Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 30 octobre 2017, la préfète du Cher demande la cour, d'annuler le jugement du tribunal administratif d'Orléans du 3 octobre 2017.
La préfète soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a estimé que la décision de transférer M. A...aux autorités italiennes en date du 25 août 2017, n'aurait pas été prise dans le respect des délais permettant de constater l'accord implicite de ces mêmes autorités italiennes et qu'il en a déduit que, par voie d'exception, l'arrêté du 1er septembre 2017 méconnaissait les dispositions des articles 18 et 22 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique.
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Pons a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.A..., de nationalité somalienne, a déclaré être entré irrégulièrement sur le territoire français le 10 mai 2017. Le 7 juin 2017, il s'est présenté pour déposer une demande d'asile auprès de la préfecture du Cher et s'est vu remettre, le 20 juin 2017, une attestation de demande d'asile mentionnant qu'il devait faire l'objet de la procédure dite de " Dublin " à la suite de son identification en Italie. Les autorités italiennes ont été saisies d'une demande de reprise en charge le 31 juillet 2017 en application de l'article 18-1-b du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Suite à leur accord implicite, la préfète du Cher a pris, le 25 août 2017, un arrêté décidant son transfert aux autorités italiennes chargées de l'examen de sa demande d'asile. Par un arrêté du 1er septembre 2017, la préfète du Cher l'a assigné à résidence dans le département du Cher pour une durée de quarante-cinq jours dans l'attente de l'exécution de l'arrêté autorisant son transfert. Saisi par M. A...d'une demande d'annulation de cette dernière décision, le magistrat désigné du tribunal administratif de Caen y a fait droit par un jugement du 3 octobre 2017 dont la préfète du Cher relève régulièrement appel.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. D'une part, aux termes de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. L'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23,24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre ; (...) ". D'autre part, aux termes de l'article 25 du même règlement : " Réponse à une requête aux fins de reprise en charge - 1. L'Etat membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de reprise en charge de la personne concernée aussi rapidement que possible et en tout état de cause dans un délai n'excédant pas un mois à compter de la date de réception de la requête. Lorsque la requête est fondée sur des données obtenues par le système " Eurodac ", ce délai est réduit à deux semaines. 2. L'absence de réponse à l'expiration du délai d'un mois ou du délai de deux semaines mentionnés au paragraphe 1 équivaut à l'acceptation de la requête, et entraîne l'obligation de reprendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée. ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 26 du même règlement : " Lorsque l'Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge d'un demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), l'Etat membre requérant notifie à la personne concernée la décision de le transférer vers l'Etat membre responsable et, le cas échéant, la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale ".
3. Il ressort des pièces du dossier que les recherches entreprises par les services de la préfecture du Loiret sur le fichier européen " Eurodac " à partir du relevé décadactylaire établi le 20 juin 2017, ont permis de constater que les empreintes digitales de l'intéressé ont été relevées par les autorités italiennes le 5 juillet 2016. Saisies le 31 juillet 2017 d'une demande de reprise en charge sur le fondement des dispositions de l'article 18, paragraphe 1, point b du règlement UE n° 604/2013, les autorités italiennes ont accepté leur responsabilité par un accord implicite constaté le 21 août 2017, soit plus de deux semaines après la saisine de ces mêmes autorités. Par suite, la mesure de réadmission vers l'Italie dont a fait l'objet M. A..., qui a été prise et notifiée à ce dernier le 27 septembre 2017, est intervenue après l'acceptation de reprise en charge des autorités italiennes, en conformité avec les délais fixés par l'article 25 du règlement UE n° 604/2013 cité. Dans ces conditions, en faisant application du délai de réponse de l'Etat requis mentionné à l'article 22 du règlement (UE) n° 604/2013, applicable à la procédure de prise en charge prévue par les dispositions de l'article 18, paragraphe 1, point a du règlement UE n° 604/2013, pour annuler par la voie de l'exception d'illégalité l'arrêté du 1er septembre 2017 assignant à résidence M.A..., le magistrat désigné du tribunal administratif d'Orléans s'est mépris sur l'application des dispositions citées.
4. Il y a lieu, par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur les autres moyens évoqués par M. A...à l'appui de sa demande.
S'agissant de l'exception d'illégalité de l'arrêté de remise aux autorités italiennes du 25 août 2017 :
5. En premier lieu, M. A...soutient que le préfet a entaché sa décision d'une erreur de droit en ne procédant pas à un examen sérieux de sa situation et qu'il lui appartenait, dès lors qu'il n'est pas en situation de compétence liée, de prendre en compte l'ensemble des éléments de sa personnalité. Toutefois, aux termes de l'arrêté du 25 août 2017, la préfète du Cher a relevé la situation administrative de l'intéressé, mais aussi examiné les éléments de fait et de droit caractérisant la situation de celui-ci au regard des dérogations permettant à un Etat membre d'examiner une demande de protection internationale ne lui incombant pas en principe. Elle a également relevé la situation familiale du requérant et a précisé que cette situation ne relevait pas des dérogations prévues par les articles 3-2 ou 17 du règlement UE n° 604/2013. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la préfète du Cher n'aurait pas procédé à un examen complet et sérieux de sa situation ou aurait entaché son arrêté d'illégalité en ne faisant pas usage de son pouvoir discrétionnaire sur le fondement de l'article 17 du règlement 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et de l'article L 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
6. En deuxième lieu, il résulte de l'avis du Conseil d'Etat n° 406122 du 10 mai 2017, qu'à la différence de l'obligation d'information instituée par le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui prévoit un document d'information sur les droits et obligations des demandeurs d'asile, dont la remise doit intervenir au début de la procédure d'examen des demandes d'asile pour permettre aux intéressés de présenter utilement leur demande aux autorités compétentes, l'obligation d'information prévue par les dispositions de l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 a uniquement pour objet et pour effet de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, laquelle est garantie par l'ensemble des Etats membres relevant du régime européen d'asile commun. Le droit d'information des demandeurs d'asile contribue, au même titre que le droit de communication, le droit de rectification et le droit d'effacement de ces données, à cette protection. Il s'ensuit que la méconnaissance de cette obligation d'information ne peut être utilement invoquée à l'encontre de la décision par laquelle l'Etat français remet un demandeur d'asile aux autorités compétentes pour examiner sa demande. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 est donc inopérant et doit être écarté.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les Etats membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel (...) est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national (...) ".
8. Il n'est pas contesté que M. A...a bénéficié de l'entretien individuel prévu par les dispositions citées. Aucun élément du dossier ne permet d'établir que cet entretien n'aurait pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. La seule circonstance que le compte-rendu dressé à son issue ne comporte pas d'indication sur l'identité de l'agent l'ayant conduit n'est pas de nature, à elle seule, à démontrer que l'entretien individuel en question ne se serait pas déroulé dans des conditions conformes aux dispositions mentionnées et aurait dès lors privé l'intéressé de la garantie tenant au bénéfice d'un tel entretien individuel et de la possibilité de faire valoir toutes observations utiles. Le moyen tiré d'une méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) n°604/2013 doit ainsi être écarté, tout comme le moyen tiré de la violation du règlement n°2725/2000 du 11 décembre 2000, au demeurant abrogé à la date du 20 juillet 2015 par le règlement n° 603/2013.
9. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 111-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute personne a le droit de connaître le prénom, le nom, la qualité et l'adresse administratives de l'agent chargé d'instruire sa demande ou de traiter l'affaire qui la concerne ; ces éléments figurent sur les correspondances qui lui sont adressées (...) ". Dès lors que la demande de reprise en charge adressée aux autorités italiennes ne constitue pas une correspondance adressée à un administré, le moyen tiré de ce que cette demande ne comporterait pas les mentions prévues par ces dispositions est inopérant.
10. En cinquième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. A...a reçu le guide d'information des demandeurs d'asile, le document A " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de ma demande d'asile ' " et le document B " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' " prévus par les dispositions de l'article 4 règlement n° 603/2013, ainsi que le prouve l'attestation de remise d'un dossier d'asile produit par l'administration, signé sans réserve par l'intéressé le 20 juin 2017. Ces documents comprennent l'ensemble des informations nécessaires aux demandeurs d'une protection internationale en vertu de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013. En outre, ces éléments ont été remis au requérant en langue Somali. Dans ces conditions, l'intéressé a bien bénéficié d'une information complète sur ses droits. Par suite, M. A...n'est pas fondé à soutenir que la décision de transfert contestée, par voie d'exception d'illégalité, aurait été pris suivant une procédure irrégulière en méconnaissance de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
S'agissant des moyens dirigés contre l'arrêté du 1er septembre 2017 d'assignation à résidence :
11. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable : " I. - L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger : 1° (...) fait l'objet d'une décision de transfert en application de l'article L. 742-3 (...) ". Aux termes de l'article R. 561-2 du même code : " L'autorité administrative détermine le périmètre dans lequel l'étranger assigné à résidence en application (...) de l'article L. 561-2 (...) est autorisé à circuler muni des documents justifiant de son identité et de sa situation administrative et au sein duquel est fixée sa résidence. Elle lui désigne le service auquel il doit se présenter, selon une fréquence qu'il fixe dans la limite d'une présentation par jour, en précisant si cette obligation s'applique les dimanches et jours fériés ou chômés (...) ".
12. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté assignant M. A...à résidence lui impose de se présenter chaque jour à 9 heures, y compris les dimanches et jours fériés, au commissariat de police de Bourges. Le requérant justifie, pour ces jours, de fortes contraintes de transport pour se rendre au commissariat, distant d'environ 15 kilomètres de sa résidence, les dimanches et jours fériés, en l'absence de transport en commun. Compte tenu de ces sujétions, la décision contestée est entachée d'erreur manifeste d'appréciation en ce qu'elle impose cette présentation au commissariat les dimanches et jours fériés.
13. Il résulte de ce qui précède que M. A...est seulement fondé à demander l'annulation de l'arrêté d'assignation à résidence du 1er septembre 2017 en tant que cette décision lui impose de se présenter les dimanches et les jours fériés au commissariat de police de Bourges.
Sur les frais liés au litige :
14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement au conseil de M. A...d'une somme dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
DECIDE :
Article 1er : L'arrêté du 1er septembre 2017 par lequel la préfète du Cher a assigné à résidence M. A... dans le département du Cher pour une durée de quarante-cinq jours est annulé en tant qu'il lui impose de se présenter les dimanches et les jours fériés au commissariat de police de Bourges.
Article 2 : Le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif d'Orléans du 3 octobre 2017 est annulé en tant qu'il est contraire à l'article 1er.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la préfète du Cher est rejeté.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la demande de première instance de M. A... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...A...et au ministre de l'intérieur.
Copie sera adressée à la préfète du Cher.
Délibéré après l'audience du 26 octobre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Lenoir, président de chambre,
- M. Francfort, président assesseur,
- M. Pons, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 19 novembre 2018.
Le rapporteur,
F. PONS Le président,
H. LENOIR
La greffière,
E. HAUBOIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17NT03264