Par une requête, enregistrée le 2 mai 2018, M. A... D..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 8 décembre 2017 ;
2°) d'annuler les arrêtés du 4 décembre 2017 du préfet d'Ille-et-Vilaine ;
3°) d'enjoindre au préfet d'Ille-et-Vilaine de lui délivrer un récépissé en qualité de demandeur d'asile dans un délai de trois jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, ou, à défaut, de réexaminer sa situation et de le munir d'une autorisation provisoire de séjour dans cette attente ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'arrêté de transfert méconnaît les dispositions du 1 de l'article 17 et du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ainsi que de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, compte tenu des conditions d'accueil en République Tchèque et du jeune âge de son enfant ;
- l'arrêté de transfert méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, compte tenu du risque de séparation de la cellule familiale.
Par une lettre et un mémoire en défense, enregistrés le 6 juillet 2018 et le 3 octobre 2018, le préfet d'Ille-et-Vilaine conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés et indique que le délai d'exécution de la décision de réadmission en République Tchèque est prolongé à dix-huit mois en raison de la fuite de l'intéressé.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 mars 2018.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
-la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Francfort, président assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.D..., ressortissant arménien né le 4 avril 1993, a déclaré être entré irrégulièrement en France le 8 mai 2017. Le 16 juin 2017 il a déposé une demande d'admission au séjour au titre de l'asile auprès des services de la préfecture d'Ille-et-Vilaine. La consultation du fichier Eurodac ayant révélé qu'il était titulaire d'un passeport revêtu d'un visa délivré par l'Arménie pour la République tchèque valable du 8 au 29 mai 2017, le préfet d'Ille-et-Vilaine a sollicité, le 6 juillet 2017, la prise en charge de M. D... par les autorités de ce pays sur le fondement des dispositions du paragraphe 4 de l'article 12 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Ces autorités ont accepté, le 15 août 2017, cette prise en charge. Par deux arrêtés du 4 décembre 2017, le préfet d'Ille-et-Vilaine a prononcé son transfert aux autorités tchèques et l'a assigné à résidence. M. D...relève appel du jugement du 8 décembre 2017.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...). La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. ". (...) 2. Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Par ailleurs, selon l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". De plus, la mise en oeuvre par les autorités françaises de l'article 17 doit être assurée à la lumière des exigences définies par le second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, aux termes duquel : " les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif " ainsi qu'à la lumière des dispositions de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni a des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". Enfin, aux termes des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants (...) l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
3. Il résulte de la combinaison de l'ensemble de ces textes que si le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 pose en principe, dans le 1 de son article 3, qu'une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre et que cet Etat est déterminé par application des critères fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application de ces critères est toutefois écartée en cas de mise en oeuvre de la clause dérogatoire énoncée au 1 de l'article 17 du règlement, laquelle procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre, notamment lorsqu'il estime que les conditions prévues par le 2 de l'article 3 du règlement sont remplies.
4. En l'espèce, M. D...fait valoir que la République Tchèque impose aux demandeurs d'asile une détention, dans des conditions qui ne respecteraient pas les droits de l'homme, et qu'une somme de 250 couronnes tchèques leur serait prélevée chaque jour. M. D... se prévaut également de la présence de son enfant, né le 24 septembre 2017, qui nécessiterait des garanties individuelles de prise en charge, garanties qui n'ont pas été données par les autorités tchèques.
5. Toutefois il ne ressort pas des seules pièces versées au dossier par le requérant, soit des rapports d'organisations internationales et des articles de presse, qu'il serait personnellement exposé à ces pratiques et que sa demande d'asile ne serait pas traitée par les autorités tchèques dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. De plus, le préfet a informé les autorités tchèques de la naissance de l'enfant du requérant, cette procédure étant prévue par le 3 de l'article 20 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui prévoit que l'enfant est pris en charge par les autorités tchèques avec ses parents, dont il ne peut être séparé. Dès lors, le requérant n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté par lequel le préfet a ordonné son transfert aux autorités tchèques aurait été pris en méconnaissance des dispositions de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, des stipulations du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et des dispositions des articles 17 et 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
6. En second lieu, le requérant fait valoir que l'accord de prise en charge par les autorités tchèques ne concerne pas leur enfant, si bien qu'il existerait un risque de séparation de la cellule familiale. Toutefois, ainsi qu'il a été dit, il ressort des pièces du dossier qu'en application des dispositions du 3 de l'article 20 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, le préfet d'Ille-et-Vilaine a informé les autorités tchèques de la naissance de l'enfant du requérant et par conséquent de la responsabilité de la République tchèque dans la prise en charge de ce dernier. De plus, MmeB..., mère de l'enfant, fait également l'objet d'une décision de transfert à destination de la République tchèque. Dans ces conditions, M. D...n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté aurait été pris en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
7. L'illégalité de la décision ordonnant le transfert aux autorités tchèques n'étant pas établie, le moyen tiré de son illégalité soulevée à l'encontre de la décision portant assignation à résidence sera écarté.
8. Il résulte de tout ce qui précède que M. D...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, doivent être rejetées les conclusions du requérant aux fin d'injonction et celles tendant au bénéfice des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D...et au ministre de l'intérieur. Une copie sera transmise à la préfète d'Ille-et-Vilaine.
Délibéré après l'audience du 29 mars 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Lenoir, président de chambre,
- M. Francfort, président-assesseur,
- Mme Gélard, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 23 avril 2019 .
Le rapporteur,
J. FRANCFORTLe président,
H. LENOIR
Le greffier,
E. HAUBOIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT01803