Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 25 septembre 2020 et 24 mars 2021, M. E..., représenté par Me Arnal, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 17 juillet 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 29 octobre 2019 de la préfète de l'Orne refusant de lui délivrer un titre de séjour ;
3°) d'enjoindre à la préfète de l'Orne de lui délivrer un titre de séjour sous astreinte de 75 euros par jour de retard à compter d'un délai de 15 jours suivant la notification de la décision à venir, et à titre subsidiaire de réexaminer sa demande dans les mêmes conditions ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat, le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'arrêté portant refus de titre de séjour n'est pas motivé et est intervenu en l'absence d'un examen particulier de sa situation ;
- l'arrêté portant refus de titre de séjour méconnaît également le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile car il justifie d'une présence en France considérable, vit avec sa fille de six ans scolarisée en France et qui est née A... la relation avec Mme B..., titulaire d'une carte de résident, qu'il a épousée en mars 2018 et car il a développé une relation intense avec les deux enfants de son épouse ; or l'autorité préfectorale n'a pas motivé sa décision au regard de la situation des trois enfants dont il contribue à l'entretien et à l'éducation ;
- l'arrêté méconnaît l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant ;
- l'arrêté méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'arrêté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 mars 2021, la préfète de l'Orne conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens invoqués par le requérant ne sont pas fondés.
M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 31 août 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Coiffet,
- et les observations de Me Arnal représentant M. E....
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., ressortissant haïtien né le 15 février 1972 à Thomonde (Haïti), a déclaré être entré irrégulièrement sur le territoire français, en Guadeloupe, le 19 juin 1995. Il est constant qu'il a fait l'objet de mesures d'éloignement prises par le préfet de la Guadeloupe les 21 novembre 2007, 2 juillet 2013 et 18 septembre 2013. L'intéressé avait bénéficié d'une autorisation provisoire de séjour en tant qu'accompagnant d'enfant malade valable du 31 août 2017 au 12 janvier 2018, date à laquelle son fils né le 16 novembre 2005 est décédé. Saisie le 15 février 2018 d'une demande d'admission exceptionnelle au séjour, la préfète de l'Orne a pris à l'encontre de l'intéressé, par un arrêté du 5 décembre 2018, une décision l'obligeant à quitter le territoire dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination. Eu égard à ses motifs, l'arrêté a été regardé comme rejetant également la demande de titre de séjour sollicité. Le recours de M. E... contre cet arrêté a été rejeté par un jugement n° 1900030 du tribunal administratif de Caen du 3 avril 2019. Le 16 septembre 2019, le requérant a sollicité un titre de séjour sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Cette demande a été rejetée par la préfète de l'Orne par un arrêté du 29 octobre 2019 portant refus de titre de séjour. Par un arrêté du même jour, la préfète a prononcé à l'encontre du requérant une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an et, par un arrêté du 25 novembre 2019, l'a assigné à résidence pour une durée de six mois.
2. M. E... a, le 27 novembre 2019, saisi le tribunal administratif de Caen d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 29 octobre 2019 portant refus de titre de séjour. Il relève appel du jugement du 17 juillet 2020 par lequel cette juridiction a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'annulation:
3. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) 7° À l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
4. Il ressort des pièces versées au dossier, en particulier de l'acte de naissance versé aux débats, d'une part, que le fils de M. E..., Jean-Nelson, né le 16 novembre 2005 à Paris, d'une relation avec Mme C..., a été reconnu par son père le 24 janvier 2008, le couple se séparant en 2009 et que l'intéressé a bénéficié d'une autorisation provisoire de séjour en tant qu'accompagnant d'enfant malade valable du 31 août 2017 au 12 janvier 2018, date du décès de son fils. D... part, M. E... a épousé, le 31 mars 2018, Mme G... B..., ressortissante haïtienne titulaire d'une carte de résident valable du 31 juillet 2018 au 30 juillet 2028, laquelle a attesté de l'existence d'une communauté de vie entre eux depuis 2016 et d'une relation affective avec le requérant depuis 2011. Mme B... et M. E... sont les parents d'une fille F..., née le 15 septembre 2012 en Guadeloupe et reconnue par M. E... le 11 février 2016. Il est établi qu'ils vivent tous les trois ainsi que les deux autres enfants de son épouse, nés d'une précédente union, depuis le mois d'août 2017 à Alençon où F... est scolarisée. M. E... justifie également, de façon suffisamment probante par les différentes attestations circonstanciées versées aux débats émanant du directeur de l'école, de médecins et de proches, de sa participation à l'éducation de son enfant ainsi qu'à celle des filles de son épouse. Dans ces conditions, M. E... est fondé à soutenir que l'arrêté contesté a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels cette mesure a été prise. L'arrêté du 29 octobre 2019 lui refusant la délivrance d'un titre de séjour méconnaît ainsi les stipulations précitées des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que des dispositions précitées du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. E... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 29 octobre 2019 portant refus de titre de séjour.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
6. Eu égard au motif d'annulation retenu, il y a lieu, par application des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet de l'Orne de délivrer à M. E... une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais de l'instance :
7. M. E... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son conseil peut se prévaloir des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Arnal de la somme de 1200 euros, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1902703 du 17 juillet 2020 du tribunal administratif de Caen et l'arrêté du 29 octobre 2019 de la préfète de l'Orne portant refus de titre de séjour sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Orne de délivrer à M. E... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1200 euros à Me Arnal, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. H... E... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée pour information au préfet de l'Orne.
Délibéré après l'audience du 1er octobre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe de la juridiction, le 19 octobre 2021.
Le rapporteur
O. COIFFET Le président
O. GASPON
La greffière
P. CHAVEROUX
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 20NT03041 4