Procédure devant la cour :
Par une requête, et des mémoires, enregistrés les 7 mars, 27 avril et 27 juin 2018, M. C..., représenté par MeB..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement de la magistrate désignée du tribunal administratif de Rennes du 12 février 2018 ;
2°) d'annuler les arrêtés susvisés du 8 janvier 2018 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Finistère d'enregistrer sa demande d'asile et de lui remettre une attestation de demande d'asile l'autorisant à saisir l'Office français de protection des réfugiés et apatrides dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- sa requête est recevable ;
- la décision portant remise aux autorités suédoises a été prise sur le fondement du b) du 1 de l'article 18 du règlement du 26 juin 2013 alors qu'elle aurait dû l'être sur le fondement du d) du même article dès lors que sa demande d'asile avait été rejetée ;
- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions combinées de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 et du second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution dès lors que son transfert vers la Suède aura nécessairement pour conséquence son renvoi vers l'Afghanistan qui connaît aujourd'hui une situation de sécurité très dégradée ;
- cette décision est pour les mêmes raisons contraire aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision portant assignation à résidence est illégale du fait de l'illégalité de l'arrêté portant remise aux autorités suédoises.
Par des mémoires enregistrés les 3 avril, 18 mai et 6 juillet 2018, le préfet du Finistère conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la requête est irrecevable dès lors qu'elle ne comporte aucun moyen dirigé contre le jugement attaqué ;
- les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés ;
- l'administration aurait pris la même décision en se fondant sur le d) du 1 de l'article 18 du règlement du 26 juin 2013 sans priver l'intéressé d'aucune garantie, de sorte qu'une substitution de motif est possible.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 12 avril 2018.
Vu les autres pièces du dossier et notamment le courrier du préfet du Finistère du 26 septembre 2018 indiquant que l'intéressé est en fuite.
Vu :
- la Constitution du 4 octobre 1958 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 modifié ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Gélard a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant afghan, relève appel du jugement du 12 février 2018 par lequel la magistrate désignée du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 8 janvier 2018 par lequel le préfet du Finistère a décidé sa remise aux autorités suédoises, responsables de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que de l'arrêté du même jour l'assignant à résidence.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne l'arrêté de remise aux autorités suédoises :
2. Aux termes de l'article 53-1 de la Constitution du 4 octobre 1958 : " La République peut conclure avec les Etats européens qui sont liés par des engagements identiques aux siens en matière d'asile et de protection des Droits de l'homme et des libertés fondamentales, des accords déterminant leurs compétences respectives pour l'examen des demandes d'asile qui leur sont présentées. Toutefois, même si la demande n'entre pas dans leur compétence en vertu de ces accords, les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ". Aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...). La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. ". L'application de ces critères peut toutefois être écartée en vertu de l'article 17 du même règlement, aux termes duquel : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. ". Enfin, aux termes de l'article 18 de ce même règlement : " 1. L'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre (...) d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre (...) ".
3. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que si le 13 octobre 2017, le préfet du Finistère a saisi les autorités suédoises d'une demande de reprise en charge de M. C...sur le fondement du b) du 1 de l'article 18 du règlement précité, il est constant que la Suède a accédé à cette demande en se prévalant des dispositions du d) du 1 de l'article 18 dès lors que la demande d'asile présentée dans ce pays par l'intéressé avait été rejetée par un jugement du 17 juillet 2017 devenu définitif. Au vu de ces documents produits pour la première fois en appel, le préfet soutient qu'il aurait pris la même décision en se prévalant des dispositions du d) du 1 de l'article 18 du règlement du 26 juin 2013. Une telle substitution de base légale n'a pas pour effet de priver d'une garantie procédurale le requérant, lequel a bénéficié, le 10 octobre 2017, d'un entretien en langue persane, qu'il a déclaré comprendre. M. C...n'est par suite pas fondé à soutenir que la décision contestée serait entachée d'une erreur de droit.
4. En deuxième lieu, M.C..., qui n'est entré irrégulièrement en France que le 10 septembre 2017 et qui s'est prévalu de plusieurs identités afin de dissimuler le rejet de sa demande d'asile en Suède après avoir indiqué être célibataire, affirme être originaire de la province de Ghazni en Afghanistan où la situation en matière de sécurité est très dégradée. Il soutient en outre qu'il aurait entretenu une relation adultère, contraire à la loi islamique, avec une femme mariée avec laquelle il se serait enfui puis marié le 29 mars 2015. Cette circonstance ne suffit toutefois pas à établir qu'en refusant de mettre en oeuvre la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 précité du règlement communautaire le préfet aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ces dispositions ou de celles de l'article 53-1 de la Constitution.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Pour les mêmes motifs que ceux invoqués au point 4, le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :
6. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 5 du présent arrêt, que M. C... n'est pas fondé à se prévaloir de l'illégalité de l'arrêté ordonnant sa remise aux autorités suédoises. Le moyen tiré de l'illégalité de l'arrêté portant assignation à résidence à raison de ce motif ne peut dès lors qu'être écarté.
7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le préfet du Finistère, que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction, sous astreinte :
8. Le présent arrêt, qui rejette la requête de M. C..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions de l'intéressé tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet du Finistère d'enregistrer sa demande d'asile et de lui remettre une attestation de demande d'asile l'autorisant à saisir l'Office français de protection des réfugiés et apatrides dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que le conseil de M. C... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D...C...et au ministre de l'intérieur. Une copie sera transmise au préfet du Finistère.
Délibéré après l'audience du 1er mars 2019 à laquelle siégeaient :
- M. Lenoir, président de chambre,
- M. Francfort, président-assesseur,
- Mme Gélard, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 19 mars 2019.
Le rapporteur,
V. GELARDLe président,
H. LENOIR
La greffière,
E. HAUBOIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT01027