Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 juin 2020, Mme B..., représentée Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler ces arrêtés ;
3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire, à titre principal, de prendre en charge sa demande d'asile et de lui remettre une attestation de demandeur d'asile ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification du présent arrêt ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 700 euros, à verser à son conseil, Me D..., sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
S'agissant de l'arrêté de transfert
- il n'est pas suffisamment motivé ;
- elle n'a pas reçu les informations prévues par les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, notamment dès son arrivée au sein de la structure d'accueil.
- elle n'a pas bénéficié de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- il n'a pas été précédé d'un examen de sa situation;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation en ne mettant en oeuvre la clause dérogatoire prévue à l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
S'agissant de l'arrêté l'assignant à résidence
-il n'est pas suffisamment motivé ;
-il doit être annulé du fait de l'illégalité de l'arrêté de transfert aux autorités espagnoles ;
- les conditions de pointage sont excessives ;
-la décision portant assignation à résidence est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de sa situation.
Par un courrier du 4 septembre 2020, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour était susceptible de soulever d'office un moyen d'ordre public tiré du non-lieu à statuer sur les conclusions de la requête à fin d'annulation de la décision de transfert en raison de l'expiration du délai de six mois prévu au 1 de l'article 29 du règlement n°604/2013 du 26 juin 2013.
Par un mémoire, enregistré le 11 septembre 2020, le préfet de Maine-et-Loire conclut au non-lieu à statuer sur les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté de réadmission.
Il fait valoir que l'arrêté décidant du transfert de Mme B... aux autorités espagnoles n'a pas été exécuté et que l'Espagne est désormais libérée de son obligation de prise en charge.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 juin 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante guinéenne née le 10 mars 1986, relève appel du jugement du 5 février 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 14 janvier 2020 du préfet de Maine et Loire décidant son transfert aux autorités espagnoles, responsables de l'examen de sa demande d'asile, et l'arrêté du même jour de ce préfet l'assignant à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.
Sur l'arrêté de transfert :
2. D'une part, aux termes de l'article 29 du règlement n° 604-2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 : " Le transfert du demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l'Etat membre requérant vers l'Etat membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'Etat membre requérant, après concertation entre les Etats membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3. /2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. ".
3. D'autre part, l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le tribunal administratif statue au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel, ni d'ailleurs le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.
4. Le délai initial de six mois dont disposait le préfet de Maine-et-Loire pour procéder à l'exécution du transfert de Mme B... vers l'Espagne a été interrompu par la saisine du magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes. Ce délai a recommencé à courir à compter de la notification à l'administration du jugement du 5 février 2020 rendu par ce dernier. Il ressort des pièces du dossier que ce délai n'a pas fait l'objet d'une prolongation et que cet arrêté n'a pas reçu exécution pendant sa période de validité. Par suite, la décision de transfert litigieuse est devenue caduque sans avoir reçu de commencement d'exécution à la date du présent arrêt et la France est devenue responsable de la demande d'asile sur le fondement des dispositions du 2 de l'article 29 du règlement n°604-2013 rappelées ci-dessus. Par suite, les conclusions de Mme B... tendant à l'annulation de l'arrêté de transfert et du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes en tant qu'il a rejeté ses conclusions dirigées contre cet arrêté sont devenues sans objet. Il n'y a plus lieu d'y statuer.
Sur l'arrêté portant assignation à résidence :
5. En premier lieu, la décision portant assignation à résidence de Mme B... comporte l'exposé des motifs de droit et des considérations de fait qui la fondent. Elle est ainsi suffisamment motivée au regard des exigences des dispositions de l'article L. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
6. En deuxième lieu, la requérante se borne à reprendre en appel, sans apporter d'élément nouveau de fait ou de droit, les moyens invoqués en première instance et tirés de ce que l'arrêté de transfert aux autorités espagnoles est insuffisamment motivé, et méconnaît les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus à bon droit par le premier juge.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 visé ci-dessus : " Droit à l'information /1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment: /a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée; /b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable (...); /c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 (...) ; /d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert;/e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement; /f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant (...). /2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune (...). Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les Etats membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux Etats membres. Ces actes d'exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d'examen visée à l'article 44, paragraphe 2, du présent règlement. / 3. Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. ". Enfin selon les dispositions de l'article 5 du même règlement : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) " ;
8. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre, en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, entretien qui doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations, l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature de ces informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 citées au point précédent constitue pour le demandeur d'asile une garantie. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que Mme B... s'est vue remettre, le 20 novembre 2019, lors de l'enregistrement de sa demande d'asile dans les services de la préfecture, et à l'occasion de son entretien individuel, les brochures A et B conformes aux modèles figurant à l'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, et qui contiennent l'ensemble des informations prescrites par les dispositions précitées. Ces documents, dont les pages de garde ont été signées par l'intéressée, ont été remis en français, langue qu'elle comprend, ainsi que cela ressort des termes du compte-rendu de l'entretien individuel mené le même jour et sur lequel elle a également apposé sa signature. Dans ces conditions, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que l'administration l'aurait privée d'une garantie au motif que l'information qui lui a été donnée par les services préfectoraux aurait dû l'être dès son passage dans la structure de pré-accueil qui l'avait accueillie. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit à l'information du demandeur d'asile énoncé à l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 doit être écarté.
9. En quatrième lieu, il ne ressort pas des éléments du dossier, en particulier de ceux rendant compte de l'entretien individuel dont elle a bénéficié, que le préfet de Maine-et-Loire ne s'est pas livré à un examen particulier des circonstances de l'espèce.
10. En cinquième lieu, aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) 2. L'État membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'État membre responsable, ou l'État membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre État membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre État membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. Les personnes concernées doivent exprimer leur consentement par écrit. ". Mme B... soutient que le préfet de Maine-et-Loire aurait dû faire usage du pouvoir que lui confèrent les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors qu'elle est dans une situation de vulnérabilité à la suite des violences qu'elle aurait subies, certes non pas au Maroc comme indiqué par erreur par le premier juge, mais à Melilla, ville située en territoire espagnol. Cependant, les documents médicaux produits en première instance par la requérante, qui se limitent à des prescriptions de médicaments anxiolytiques et à la reprise des propos de l'intéressée, et qui n'ont pas été actualisés devant la cour, ne permettent pas d'établir que son état de santé la placerait dans une situation de particulière vulnérabilité imposant d'instruire sa demande d'asile en France. De même, la requérante ne démontre pas davantage qu'elle serait personnellement exposée à des risques de traitements inhumains ou dégradants en Espagne alors que ce pays est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'existence de tels traitements dans l'enclave de Melilla n'étant aucunement démontrée. Par suite, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.
11. Il résulte de ce qui a été dit aux points 6 à 10 que Mme B... n'est pas fondée à se prévaloir, à l'encontre de la décision prononçant son assignation à résidence, de l'illégalité de la décision ordonnant son transfert aux autorités italiennes.
12. En sixième lieu, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I.- L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger : / 1° Doit être remis aux autorités compétentes d'un Etat membre de l'Union européenne (...) ". Il résulte de ces dispositions que le préfet peut prendre une mesure d'assignation à résidence à l'encontre d'un étranger qui fait l'objet d'une décision de transfert vers l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile et qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable. Il ne ressort pas des pièces du dossier, qu'à la date à laquelle elle a été édictée, la décision de transfert prise à l'encontre de Mme B... ne présentait pas de perspective raisonnable d'exécution. Par suite, contrairement à ce que cette dernière soutient, le préfet de Maine-et-Loire n'a pas méconnu ces dispositions.
13. Enfin, le préfet n'a pas non plus entaché son arrêté d'une erreur manifeste en obligeant Mme B... à se présenter au commissariat central de Nantes les mardi, mercredi et jeudi à 8 heures alors que la requérante a indiqué résider, 2 rue de l'Eraudière à Nantes.
14. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté portant assignation à résidence.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
15. Si, compte tenu de la caducité de la décision de transfert contestée, la France est l'Etat membre responsable de l'examen de la demande d'asile présentée par Mme B..., le présent arrêt n'implique, par lui-même, aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées.
Sur les conclusions tendant au bénéfice des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
16. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 au bénéfice du conseil de Mme B....
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de Mme B... aux fins d'annulation en tant qu'elles se rapportent à l'arrêté de transfert.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera transmise pour information au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 9 octobre 2020 à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme C..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 23 octobre 2020.
Le rapporteur, Le président,
F. C... O. GASPON
La greffière,
P. CHAVEROUX
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 20NT01656 2
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