Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 8 janvier 2021, Mme E... et M. B... C..., représentés par Me Arnal, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 4 novembre 2020 ;
2°) d'annuler les arrêtés du 14 octobre 2020 ;
3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire de prendre en charge leurs demandes d'asile et de leur remettre une attestation de demandeur d'asile en procédure normale et, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de leur situation dans un délai de 72 heures à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à leur conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- les décisions portant transfert sont insuffisamment motivées ; elles ne précisent pas sur quel fondement Malte est désigné comme étant l'Etat responsable de leurs demandes d'asile ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen complet de leur situation personnelle ; dans sa demande de prise en charge adressée aux autorités maltaises, il n'a pas mentionné que Mme E... était enceinte ;
- il n'est pas établi que les stipulations de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 ont été respectées ; ils ont signé les documents remis avant leur traduction par un interprète ;
- les stipulations de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 ont été méconnues ; la situation des demandeurs d'asile est alarmante à Malte ;
- les décisions portant assignation à résidence sont insuffisamment motivées ;
- l'illégalité des décisions portant transfert entache d'illégalité les arrêtés d'assignation à résidence.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er mars 2021, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme E... et M. B... C... ne sont pas fondés.
En réponse au moyen d'ordre public soulevé le 11 mai 2021, les requérants indiquent par un mémoire enregistré le 17 mai 2021 qu'ils contestent également les décisions les assignant à résidence et le préfet de Maine-et-Loire confirme le 26 mai 2021 que les intéressés ne peuvent plus faire l'objet d'un transfert vers Malte en raison de l'expiration du délai prévu à l'article 29 du règlement du 26 juin 2013.
M. B... C... et Mme E... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par deux décisions du 9 décembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 modifié ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gélard,
- et les observations de Me Arnal, représentant Mme E... et M. B... C....
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... et M. B... C..., ressortissants érythréens, relèvent appel du jugement du 4 novembre 2020 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation des arrêtés du 14 octobre 2020 par lesquels le préfet de Maine-et-Loire a décidé leurs transferts aux autorités maltaises, responsables de l'examen de leurs demandes d'asile, ainsi que des arrêtés du même jour les assignant à résidence.
Sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a rejeté les conclusions dirigées contre les arrêtés de transfert :
2. D'une part, aux termes de l'article 29 du règlement n° 604-2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 : " Le transfert du demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l'Etat membre requérant vers l'Etat membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'Etat membre requérant, après concertation entre les Etats membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3. /2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. ".
3. D'autre part, l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le tribunal administratif statue au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel, ni d'ailleurs le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.
4. Le délai initial de six mois dont disposait le préfet de Maine-et-Loire pour procéder à l'exécution du transfert de Mme E... et de M. B... C... vers Malte a été interrompu par la saisine du magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes. Ce délai a recommencé à courir à compter de la notification à l'administration du jugement du 4 novembre 2020 rendu par ce dernier. Il ressort des pièces du dossier que ce délai n'a pas fait l'objet d'une prolongation et que ces arrêtés n'ont pas reçu exécution pendant leur période de validité. Par suite, les décisions de transfert litigieuses sont devenues caduques sans avoir reçu de commencement d'exécution à la date du présent arrêt. La France est donc devenue responsable de leurs demandes d'asile sur le fondement des dispositions du 2 de l'article 29 du règlement n° 604/2013 rappelées ci-dessus. Le litige ayant perdu son objet, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de Mme E... et M. B... C... tendant à l'annulation du jugement du 4 novembre 2020 en tant qu'il rejeté leurs conclusions dirigées contre les arrêtés du 14 octobre 2020 portant transfert vers Malte. L'arrêté portant assignation à résidence de Mme E... et M. B... C... ayant reçu exécution, les conclusions tendant à son annulation conservent leur objet et il y a dès lors lieu d'y statuer.
En ce qui concerne la légalité des arrêtés d'assignation à résidence :
S'agissant de l'exception d'illégalité des arrêtés portant transfert vers Malte :
5. En premier lieu, il y a lieu d'écarter, par adoption des motifs retenus par le premier juge, les moyens tirés de ce que les décisions portant transfert seraient insuffisamment motivées et contraire aux dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 que Mme E... et M. B... C... réitèrent en appel, sans apporter de précisions nouvelles.
6. En deuxième lieu, si les requérants soutiennent que dans la demande de prise en charge adressée aux autorités maltaises le 17 septembre 2020, soit un jour avant l'échographie passée par Mme E..., le préfet n'a pas mentionné que l'intéressée était enceinte, il ne ressort pas des pièces du dossier que le couple en aurait informé le préfet avant le 23 octobre 2020. Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le préfet n'aurait pas procédé à un examen particulier de leur situation personnelle et familiale.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ".
8. Il résulte de ces dispositions que si une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre et qu'en principe cet Etat est déterminé par application des critères d'examen des demandes d'asile fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application de ces critères est toutefois écartée en cas de mise en œuvre de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre. Cette faculté laissée à chaque Etat membre est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
9. S'il est constant que Mme E... était enceinte depuis le 6 juin 2020 à la date des décisions contestées, les résultats de l'échographie réalisée le 18 septembre 2020 n'ont révélé aucun élément morphologique inhabituel de l'enfant à naître. Par ailleurs, les intéressés n'apportent aucun document médical attestant que M. B... C... souffrirait d'un quelconque problème de santé. Enfin, la circonstance que Malte fait face depuis plusieurs mois à un afflux de migrants ne suffit pas à établir que ce pays ne serait pas en mesure de traiter correctement les demandes d'asile présentées par Mme E... et M. B... C.... Par suite, les requérants n'établissent pas qu'en ne dérogeant pas aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen de leurs demandes d'asile et en prononçant leurs transferts aux autorités maltaises, le préfet de Maine-et-Loire aurait entaché ses décisions d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
10. Il résulte de ce qui a été dit aux points 5 à 9 que les décisions de transfert aux autorités maltaises n'étant affectées d'aucune des illégalités invoquées par Mme E... et M. B... C..., le moyen tiré de l'exception d'illégalité de ces décisions, invoqués à l'appui des conclusions dirigées contre les décisions d'assignation à résidence, ne peut qu'être écarté.
S'agissant des autres moyens :
11. En premier lieu, il y a lieu d'écarter, par adoption des motifs retenus par le premier juge, le moyen tiré de ce que les décisions portant assignation à résidence seraient insuffisamment motivées, que Mme E... et M. B... C... réitèrent en appel, sans apporter de précisions nouvelles.
12. En second lieu, si les décisions contestées obligent Mme E... et M. B... C... à se présenter tous les lundis, à 8h00, à l'exception des jours fériés, au commissariat central de Nantes, ville où ils sont hébergés, alors même qu'ainsi qu'il a été dit, Mme E... était alors enceinte de 4 mois, elles n'apparaissent pas comme entachées d'une erreur manifeste au regard des buts poursuivis.
13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... et M. B... C... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté leurs conclusions dirigées contre les arrêtés les assignant à résidence.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
14. Compte tenu de la caducité des décisions de transfert contestées, la France est l'Etat membre responsable de l'examen des demandes d'asile présentées par Mme E... et M. B... C.... Par suite, les conclusions des intéressés tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de Maine-et-Loire de prendre en charge leurs demandes d'asile et de leur délivrer une attestation de demandeurs d'asile en procédure normale sont devenues sans objet et ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
15. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par Mme E... et M. B... C... au profit de leur avocate au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête présentées par Mme E... et M. B... C... à fin d'annulation du jugement en tant qu'il a rejeté leurs conclusions relatives aux arrêtés du 14 octobre 2020 portant transfert auprès des autorités maltaises.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... E... et M. D... B... C... et au ministre de l'intérieur.
Une copie sera adressée pour information au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 1er octobre 2021 à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 octobre 2021
La rapporteure,
V. GELARDLe président,
O. GASPON
La greffière,
P. CHAVEROUX
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21NT00046