail. Il en informe l'autre partie. L'inspecteur du travail prend sa décision après avis du médecin inspecteur du travail. ". Enfin selon l'article R. 4624-31 de ce code : " Le travailleur bénéficie d'un examen de reprise du travail par le médecin du travail : (...) 3° Après une absence d'au moins trente jours pour cause d'accident du travail, de maladie ou d'accident non professionnel. Dès que l'employeur a connaissance de la date de la fin de l'arrêt de travail, il saisit le service de santé au travail qui organise l'examen de reprise le jour de la reprise effective du travail par le travailleur, et au plus tard dans un délai de huit jours qui suivent cette reprise. ".
3. En premier lieu, et contrairement à ce que soutient la société requérante, il ressort des termes d'un courriel du 17 mars 2016 établi par le service d'appui au maintien dans l'emploi des travailleurs handicapés (SAMETH) que l'employeur de M. B... n'a pas sollicité cet organisme à l'automne 2015 pour rechercher des solutions d'aménagement de poste ou de reclassement. En tout état de cause, si l'inspecteur du travail a pu, dans la décision contestée du 13 juin 2016, indiquer " que la SAMETH avait déclaré que la société n'avait pas donné suite à sa demande de rencontre ", cet élément ne constitue pas le motif déterminant de cette décision. Le moyen sera écarté.
4. En deuxième lieu, ainsi qu'il a été rappelé au point 1, M. B... a, le 10 janvier 2016, contesté l'avis médical d'inaptitude à son poste de mécanicien émis le 16 novembre 2015. Le médecin inspecteur régional du travail, consulté alors en application des dispositions précitées de l'article L. 4624-1 du code du travail, après s'être entretenu avec le médecin du travail et l'employeur, et avoir observé le poste de travail dans l'atelier où était amené à travailler le salarié, a qualifié de très satisfaisant l'examen clinique auquel il s'est livré trois mois après l'examen de reprise de M. B..., ce qui l'a conduit à conclure, dans son avis du 24 février 2016, à l'aptitude du salarié au poste de mécanicien avec restrictions sur les efforts de manutention intenses et les contraintes de posture prolongées. L'inspecteur du travail qui devait apprécier l'aptitude physique et l'état de santé du salarié à la date à laquelle il s'est prononcé dans la décision contestée du 13 juin 2016 a pu ainsi, sans erreur d'appréciation, se fonder sur les constatations et préconisations de ce dernier avis. Le moyen tiré de ce que l'inspecteur du travail devait apprécier l'état de santé de M. B... selon les éléments de fait et de droit existant à la date de l'avis médical émis en sens contraire le 16 novembre 2015 ne peut, par suite, qu'être écarté.
5. En troisième lieu, s'il est exact que les restrictions préconisées par l'inspecteur du travail dans la décision contestée du 13 juin 2016 rejoignent celles qui avaient été prônées par le médecin du travail ayant rendu un avis d'inaptitude le 16 novembre 2015, il ressort toutefois de l'avis médical d'aptitude émis le 24 février 2016 que le médecin inspecteur régional du travail a alors constaté la " nette amélioration de l'état de santé " de M. B... dans la période de trois mois qui s'était écoulée depuis le précédent avis, circonstance permettant d'estimer qu'un travail sédentaire n'était plus la seule perspective et que, même si des aménagements de son poste de travail demeuraient nécessaires, ils étaient désormais compatibles avec la tenue de son poste de travail. Le moyen tiré de ce que l'inspecteur du travail aurait dû confirmer, dans la décision contestée, l'inaptitude du salarié à son poste compte tenu des restrictions posées ne peut, par suite, qu'être écarté.
6. En quatrième lieu, il a été constaté par l'inspecteur du travail que l'activité de mécanique au sens strict représentait, au moment où l'intéressé a été placé en arrêt de travail, au plus la moitié de l'activité liée à son poste de travail, l'autre moitié consistant en des déplacements, des interventions pour remorquage et une activité commerciale de vente à l'occasion des déplacements chez les clients, ce que d'ailleurs l'article 4 de son contrat de travail prévoyait expressément au titre des fonctions confiées en évoquant " la livraison des matériels aux clients " ainsi que " la vente de matériels sur certains marchés et en clientèle ". Aucun élément probant n'a été apporté aux débats par la société requérante pour remettre en cause ces constatations. Elle ne saurait à cet égard utilement soutenir qu'au retour de l'intéressé de son arrêt de travail, ses tâches étaient réduites à la mécanique, une personne ayant été embauchée en qualité de commercial, dès lors que c'est l'entreprise elle-même qui a décidé pendant l'absence de M. B... de réorganiser la répartition de ses tâches et ce, au demeurant, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 1226-8 du code du travail qui rappellent qu'à l'issue d'un arrêt maladie, le salarié doit être prioritairement réintégré au même poste ou sur un poste similaire. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier, contrairement à ce qu'avance la société requérante, que la position assise lors des déplacements de M. B... soit incompatible avec son état de santé. Par suite, le moyen tiré de ce que l'inspecteur du travail aurait commis une erreur d'appréciation en estimant que M. B... exerçait une activité de technico-commercial, doit être écarté.
7. En cinquième et dernier lieu, s'agissant des aménagements du poste de travail de M. B... préconisés par l'inspecteur du travail, il ressort, tout d'abord, des pièces versées au dossier que l'utilisation d'un siège assis-debout, qui contribue au soutien d'une partie du poids du corps, est adaptée à une partie des tâches mécaniques confiées à M. B..., telle celles réalisées devant un établi, tandis qu'il est apparu au cours de l'enquête que les aides mécaniques à la manutention n'étaient pas systématiquement utilisées au sein de l'entreprise, notamment à l'occasion des dépannages, si bien que la préconisation d'un recours systématique à ces aides paraît également pertinente comme d'ailleurs celle retenant une micro-pause de 5 minutes à l'issue de chaque heure de travail.
8. Il résulte de ce qui précède que la société Equip'jardin Le Mans n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail du 13 juin 2016.
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. B..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à la société Equip'jardin Le Mans de la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Equip'jardin Le Mans le versement à M. B... d'une somme de 1500 euros au titre des mêmes frais.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Equip'jardin Le Mans est rejetée.
Article 2 : La société Equip'jardin Le Mans versera à M. B... une somme de 1500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Equip'jardin Le Mans, venant aux droits de la Sarl Gelot, à M. A... B... et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
Délibéré après l'audience du 30 avril 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. D..., président-assesseur,
- Mme Gélard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 mai 2021.
Le rapporteur,
O. D...Le président,
O. GASPON
La greffière,
P. CHAVEROUX
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 19NT00700 2